BIT : Le Département de la Formation / George Kanawaty

BIT : Le Département de la Formation / George Kanawaty

En 1952, le BIT lança un grand programme d’aide aux pays membres en mettant en place dans ces pays des centres de formation professionnelle. Cette action fut suivie trois ans plus tard par un autre programme d’amélioration de la productivité par la formation des cadres dirigeants. Deux raisons firent que ces deux programmes connurent une expansion rapide : en premier lieu, de nombreux pays en développement qui avaient récemment accédé à l’indépendance voulaient donner une priorité absolue au développement des ressources humaines ; en second lieu, le système des Nations Unies venait de créer un « Fonds Spécial » destiné à financer des programmes de coopération technique. Plus tard ce Fonds devint le « Programme des Nations Unies pour le Développement » (PNUD). Ainsi, pour financer ses opérations de formation, le BIT pouvait faire appel au PNUD si des fonds étaient disponibles.

 Au début des années 60, les deux activités consacrées l’une à la formation, l’autre aux cadres furent réunies sous une seule unité, le « Département des Ressources Humaines » qui, plus tard, fut renommé « Département de la Formation ». L’accent sur les activités de terrain fut prédominant des années 50 au début des années 70. Le personnel du Siège était essentiellement occupé à appuyer les activités de terrain.

Au début des années 70, cette attention évolua afin de rendre les activités de formation mieux adaptées à des besoins changeants. C’est alors qu’indépendamment des opérations de terrain les activités en matière de formation inclurent d’autres moyens d’action tels que la recherche, les publications, les réunions et les conférences. Ces activités étaient menées par quatre services : la formation professionnelle, la formation des cadres, la réadaptation professionnelle et un nouveau service chargé des politiques de formation : celui-ci, en plus de son rôle de conseil aux gouvernements sur les politiques nationales en matière de développement des ressources humaines, agissait comme groupe de réflexion (think tank) pour orienter les activités du Département vers de nouvelles directions telles que les conséquences de l’ajustement structurel ou les avancées technologiques.

Nouvelles directions

Dans le domaine de la formation professionnelle on créa un programme de formation modulaire facilitant le passage d’un métier vers un autre, par exemple permettant à un électricien de formation de devenir un spécialiste en systèmes électriques automobiles dans ce domaine. Au siège du BIT, six personnes travaillèrent au développement de  modules de formation pour divers métiers, une activité financée par l’Allemagne, la Suède et la Suisse qui souhaitaient utiliser ces modules pour leurs propres besoins.

Dans le domaine de la formation des cadres, la recherche conduisit à la mise en place d’un nouveau programme très vivant pour les petites entreprises, fondé sur de nouvelles bases, liant la formation à des services de conseil et de financement prodigués sur place et développant des programmes de formation spécifiques pour divers secteurs tels que les petits entrepreneurs, les petits détaillants, etc.

Dans le domaine de la formation des cadres, plutôt que de se concentrer sur le secteur industriel qui prévalait, la formation fut entreprise  au bénéfice des cadres dans des secteurs tels que la construction, les transports et les services qui se développaient à cette époque. Pour prendre un exemple, alors que la famine frappait l’Ethiopie dans les années 80, l’Allemagne avait fourni 500 camions Mercedes pour transporter la nourriture à l’intérieur du pays. De son côté le service de la formation des cadres du BIT fournit l’expertise logistique nécessaire pour prendre des décisions sur le routage, le ravitaillement en carburant, les zones de stockage et d’entretien et la gestion de la flotte des camions. De même, des actions de formation des cadres dans les domaines de la construction et des transports furent entreprises avec un grand succès, financées par une multitude de sources.

Dans le domaine de la formation professionnelle, le terme « handicapé », tout d’abord utilisé uniquement pour désigner des personnes physiquement handicapées, a été redéfini pour y inclure d’autres personnes telles que les alcooliques et les drogués. Cette décision eut pour résultat un accroissement des activités et des sources de financement disponibles.

Toutes ces nouvelles directions conduisirent à une vaste expansion des activités du Département qui, dans les années 80, devint le plus grand département du BIT, à égalité avec celui de l’Emploi, l’autre activité majeure de l’Organisation. Dans les années 80, le Département de la Formation employait 100 personnes au siège et quelque 400 experts et consultants dans environ 80 pays.

Autres activités reflétant les préoccupations actuelles

On trouvera sans doute surprenant que certains défis contemporains tels que les problèmes de l’environnement, l’égalité, le changement des méthodes de travail suite à l’intervention de l’intelligence artificielle, la nouvelle organisation du travail et la conception du travail étaient déjà étudiés par le département il y a quelque 40 ans.

