Le rôle historique de l’Allemagne à l’OIT / Werner Sengenberger

Le rôle historique de l’Allemagne à l’OIT / Werner Sengenberger

Deux occasions se sont présentées pour écrire cet article. En premier lieu le centenaire de l’Organisation internationale du Travail, qui approche rapidement, nous donne plus de raisons que jamais de revenir sur son histoire. Connaître son passé est fondamental dans le débat sur son avenir. Ensuite, il y eut ces dernières années, une recherche intéressante sur l’OIT qui montre « en situation extrême » le cheminement, les mécanismes et les limites de l’internationalisation de la politique sociale[1].

Il est clair que l’Allemagne joua un rôle ambivalent dans la fondation et l’évolution historique de l’OIT qui s’en suivit. Nous avons été les témoins des lumières et des  ombres dans les relations de l’Allemagne avec l’Organisation, des divergences et des convergences ainsi que des périodes d’association et de désaccord. Côté positif, grâce à son concept de « Sozialstaat » [2] (l’Etat providence) conçu pour donner à tous les citoyens la sécurité sociale, la justice sociale, l’intégration sociale et la liberté individuelle, et, compte tenu de sa compétence dans les domaines de la santé et de la sécurité au travail, de l’inspection du travail, de la législation sociale, et des relations industrielles collectives et des ressources humaines, l’Allemagne put apporter une contribution importante à la création de l’OIT et à l’élaboration de ses grandes idées, son système de normes internationales du travail et ses programmes de coopération technique. L’Allemagne a joué un rôle de pionnier en matière d’assurance sociale. Déjà, en 1883, elle fut la première à adopter un système obligatoire d’assurance couvrant la vieillesse, la maladie, l’invalidité et les accidents du travail[3]. En outre, l’Allemagne participa à la promotion de l’important programme du BIT dans des domaines comme l’enseignement professionnel et la formation, la rééducation professionnelle et les coopératives.

En 1890, une « Conférence internationale pour la réglementations du travail dans les usines et les mines » se tint à Berlin. Elle adopta des résolutions sur l’introduction de normes du travail minima, comprenant l’âge minimum du travail, le repos hebdomadaire, le travail des enfants et celui de jeunes gens et des femmes. On a estimé que cette réunion avait été à l’origine de la législation internationale du travail et un précurseur de l’OIT.

Dès 1890, des fonctionnaires allemands, des syndicalistes et des universitaires figurèrent parmi les fondateurs et les soutiens de « l’Association internationale pour la législation du travail », qui constitua en quelque sorte le premier BIT à Bâle en 1901. Certains estiment qu’elle fut à l’origine de la législation internationale du travail et un précurseur de l’OIT. La même année une section allemande de cette association nommée « Gesellschaft für Soziale Reform » (Association pour une Réforme sociale) fut créée à Bonn. Plus tard, de concert avec 25 autres associations nationales, le groupe allemand participa aux activités de l’ « Association Internationale pour une Réforme Sociale » (1924-1933), dont le premier président fut Albert Thomas[4], devenu par la suite le premier Directeur général du BIT.

Bien que l’industrialisation, et, avec elle, la montée du travail salarié, ait commencé plus tard en Allemagne qu’au Royaume Uni et en Belgique, le pays devint graduellement l’un des leaders des nations industrielles au cours de la seconde moitié du 19ème siècle. Elle connut de fortes organisations de travailleurs et d’employeurs. Après le Royaume Uni, l’Allemagne connut le plus important mouvement syndicaliste dans les décennies qui ont précédé la Première Guerre mondiale. Les syndicalistes allemands prirent des positions de pointe dans les organisations syndicales internationales.

De 1903 jusqu’à la Première Guerre mondiale, Carl Legien présida le Secrétariat des Organisations syndicales internationales d’Europe et d’Amérique du Nord et celle qui les a remplacées, la Confédération Syndicale Internationale, créée en 1913. Le mouvement syndical allemand, et tout spécialement sa composante la plus grande et la plus influente sociale-démocrate, attira l’attention d’Albert Thomas. Dès 1902 il prit contact avec les mouvements du travail allemands alors qu’il était étudiant à l’Université de Berlin. En 1903, il consacra sa thèse de doctorat à la version allemande du socialisme.

