Autrefois, même l’avenir était plus radieux / Peter Auer

Autrefois, même l’avenir était plus radieux / Peter Auer

La Commission mondiale sur l’avenir du travail, créée en 2017 comme deuxième étape de l’initiative sur l’avenir du travail lancée en 2013 par le Directeur général du BIT, Guy Rider, est en pleine activité et organise toute une série d’événements de nature technique qui devraient déboucher sur la publication d’un rapport important en 2019.

Il me semble opportun à cette occasion de rappeler une autre initiative intéressante menée il n’y a pas si longtemps dans le même domaine. En 2000, le ministère français du Travail et le Directeur général du BIT de l’époque, Juan Somavia, ont lancé une série de colloques sur le même sujet, présenté sous l’appellation plus large « L’avenir du travail, l’emploi et la protection sociale ». J’avais alors été chargé par le Directeur général de coordonner ces différentes manifestations en étroite collaboration avec le ministère français du Travail. Par la suite, l’OIT a réuni des experts du BIT dans ce domaine, le ministère français, les partenaires sociaux et des chercheurs du monde entier dans le cadre de 3 conférences tenues en 2001, 2002 et 2005 respectivement.

La première de ces conférences, organisée à Annecy en 2001, a examiné la nécessité de disposer de politiques visant à protéger les travailleurs face à l’incertitude croissante engendrée par la mondialisation et les changements technologiques et organisationnels. En conséquence, la conférence a abordé le thème très vaste des transformations du travail et de l’emploi résultant de ces changements, de l’impact de ces transformations sur le travail et la société, ainsi que des mesures économiques, politiques et sociales susceptibles d’améliorer la sécurité des travailleurs. (Pour plus de détails, voir le compte-rendu des travaux de la conférence : Peter Auer et Christine Daniel « The future of work, employment and social protection : the search for new securities in a world of growing uncertainties » IIES, OIT, 2002).

La deuxième conférence, qui s’est tenue à Lyon en 2002, a axé ses travaux sur la dynamique du marché du travail et a examiné les parcours des travailleurs et des chômeurs, les approches du cycle de vie, l’évolution des réglementations et la nécessité de mettre en place des politiques bien intégrées. Le concept de sécurité tout au long de la vie, les transitions protégées sur le marché du travail avec des périodes de travail, d’éducation et de formation de durée variable, ainsi que la protection contre les risques à des périodes particulièrement difficiles du cycle de vie ont été au cœur de cette réunion. L’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale a été considéré comme un élément particulièrement important des marchés du travail modernes et dynamiques caractérisés par une augmentation de la part des femmes dans la vie active. (Voir Peter Auer et Bernard Gazier “The future of work, employment and social protection: the dynamics of change and the protection of workers” IIES, OIT 2002).

La troisième réunion, tenue de nouveau à Annecy en 2005, a constaté que la mondialisation a effectivement amélioré le bien-être général des pays qui y ont participé et contribué à une réduction globale de la pauvreté. Elle a aussi souligné que, pour le grand public, la mondialisation était de plus en plus fréquemment perçue comme un facteur de destruction d’emplois, avec des répercussions négatives sur le parcours de vie des gens et un important moteur d’augmentation des inégalités. S’il a été constaté que les pays les plus touchés étaient ceux qui participaient peu, voire pas du tout, à l’économie de la mondialisation, il a également été reconnu que rares étaient les politiques permettant de dédommager efficacement les perdants de la mondialisation. La conférence a analysé les tendances et schémas d’internationalisation de l’emploi et, après avoir examiné quels étaient les perdants et les gagnants, a proposé de nouvelles politiques de compensation, fondées sur les droits des travailleurs et les normes du travail ainsi que sur des politiques sociales et du marché du travail de nature à instaurer un système efficace de protection sociale et d’adaptation à l’emploi qui conduise à une mondialisation plus juste. (Voir Peter Auer, Geneviève Besse et Dominique Méda « The internationalization of employment : chal-lenge for a fair globalization », IIES, OIT, 2005.)

En conclusion, cette série de conférences organisées par la France et l’OIT, a posé nombre des bonnes questions et proposé un cadre pour l’établissement de normes du travail et de politiques du marché du travail avec pour objectif de piloter la mondialisation aux niveaux national et international afin de la rendre plus équitable. Toutefois, la crise financière de 2008, qui a nécessité des interventions ponctuelles pour faire face aux effets négatifs sur l’emploi, a réduit la capacité de mise en place de cadres de politique sociale et du marché du travail à long terme susceptibles d’accompagner de manière plus durable les chocs de la mondialisation.  L’assouplissement quantitatif a bien fonctionné pour les investisseurs privés, mais il s’est accompagné d’une réduction des dépenses publiques consacrées aux politiques sociales et du marché du travail.

A la lumière des récentes tentatives menée par une grande puissance économique pour réduire la mondialisation et instaurer la préférence nationale, et compte tenu également de la montée du nationalisme en Europe et ailleurs dans le monde, on est en droit de se demander si le paradigme « laisser faire la mondialisation, mais compenser les perdants » est encore accepté comme feuille de route pour l’élaboration de normes et de politiques. Nous constatons en effet que les politiques d’indemnisation sont remplacées par des mesures protectionnistes, et on peut se poser la question de savoir si la série de conférences d’Annecy n’était pas trop optimiste quant à la possibilité d’encadrer la mondialisation avec des normes et des politiques.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la phrase « autrefois, même l’avenir était plus radieux » car l’idée selon laquelle il est possible de gouverner la mondialisation pour la rendre plus équitable est moins répandue aujourd’hui qu’au début des années 2000. C’est l’un des défis majeurs que devra examiner la Commission mondiale sur l’avenir du travail.

* Il s’agit d’une variante de l’expression allemande « früher war auch die Zukunft besser » attribuée à l’humoriste Karl Valentin


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