Ainsi, le Département introduisit la Formation environnementale dans son programme pour les cadres. Non comme un programme séparé mais comme partie intégrante des programmes existants ; par exemple dans la formation des cadres de production, en y introduisant la notion d’un meilleur « design » du produit afin de réduire les déchets et d’améliorer leur traitement et leur utilisation ; dans la commercialisation : l’introduction d’emballages écologiques et la lutte contre l’esprit de gaspillage dans la publicité, etc.  Sur la question de l’Egalité un fonctionnaire fut désigné au siège dont la tâche, parmi d’autres, était de contrôler tous les nouveaux projets afin de s’assurer qu’elle était bien prise en compte et qu’elle était incluse parmi les critères d’évaluation.

En ce qui concerne l’Intelligence artificielle le Département entreprit à l’époque une recherche de trois ans pour examiner, sur cette question, ce que six pays importants faisaient en matière d’éducation et de formation sur l’intelligence artificielle et fournit des conseils sur le sujet. Deux réunions internationales furent organisées sur la question de la formation sur l’intelligence artificielle. Le résultat de ce travail financé par l’Allemagne a été publié. Sur les nouvelles formes d’Organisation du travail, la Norvège finança alors une expérience qui dura trois ans sur la possibilité d’un transfert à l’Inde et à la Tanzanie de nouvelles méthodes de gestion basées sur les expériences de la Norvège, de la Suède et du Japon. Les résultats en furent publiés dans la Revue du BIT.

Financement

Le Département de la Formation dans les années 80 estimait qu’il était préférable de diversifier ses sources de financement plutôt que de s’en remettre seulement au BIT et au PNUD. Des contacts furent pris avec un certain nombre de donateurs potentiels. C’est ainsi que pas moins de dix gouvernements contribuèrent directement aux activités du Département de la Formation, que ce soit pour la recherche ou l’assistance directe à divers pays. En outre le Département joua un rôle de pionnier par son approche des projets financés par la Banque Mondiale. Se conformant aux conditions imposées par la Banque, il entra en compétition avec diverses entreprises renommées de consultants et de formation. La préparation de chaque offre exigeait une dépense de 20.000 à 30.000 dollars. Si elle l’emportait, il pouvait en résulter un projet de 2 à 4 millions de dollars pour lequel le BIT recevait 10% de frais de gestion. Ce travail de soumission se poursuivit pendant un an jusqu’à ce qu’il soit officiellement entériné par la Direction générale du BIT, ce qui encouragea rapidement d’autres Départements à suivre cet exemple.

Certains se demanderont si l’accroissement des activités et du personnel pourraient avoir constitué un fardeau pour le budget du BIT. En fait c’est le contraire qui s’est passé : le Département de la Formation gagnait de l’argent pour le BIT. Pour financer son personnel et d’autres activités, tels que réunions, missions, etc., le BIT allouait 5 millions de dollars par an au Département. De son côté le Département générait plus de 8 millions de dollars de ressources chaque année. Le volume des dépenses de coopération technique se montait à environ 75 millions de dollars par an sur lesquels le BIT recevait des frais de gestion de 10 à 13%. Ce qui fait environ 7 millions de dollars au minimum.

En outre le Département produisit six des 10 meilleures ventes de publications du BIT, y compris les trois premières, toutes dans le domaine du management. Le revenu annuel de ces ventes de publication s’élevait à un million de dollars. Vient en tête de ces ventes un ouvrage de 500 pages comportant plus de 100 illustrations, intitulé « Introduction à l’Etude du Travail » dont George Kanawaty est l’auteur de l’édition révisée. Il aborde la question d’une meilleure efficacité au travail et conseille sur l’amélioration de la satisfaction au travail. Le livre s’est vendu à 300.000 exemplaires. Record pour n’importe quelle publication au sein du système des Nations Unies, il a été traduit en 8 langues, y compris le russe et le chinois et imprimé sous copyright du BIT dans 7 autres pays. Ce livre, qui fut mis à jour plusieurs fois pour inclure des questions relatives au numérique et à la robotique, rapporta à lui seul 12 millions de dollars au BIT.

Conclusion

En 1990. Un nouveau Directeur général pris la décision de se tourner vers d’autres activités. Cette année-là coïncida avec mon propre départ à la retraite. Le Département de la Formation fut démantelé en divers morceaux, soit éliminés, soit largement réduits ou tellement fondus dans d’autres activités qu’il en devint méconnaissable. C’est ainsi que le rideau tomba sur le plus grand Département du BIT.

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L’auteur, George Kanawaty, après avoir servi pendant neuf ans dans les programmes de coopération technique du BIT an Asie, en Afrique et au Moyen-Orient, devint chef des programmes de Développement des Cadres Dirigeants au siège de 1972 à 1980, puis directeur du Département de la Formation de 1980 à 1990.


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