Les affinités structurelles entre l’OIT et l’Allemagne sont peut-être encore plus étroites dans le domaine du tripartisme érigé en modèle de conduite. La participation des groupements d’intérêt que sont les organisations de travailleurs et d’employeurs dans le processus de décision en matière de politique sociale et économique relève en Allemagne d’une longue tradition. Elle a pris différents noms et formes, tel que le « partenariat social », « l’économie de marché sociale » (après la Deuxième Guerre mondiale), ou « l’action sociale concertée » (1967-1977), se rapportant à la politique monétaire, fiscale et des revenus. Par exemple, pendant la récente crise financière commençant en 2008, alors que l’Allemagne déclinait plus que la plupart des autres pays de l’Union Européenne, la perte d’emplois et la montée du chômage furent marginales. L’ajustement se fit dans une large mesure en réduisant le temps de travail plutôt qu’en ayant recours aux licenciements. Il a contribué à stabiliser la demande globale. Comme les coûts de l’ajustement étaient équitablement partagés entre les travailleurs, les employeurs et le gouvernement, cela permit d’introduire la confiance dans l’économie[5].

Plus particulièrement pendant les années de la République de Weimar, en Allemagne (1918-1933), le tripartisme, à l’OIT s’inspira de la pratique nationale allemande de participation paritaire des travailleurs et des employeurs[6]. Toutefois, il est aussi évident que le modèle libéral du tripartisme, conforme avec les principes de l’OIT de liberté d’association et des groupes d’intérêt indépendants n’était pas toujours appliqué en Allemagne. Il y eut des périodes de corporatisme autoritaire pendant lesquelles les libertés civiles et la résolution des conflits par un véritable dialogue social étaient remplacées par des ordonnances gouvernementales.  Ceci est arrivé  la plupart du temps sous Bismarck et son paternalisme et la Loi répressive sur le Socialisme de 1878. De même pendant l’ère Nationale Socialiste (nazie) de 1933 à 1945, et dans la RDA (1949-1990).

Pendant les périodes décisives du développement de l’OIT après les Première et Seconde Guerres mondiales, le gouvernement allemand se tint très à l’écart de l’OIT de même que de la communauté internationale. La capacité de la nation à contribuer à la mise en place de la loi internationale était sévèrement gênée par son rôle d’agresseur dans les deux conflits mondiaux et l’attitude chauvine et raciste du régime nazi qui s’était opposé radicalement à l’esprit cosmopolite régnant à l’OIT.

Les débuts de l’OIT dans les années vingt avaient été dominés par la France et le Royaume Uni. En plus de ces deux pays, la Belgique, Cuba, les Etats Unis, l’Italie, le Japon, la Tchécoslovaquie, avaient été membres de la Commission sur la Législation internationale du Travail de la Conférence de la Paix en 1919 où fut négociée la première Constitution de l’OIT (dont la création forme la partie XIII du Traité de Versailles).

En qualité de perdant de la Première Guerre mondiale – et reconnue comme la seule responsable du conflit par le Traité de Versailles – l’Allemagne a été écartée des pourparlers de paix. Elle ne prit pas part à la première Conférence internationale du Travail à Washington DC en 1919. Elle n’entra à l’OIT que plus tard cette année-là. Sa qualité de membre de l’Organisation fut exigée par les représentants des employeurs et des travailleurs, et quelques gouvernements, notamment la Belgique. Alors que les employeurs craignaient que l’Allemagne, avec sa grande capacité exportatrice ne gagne des avantages indus dans la compétition internationale si elle ne s’engageait pas à observer les normes de l’OIT, les travailleurs demandaient son intégration, soulignant la force du mouvement ouvrier allemand[7].

