La Déclaration de Philadelphie: 1944 – 2004 / François Agostini

La Déclaration de Philadelphie: 1944 – 2004 / François Agostini

La Déclaration de Philadelphie est, à juste titre, considérée comme la clé de voûte de I’OIT. Il n’est donc pas sans intérêt de revenir sur son historique, son contenu et sa signification toujours actuelle.


Jenks et E. Phelan préparent la Déclaration

 Historique

La politique à suivre en cas d’urgence, adoptée en 1938, prévoyait que « le BIT devra s’efforcer de continuer à exercer ses fonctions et ses services dans toute la mesure du possible ».

En accord avec cette politique, le BIT installa son siège provisoire pour la période de la guerre à Montréal, au Canada et, outre un certain nombre d’activités pratiques, tint plusieurs réunions et conférences sur le continent américain, dont les plus importantes furent :

– la Session extraordinaire de la Conférence internationale du Travail tenue d New York et à Washington entre le 29 octobre et le 7 novembre 1941, dont l’objet était de tenter de définir la politique et les activités de I’OIT après la fin de la guerre. Le rapport du Directeur par intérim (c’était alors Edward Phelan) traitait de la participation à venir de I’OIT à la reconstruction économique et sociale du monde d’après-guerre. Dans un discours prononcé à la session de clôture de la Conférence, le Président Roosevelt déclara : « Votre Organisation aura un rôle essentiel à jouer dans l’édification d’un système international stable de justice sociale pour les peuples du monde entier ».

La Conférence extraordinaire de New York fut donc suivie naturellement, par la 26e Session (régulière) de la Conférence internationale du Travail, tenue à Philadelphie du 22 avril au 12 mai 1944. Mettant un point final à ses activités de temps de guerre, I’OIT définit alors sa ligne politique et ses objectifs pour la période immédiate de reconstruction et en même temps pour l’établissement d’un monde pacifique à plus long terme.

Le premier objectif fut accompli par les Recommandations 67 à 73. Le deuxième fit l’objet de la « Déclaration de Philadelphie », adoptée à l’unanimité par les délégués et de laquelle E. Phelan et W. Jenks (alors conseiller juridique) furent les principaux inspirateurs.

Contenu

Le titre complet de la Déclaration est parfaitement clair : « Déclaration concernant les buts et objectifs de l’Organisation internationale du Travail » et son Préambule spécifie que la Déclaration pose les principes dont devrait s’inspirer la politique de ses Membres. Le caractère réciproque des engagements pris (de l’Organisation à ses Membres et des Membres à l’Organisation) était déjà réaffirmé.

Après le Préambule, la Déclaration comprend cinq chapitres. Le premier réaffirme les principes fondamentaux sur lesquels est fondée l’Organisation à savoir notamment : le travail n’est pas une marchandise ; la liberté d’expression et d’association est une condition indispensable d’un progrès soutenu ; la pauvreté, où qu’elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous; dans la lutte inlassable contre le besoin en vue de promouvoir le bien commun, les efforts nationaux doivent être combinés avec une coopération internationale sur une base libre, démocratique et tripartite.

Le chapitre II énumère les conséquences du principe fondamental de I’OIT selon lequel « une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale » : l’égalité des droits et des chances pour tous les êtres humains, sans aucune discrimination doit être le but central de toute politique nationale et internationale en des programmes d’action et mesures pris sur la plan national et international, notamment dans le domaine économique et financier; il incombe à l’Organisation d’examiner et de considérer à la lumière de cet objectif fondamental ces programmes d’action et de mesures et, dans l’exercice de ces fonctions, d’inclure dans ses décisions et recommandations toutes dispositions qu’elle juge appropriées.

Le chapitre III rappelle l’obligation solennelle pour I’OIT de promouvoir la mise en oeuvre de programmes tendant à réaliser le plein emploi, l’élévation des niveaux de vie, l’offre d’emplois correspondant aux qualifications des travailleurs, la formation professionnelle, les transferts de travailleurs et les migrations, les politiques de salaires et de conditions de travail, la négociation collective, la collaboration des employeurs et des travailleurs pour l’amélioration continue de l’organisation de la production et l’élaboration de la politique sociale et économique, l’extension de la sécurité sociale et des soins médicaux pour tous, la protection de la vie et de la santé dans le travail, la protection de l’enfance et de la maternité, un niveau adéquat d’alimentation, de logement et de moyens de récréation et de culture et enfin la garantie de chances égales dans le domaine éducatif et professionnel.

Le chapitre IV relie l’accomplissement des objectifs sociaux énumérés plus haut à « l’utilisation plus complète et plus large des ressources productives du monde » et recommande à cette fin « une action efficace sur le plan international et national », et notamment l’expansion de la production et de la consommation la lutte contre les fluctuations économiques graves, l’aide économique et sociale aux régions dont la mise en valeur est peu avancée, une plus grande stabilité des prix mondiaux des matières premières, la promotion du commerce international. A ces fins, I’OIT promet son entière collaboration « à tous les organismes internationaux auxquels pourra être confiée une part de responsabilité dans cette grande tâche, ainsi que dans l’amélioration de la santé, de l’éducation et du bien-être de tous les peuples ».

Le chapitre V relève la valeur universelle des principes énoncés dans la Déclaration dont les modalités d’application tiendront compte du degré de développement économique et social de chaque peuple, et affirme que leur application progressive « aux peuples qui sont encore dépendants aussi bien qu’à ceux qui ont atteint le stade où ils se gouvernent eux-mêmes, intéresse l’ensemble du monde civilisé ».

Signification

En définissant et en annonçant ainsi ses objectifs et programmes d’action à moyen et à long terme, I’OIT réclamait sans équivoque sa part de responsabilité dans la construction du nouvel ordre mondial d’après-guerre, ainsi que la place qui lui revenait dans la grande famille des Nations Unies alors en gestation.

La Déclaration réexprimait ainsi sa foi dans les idéaux de paix, de développement et de justice sociale qui avait guidé, comme un phare, les actions de I’OIT – et de l’ensemble du système de la Société des Nations- depuis 1919. Elle soulignait l’importance de la coopération technique internationale et anticipait d’une manière visionnaire la globalisation.


Edward Phelan signe la Déclaration en présence du Président Roosevelt le 17 mai 1944

La Déclaration était visiblement destinée dès l’origine à être un document fondamental de I’OIT. Elle mettait à jour en l’élargissant la portée de l’article 41 (connu sous le nom de « Charte du Travail » qui portait le sceau de Samuel Gompers) de la Première Constitution de I’OIT qui, en 1944, constituait toujours la partie XIII du Traité de Versailles. C’est donc tout logiquement que, se substituant à l’ancien article 41, la Déclaration de Philadelphie devait devenir partie intégrante de la nouvelle Constitution de I’OIT en 1946.

Pour I’OIT comme pour la communauté internationale dans son ensemble, la Déclaration de Philadelphie est aussi moderne et contraignante et les principes fondamentaux de la Déclaration restent aussi pertinents aujourd’hui qu’ils l’étaient en 1944 et continues d’inspirer les travaux de l’OIT à l’aube de son deuxième siècle.


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