Histoire du bateau ALBERT THOMAS / Siegfried E. Schoen

Histoire du bateau ALBERT THOMAS / Siegfried E. Schoen

  1. Introduction

Albert Thomas devint en 1919 le premier Directeur du BIT.

Comment auriez-vous réagi 55 ans plus tard à la vue d’un bateau portant nom de l’ancien directeur, battant pavillon des Nations Unies, dans les eaux territoriales du Bangladesh?

Je laisse au lecteur le soin d’imaginer sa réaction ; je voudrais raconter ici comment un bateau portant ce nom est arrivé si loin du lac de Genève.                                         

Le Projet BGD/72/003 et l’achat du bateau HAMAYA MARU

De janvier 1971 jusqu’à décembre 1976, le BIT a exécuté au Bangladesh un  projet de coopération technique dénommé « Centre de formation Narayanganj  du personnel de pont pour la navigation intérieure » (PROJET BGD/72/003).

Le BIT, le PNUD et les autorités gouvernementales  du Bangladesh pour la navigation intérieure, coopéraient au projet. Pour atteindre ses objectifs principaux, la formation effective de personnel de pont,  le document de projet prévoyait l’acquisition d’un bateau approprié. La Branche Maritime (MARIT) du BIT et l’Autorité gouvernementale en charge avaient été pressenties pour trouver un tel bâtiment.

L’instabilité politique et les troubles que connut le Bangladesh durant la mise en œuvre du projet causèrent des retards dans les opérations prévues. Dans cette situation, l’acquisition d’un bateau adéquat pour former du personnel, a dû se faire par sélection directe et non en suivant les procédures habituelles des offres publiques internationales.  Finalement, la recherche d’un bateau dans des pays asiatiques voisins conduisit à identifier comme acceptable, le HAMAYU MARU, un bateau japonais.

Le journal de bord nous fournit les indications techniques suivantes :

Longueur:                     29.69 m
Largeur:                          6.10 m
Tirant d’air:                    2.70 m
Tirant d’eau:                  1.70 m
Tonnage brut:               155.92 tonnes
Moteurs:                        4 temps, 6 cylindres, 600 CV
Construction:               30 avril 1966 par Chantier Kurinoura, Japon

Avant d’être acheté par le BIT, le HAMAYA MARU était utilisé comme ferry, surtout pour le transport de personnes, entre un groupe d’îles japonaises.

D’après une définition simple, un bateau peut être classé comme une pièce d’équipement. En tant que chef à cette époque de la branche Equipement et Fourniture (BEF), il entrait dans mes attributions d’aider MARIT à négocier et conclure l’achat de ce bateau.

Comme je ne connaissais pas tous les arcanes de l’acquisition de bateaux, et sans aucune expérience dans ce domaine, un audit interne me conseilla de contacter à la FAO à Rome le département shipping and transport. J’appris là-bas que la FAO détenait une flotte de bateaux sur une base régulière, qui étaient principalement utilisés pour le transport de grains et autres produits alimentaires. Je reçus de ce département un briefing approfondi qui me fut extrêmement utile par la suite au Japon.

Le contrat de vente du HAMAYU MARU contient en gros les points suivants :

  • le bateau et les transformations à y apporter pour le transformer de ferry en un bateau capable de prendre la mer.
  • un équipage capable de manœuvrer le bateau sans assistance extérieure du Japon au Bangladesh.
  • Au total pour un coût de $US 239.555

Un draft du contrat de vente, préparé conjointement par des officiels de MARIT, LEGAL et moi-même, constitua la base de ma prochaine mission au Japon ayant pour but la conclusion du contrat.

Suite à de longues négociations avec la compagnie japonaise qui possédait le bateau, j’ai signé au nom du BIT le contrat d’achat en son bureau de Tokyo en novembre 1974 (voir la photo de la signature de l’acte avec Albert Thomas la surveillant de son mur). La contrepartie nationale était un représentant de la compagnie vendeuse.

Après un séjour hectique de cinq courts jours à Tokyo, je quittai le Japon avec le sentiment enivrant d’avoir conclu avec succès le contrat d’achat du bateau. J’avais toutefois oublié le dicton qui dit de ne « jamais glorifier une journée avant la tombée de la nuit ».

Quelques semaines après mon retour à Genève, le proverbe prit de l’actualité.  En effet, j’avais reçu un message télégraphique de Tokyo avec le texte suivant : Bateau a quitté son port japonais – hier – à 18 heures. Certificat pour navigation en mer pas encore reçu. Salutations.

Waouh, le bateau parcourait les océans, mais le certificat japonais le déclarant apte à prendre la mer n’avait pas été obtenu, Comment cela était-il possible ? Après tout, cette négligence aurait pu avoir de lourdes conséquences s’il arrivait un accident au détriment de l’équipage et/ou du bateau.  Après une nuit d’insomnie, le jour suivant apporta un autre télégramme plus détaillé confirmant : a) la réception par le bureau du BIT à Tokyo de la certification sur papier de la navigabilité du bateau ; et b) que l’inspection du bateau par le Bureau des voies maritimes japonais avait donné une approbation verbale, avant que le bateau quitte le Japon. Ma pression sanguine revint à la normale.

III. Nouveau baptême du HAMAYA MARU comme étant le ALBERT THOMAS et conclusion.

Avec la signature du contact d’achat, la propriété du bateau changeait obligeant les nouveaux propriétaires à trouver un autre nom que HAMAYU MARU.  L’idée de le baptiser Albert Thomas fut lancée, pour autant que je me souvienne, par Patrick Denby, alors directeur de FINAD. Sa proposition fut  acceptée par le Directeur général, M. Francis Blanchard, et subséquemment, par le représentant local du PNUD et par les Autorités pour la navigation intérieure du gouvernement du Bangladesh.

Pourquoi a-t-on choisi ce nom ? Il était extrêmement signifiant pour le BIT. Albert Thomas ne fut pas seulement le premier directeur du Bureau (1919 – 1932), mais fut également le meilleur ambassadeur de son mandat fondateur, à savoir la promotion de la Justice Sociale dans le monde du travail par une approche tripartite.

Au début de l’année 1975, après 3 semaines de navigation au départ du Japon, via Singapour, le ALBERT THOMAS arriva sain et sauf au Bangladesh, ayant ainsi démontré son excellente navigabilité en haute mer. Arrivé là, il fut mis au service du projet BIT de navigation sur les voies intérieures.

  1. Remerciements et remarques personnelles

Je voudrais remercier les collègues qui m’ont aidée lors de la rédaction de ce papier : Ivan Elsmark, Max Kern, Jaques Rodriguez, and Uwe Seier.

Quant au bateau, son destin m’est devenu inconnu après que la propriété en fut transférée aux Autorités de la navigation intérieure à la fin du projet, en décembre 1976.

Lors de mes 26 années passées au BIT (1968-1994) en tant que professionnel dans les marchés publics internationaux, j’ai traité des centaines de projets de coopération technique et, en conséquence, l’achat de milliers de sortes d’équipements. Pour donner deux exemples d’équipement exotiques, d’une part un modèle de chemin de fer offrant la possibilité de simuler le trafic lors de la formation du personnel des chemins de fer en Egypte et, d’autre part, au Népal l’utilisation d’explosifs et de détonateurs pour la formation du personnel affecté à la construction des routes !

Cependant, l’achat du HAMAYU MARU/ALBERT THOMAS fut pour moi une expérience, à la fois, inoubliable et unique en raison du lien établi avec le nom de l’une des personnalités les plus remarquables de l’OIT : Albert Thomas.


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