Bien que l’Allemagne n’ait pas été parmi les nations qui fondèrent l’OIT en 1919, elle exerça indirectement son influence sur son démarrage. Peu après la Première Guerre mondiale, une agitation sociale, des grèves et des mouvements révolutionnaires se manifestèrent en Europe et même en Amérique du Nord commençant par la Révolution d’Octobre en Russie en 1917 et suivies par la mise en place temporaire de républiques soviétiques en Hongrie et en Italie du Nord. En Allemagne, des soulèvements d’ordre politique, appelés la Révolution de Novembre, éclatèrent le 4 novembre 1918 quand des groupes de travailleurs du Nord se joignirent à la marine pour appeler au renversement du gouvernement et à un nouvel ordre politique pour le pays. Le jour suivant, des révoltes de travailleurs se répandirent à Munich, Berlin et d’autres grandes villes encore, conduisant à la (brève) formation de républiques de travailleurs et à la création du parti communiste. Début 1919, le Premier ministre britannique Lloyd George écrivit au Premier ministre français Georges Clémenceau : « L’Europe toute entière  bruit de l’esprit de révolution. On constate un sentiment non seulement de mécontentement mais aussi  de colère et de révolte parmi les travailleurs contre des conditions antérieures à la guerre (…) L’ordre existant, dans sa totalité, est remis en cause dans ses aspects politique, social et économique par des masses de population d’une extrémité de l’Europe à l’autre » [8] . Créer l’OIT en cette situation de crise peut être considéré comme une tentative par une coalition de la gauche politique réformiste et de gouvernements conservateurs de tromper la révolution et de stabiliser le système économique en s’assurant de la loyauté des travailleurs en appliquant un programme  international de réforme sociale.

Marius Viple, Albert Thomas et Wilhelm Donau à Berlin

Malgré le rôle marginal joué par l’Allemagne entre les deux guerres, le pays n’a pas été sans exercer quelque influence sur l’OIT pendant cette période, grâce aux relations et à la coopération que procuraient les relations personnelles, institutionnelles et techniques. Parmi les plus importantes on relève le Bureau de correspondance du BIT à Berlin, créé en 1921, et fermé en 1934.

Il a été dirigé par Alexander Schlicke (1921-1925 et Wilhelm Donau (1925-1934), tous deux sociaux-démocrates. Tous deux promurent la cause de l’OIT en Allemagne et coopérèrent étroitement à cet effet avec le Ministère du Travail[9]. Parmi les principales activités du Bureau de Berlin dès 1923, il y a eu la publication mensuelle de « Interrnationale Rundschau der Arbeit » dans le style de la Revue internationale du Travail, adressée à des lecteurs de langue allemande et contenant des nouvelles relatives à l’OIT et aux développements des politiques sociales.

La délégation allemande à la Conférence de 1926

Au début des années vingt, un certain nombre de fonctionnaires allemands travaillant à Genève et/ou au Bureau de Berlin, durent affronter un difficile combat de loyauté. Ils étaient déchirés entre leur devoir de fonctionnaires internationaux et le soutien à leurs intérêts nationaux en tant que citoyens de leur pays. Ce conflit s’intensifia entre 1923 et 1925 quand ces fonctionnaires firent connaître publiquement leur position sur les épreuves subies par les travailleurs de la Ruhr et de la Sarre, du fait du coût des réparations imposées à l’Allemagne par le Traité de Paix de Versailles. Ils accusaient l’OIT de souscrire à cette situation. Selon Sandrine Kott[10], cette affaire contribua à l’incorporation dans le Statut du Personnel du BIT d’une disposition qui exige des fonctionnaires une loyauté exclusive envers l’Organisation : « Les membres du personnel du Bureau international du Travail sont responsables, dans l’accomplissement de leurs fonctions, devant le Directeur seul. Ils ne peuvent se considérer comme représentants de leurs pays respectifs, ni demander ou recevoir des instructions d’une autorité nationale quelconque en ce qui concerne l’accomplissement de leurs fonctions » [11]

L’Allemagne d’Hitler quitta la Société des Nations et l’OIT. Elle signifia son retrait en novembre 1933. Son départ devint effectif en 1935. Cependant, la rupture des liens entre le Troisième Reich et l’OIT ne fut pas aussi brutale et complète que l’on pouvait s’y attendre compte tenu de la nature non libérale et raciste du régime nazi. Elle se manifesta petit à petit, à mesure de l’imposition du régime dictatorial. Parmi les premières victimes du nouveau régime, figura la liberté d’association. Les syndicats allemands furent dissouts en mai 1933. Leurs locaux furent occupés et leurs dirigeants envoyés dans des camps de concentration. Une organisation à laquelle l’inscription était obligatoire, le « Front Allemand du Travail » (DAF), fut créée dans le seul but de mettre en œuvre les décisions du gouvernement nazi. Les organisations d’employeurs furent également interdites et intégrées à la DAF, façon de « surmonter la lutte des classes ». A la Conférence internationale du Travail de juin 1933, les représentants nazis, menés par Robert Ley, exigèrent la reconnaissance des pouvoirs des représentants syndicaux. Cependant la CIT refusa les pouvoirs de la « nouvelle délégation des travailleurs » qui quitta alors la Conférence. Aux fins de retrouver légitimité et reconnaissance, la délégation nazie essaya en vain de convaincre Wilhelm Leuschner, membre du Conseil de la Fédération générale syndicale allemande (ADGB), homme politique social-démocrate et membre de la délégation de l’ADGB à la CIT.

Parce qu’il avait refusé de collaborer, Leuschner fut arrêté à son retour de Genève en Allemagne. Plus tard il rejoignit le mouvement de résistance allemand. Il fut condamné à mort et exécuté en septembre 1944[12].

Wilhelm Leuschner à la 61ème session du Conseil d’administration, juin 1933

Chez les délégués à la Conférence et parmi le personnel du BIT, particulièrement chez les Allemands, on constatait des attitudes divergentes à l’égard du maintien des relations avec l’Allemagne nazie. Au moins jusqu’en 1935, le Directeur du BIT, Harold Butler, était enclin à faire des compromis avec le nouveau régime. Le gouvernement allemand exigea et, en fait, obtint la mise à pied de quelques experts et de membres allemands du personnel du BIT. Dans une certaine mesure, la position conciliante du BIT était en rapport avec la posture sociale des Nazis. Cette dernière mettait en avant la paix sociale (enfin, une version forcée de celle-ci), la lutte contre le chômage, les congés payés, l’extension de la protection de la maternité, et la mise à disposition de loisirs pour les travailleurs (« Kraft durch Freude » – la force par la joie). Comme d’autres régimes fascistes en Europe, les Nazis essayèrent, non sans quelque succès, de légitimer sur le plan international leur politique « supérieure » d’aide sociale, de l’exporter dans d’autres pays et d’instrumentaliser l’OIT à cet effet. Il a fallu attendre 1941 pour que le BIT condamne finalement la politique sociale « totalitaire » des Nazis13. Il devint alors tout à fait évident que cette politique était placée au service des ambitions impériales de l’Allemagne. En mai 1941, Robert Ley du Front Allemand du Travail (DAF), essaya d’obtenir des autorités suisses l’autorisation d’occuper le bâtiment du BIT à Genève14. A cette époque le Bureau s’était déjà installé à Montréal où il avait été délocalisé en 1940.

« L’Allemagne de l’Ouest », c’est-à-dire la République Fédérale Allemande (RFA), rentra à l’OIT en 1951. En présence du Directeur général David A. Morse un Bureau de correspondance du BIT fut installé à Bonn et le gouvernement allemand déclara valides 17 Conventions ratifiées par l’Allemagne avant qu’elle ne quitte l’OIT15. La République Démocratique Allemande (RDA) se joignit à l’OIT en 1973, la même année où les deux Etats allemands devinrent membres des Nations Unies. Ainsi, ne faisaient-ils pas partie de la communauté internationale lorsque fut adoptée la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en 1948 et deux Pactes en 1966 : le Pacte International sur les Droits Economiques, Sociaux et Culturels et le Pacte International sur les Droits Civils et Politiques contenant, tous deux, d’importantes dispositions pour les Normes internationales du Travail.

Francis Blanchard avec F.G. Seib à une réunion en Allemagne

Après la Deuxième Guerre mondiale, l’OIT fut l’une des premières Organisations internationales qui aida l’Allemagne à revenir au cœur de la communauté internationale. Deux membres éminents du Conseil d’administration du BIT firent connaître la nécessité du retour de l’Allemagne à l’OIT et l’y aidèrent. Du côté des travailleurs, le syndicaliste Léon Jouhaux joua un rôle essentiel dans la réconciliation des travailleurs français et de leurs homologues allemands et du retour de l’Allemagne dans l’Organisation. Jouhaux remplissait d’importantes fonctions à la CGT avant de la quitter pour créer Force Ouvrière et en devenir président en 1947. Il était également vice-président de la Confédération internationale des Syndicats libres (CISL). Il reçut le Prix Nobel de la Paix en 1951. Du côté des employeurs, Pierre Waline, membre éminent de l’Organisation des employeurs en France et président de l’Organisation internationale des Employeurs (OIE) depuis 1953 intervint en faveur d’une amélioration des relations entre la France et l’Allemagne. Pour cela il fut décoré de la Croix pour Services Distingués allemande.16

Durant la deuxième moitié du 20ème siècle, le rôle de l’Allemagne à l’OIT devint beaucoup plus constructif. Mises à part quelques exceptions, le gouvernement allemand et les organisations d’employeurs et de travailleurs figurèrent parmi les plus fidèles soutiens des politiques qui étaient au cœur de l’Organisation, notamment celles de l’emploi et du travail décent. Ils jouèrent un rôle important dans l’élaboration de la politique de l’Union Européenne à l’égard de l’OIT. Le gouvernement fédéral allemand contribua généreusement en personnel et en moyens financiers aux activités de coopération technique de l’Organisation. En 1992, il alloua 50 millions de marks pour lancer le Programme international pour l’Elimination du Travail des Enfants (IPEC) qui devint par la suite le plus grand programme de coopération technique du Bureau. Des fonds spéciaux furent fournis par l’Allemagne dans le cadre du Programme Mondial de l’Emploi pour des projets en Afrique, de restructuration économique et sociale en Europe de l’est et en Europe centrale après la chute de l’Union Soviétique, ainsi que des programmes sur le travail décent. Derrière les Etats Unis et le Japon, l’Allemagne devint le plus important contributeur à l’Organisation.

Au cours des dernières décennies, l’Allemagne a participé pleinement à la gouvernance et au leadership de l’OIT. Depuis 1954, elle est membre permanent du Conseil d’administration.

En 1976-77, Winfried Haase fut élu président du CA, représentant le gouvernement fédéral, premier Allemand à occuper ce poste. Gerd Muhr, de la Fédération  des Syndicats allemands, fut élu président du CA en 1990 et le représentant du gouvernement allemand, l’ambassadeur Dr Ulrich Seidenberger a été nommé Président du CA pour la période 2016-2017. Le Bureau régional pour l’Europe eut plusieurs directeurs allemands. Nous n’avons pas encore vu un Allemand à la tête du BIT. Probablement en raison de la lourde responsabilité de cette nation dans les désastres politiques du 20ème siècle le gouvernement allemand n’a pas encore présenté de candidature au poste de Directeur général. Je dirais aussi, à juste titre, de même qu’en raison de la proportion disproportionnée de citoyens européens dans cette position.

En résumé, l’Allemagne a eu sa part dans la préhistoire de l’OIT et bien après. Elle figure parmi ses membres influents dans le domaine des politiques et des programmes grâce à ses contributions, ainsi qu’à l’émergence et au développement de la législation internationale du travail, de l’inspection du travail et de la sécurité sociale. En outre ont beaucoup compté les relativement grandes et bien organisées organisations de travailleurs et d’employeurs et la coopération qui règne entre eux. Le tripartisme dans le système de gouvernance de l’OIT correspond à, et a été inspiré, de la tradition allemande de partenariat sur les questions du travail et de la politique sociale. Cependant, l’Allemagne n’a pas été un leader à l’OIT pendant les années les plus innovantes de l’Organisation, surtout du fait de la grande responsabilité et de sa défaite dans les deux  guerres mondiales, du racisme et des crimes du régime nazi qui étaient incompatibles avec l’orientation universaliste et humaniste de l’OIT. L’Allemagne a été absente de l’Organisation lorsque les grands principes et quelques-uns des plus importants éléments constitutionnels de l’Organisation furent adoptés, y compris la Déclaration de Philadelphie. Elle devint un membre pleinement engagé de l’OIT dans la deuxième moitié du 20ème siècle. Elle a soutenu les politiques de l’Organisation, a été généreuse dans sa contribution au travail technique du Bureau et très respectueuse des Normes internationales du travail. Toutefois, l’Allemagne a encore à faire de gros efforts pour transformer le pays en paradis du travail décent pour tous.

L’auteur souhaite exprimer ses remerciements à Jean-Jacques Chevron pour la traduction de son article.

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Pour plus de détails, voir Seib, Friedrich Georg : Le Bureau de l’OIT en Allemagne, in : Lettre (maintenant Message) n° 34, 2003.

Voir E.G. Erdmann: « Deutschlands Mitgliedschaft in der IAO – Ein Reflex seiner Geschichte 1919 – 1933 – 1951. (Appartenance de l’Allemagne à l’OIT – Un réflexe de son histoire, 1919-1933-1951), in : Ministerium für Arbeit und Sozialordnung et. al.  op.cit. pp. 28 et 34

[1] Kott, Sandrine : Dynamiques de l’internalisation: l’Allemagne et l’Organisation internationale du Travail (1919-1940), numéro 52, Juillet-Septembre 2011, pp. 69-84.

[2] Kott, Sandrine : Der Sozialstaat. In : Deutsche Erinnerungsorte II, Etienne François et Hagen Schulze, Hrsg., Verlag C.H. Beck, 2009, pp. 485-501.

[3] Pour plus de détails, voir Kott 2011/3 op. cit. pp. 78-79 ; et le chapitre sur la protection sociale in Rodgers, G. et al., The ILO and the quest for social justice 1919-2009. ILO, Geneva,  pp. 141-144.

[4] Schewe, Dieter: Initiativen und Unterstützung für die Internationale Arbeitorganisation durch die Gesellschaftten für Soziale Reform/Sozialer Fortschritt 1890-1993, in: Weltfriede durch soziale Gerechtigkeit: 75 Jahre Internationale Arbeitsorganisation.  Bundesministerium für Arbeit und Sozialordnung, Bundesvereinigung der Deutschen Arbeitgeberverbände, publié pour Deutscher Gewerkschaftsbund par Nomos Verlagsgesellschaft, Baden, Baden, pp.37 and fol.p.37 et suiv.

[5]  International Institute for Labour Studies: Germany: A Job-Centred Approach, Studies on Growth with Equity, ILO, Geneva, 2011, pp. 2-3 and chapter 8.

[6] Guérin Denis : Albert Thomas à l’OIT (1920-1932), Genève, Institut européen de l’Université de Genève, 1996, p.31.

[7] Admission de l’Allemagne et de l’Autriche dans l’organisation permanente du Travail, Genève, BIT, 1920

[8] Cité par Rees J.: « In Defence of October » in: International Socialism, 52, Autumn 1991,   London, p.9.

[9] Kott, 2011/3, op.cit., pp. 74-75.

[10]  Ibid., p.77

[11]  Voir Articles 1. du Statut du Personnel du BIT, janvier 1923

[12]  Pour un récit détaillé, lire Tosstorff, Reiner : Workers’ resistance against Nazi Germany at the International Labour Conference 1933, ILO, Geneva 2013 et Message no 50, pp. 20 – 23

13  Kott, 2011, op. cit.,  p. 82.; Waelbroeck, P. and Bessling I. : Some Aspects of Social Policy under the National Socialist Regime, In : International Labour Review, February 194, pp. 127-152.

14  Pour plus de détails sur les relations de l’OIT avec les Nazis, voir Kott, 2011, op.cit. pp. 72 et 80-83.


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