Histoire de COOP du BIT ou un long itinéraire a travers le siècle dans le monde de la coopérative / Igor Vokatch

Comité international des Relations intercoopératives, 9-10 février 1931

Histoire de COOP du BIT ou un long itinéraire a travers le siècle dans le monde de la coopérative / Igor Vokatch

«Depuis plus d’un demi-siècle, le Service des coopératives de l’OIT, connu sous diverses appellations à différentes époques, est l’un des plus grands et est probablement le plus grand dépositaire mondial des connaissances sur la coopération….» Alliance coopérative internationale, directeur, P.W. Watkins, 1970.

«Je suis un coopérateur et, à ce titre, j’ai la plus grande confiance en la vertu et l’efficacité de l’esprit coopérative». Albert Thomas, Premier Directeur du BIT, Coopérateur français et membre du Comité central de l’Alliance coopérative internationale.

Albert Thomas et le mouvement coopératif international

Quelques mois seulement après la création de l’OIT elle-même, en mars 1920, la Conférence internationale du Travail (CIT), à sa troisième session, adopta une résolution demandant au Bureau, «étant donné les relations étroites  entre les questions du travail et ceux de la coopération », et pour « accorder une attention particulière à l’étude des différents aspects de la coopération liés à l’amélioration de la situation économique et sociale des travailleurs », a ainsi créé un secteur de la coopérative au sein de  la Division des Renseignements et des Relations.

À la suite d’une décision unanime du Conseil d’administration, le Service des coopératives a été créé au sein du BIT à l’initiative d’Albert Thomas en tant que Centre international de recherche, de documentation, d’information et de conseil en matière de coopérative, ainsi que de liaison avec les organisations coopératives. Le Service a été conçu pour donner suite aux activités de l’OIT en faveur du mouvement coopératif dans le monde entier. Le programme d’activités du service coopératif englobait toutes les formes de coopération et son champ d’observation économique et sociale couvrait un vaste horizon. Les activités du Service des coopératives ont été menées en parfaite harmonie et en collaboration avec les principales organisations coopératives internationales et nationales.

Recueillir, analyser et évaluer les informations sur tous les aspects des activités coopératives et les mettre à la disposition des États membres intéressés sous forme de publications spécialisées constituait la tâche principale. Ces informations ont été mises à la disposition des organisations coopératives, des personnes engagées dans la recherche, des institutions et des administrations publiques. Elles ont également été utilisées en partie pour la préparation de diverses publications par le Bureau, en particulier dans la Revue internationale du Travail. L’édition du «Répertoire international des organisations coopératives (de 1920 à 1988) » et des « Informations coopératives » publiée trimestriellement (de 1924 à 1978) ont aidé le mouvement coopératif à prendre conscience de son développement mondial et de la multiplicité de ses formes.

Des informations sur la coopération ont également été publiées dans le périodique « Informations sociales ». En outre, il était possible de consacrer au mouvement coopératif une section de l’Annuaire international du travail, publication triennale du BIT depuis sa création. Cette section a présenté sous une forme concise la documentation la plus complète pouvant être obtenue sur environ 500 organisations coopératives nationales établies dans 47 pays, ainsi que sur des organisations et institutions coopératives internationales. Aussi, le Directeur du BIT a inclus plusieurs paragraphes sur des questions d’actualité liées aux coopératives dans son rapport annuel.

Albert Thomas a mis cet instrument de recherche et de liaison à la disposition de l’Organisation et du mouvement coopératif. Il a participé plusieurs fois aux congrès de l’ICA (Alliance coopérative internationale). Il y a participé pour l’ultime fois au très représentatif 14e Congrès de l’ICA à Vienne en 1930. La discussion a porté principalement sur la politique économique et Albert Thomas a animé le Comité de politique économique et prononcé un discours.

Il convient de noter que le service coopératif de du BIT a été dirigé à ses débuts par une série de collaborateurs français, tels que M. Georges Fauquet (1920-1932) et son successeur, Maurice Colombain (1932-1947), intitulé  Section des Questions de coopérative et du Service des organisations coopératives; le Service des coopératives a par la suite pris la dénomination de Direction générale des institutions rurales et apparentées, Direction générale des coopératives, Programme des coopératives, Unité coopérative.

Comité international des relations inter-coopératives

Afin de renforcer son influence et son rôle dans le mouvement coopératif international, le Comité de  correspondance pour la coopération a été créé en 1923 par le BIT à son siège à Genève. Au cours de la 17e session, le Conseil d’administration a approuvé la création du Comité de correspondance, composé d’experts nommés par les coopératives les plus qualifiées au regard des missions du Comité. La création de ce comité a apporté une contribution importante au mouvement de coopération au sein de l’OIT, tant sur le plan théorique que pratique. En outre, cela a permis à l’ICA d’être informée de l’ordre du jour de la Conférence.

En grande partie grâce aux efforts du BIT, les questions relatives à la coopération ont été inscrites à l’ordre du jour de la Conférence économique internationale de 1927 à Genève. La Conférence a rassemblé un grand nombre de participants du mouvement coopératif. Le service des coopératives du BIT a présenté deux documents traitant de l’importance de l’organisation coopérative dans la commercialisation des produits céréaliers et laitiers et de la fixation des prix par les coopératives.

En février 1931, le Comité de correspondance pour la coopération devint le Comité international pour les relations inter-coopératives. Il a été créé à la suite des actions entreprises par Albert Thomas lors du XIe Congrès international de la coopération tenu à Gand en 1924 (voir photo page 27), où la discussion majeure sur les relations inter-coopératives a eu lieu à l’initiative conjointe de l’ICA et de la Confédération internationale de l’agriculture, conséquence d’une résolution adoptée par la Conférence économique internationale en 1927.

Le développement des relations entre les mouvements coopératifs de l’agriculture et des consommateurs était l’un des objectifs du Comité international sur les relations inter-coopératives. Le Comité comprenait des représentants de l’ICA et de la Confédération internationale de l’agriculture. Albert Thomas a fait de ce comité un instrument grâce auquel il a donné autant d’élan et d’influence au mouvement coopératif qu’à l’institution qu’il dirigeait. Son double objectif était de promouvoir le développement de relations morales et économiques entre les organisations de coopératives de consommateurs et les coopératives agricoles et de servir d’organe de liaison entre le mouvement coopératif dans son ensemble et l’institution internationale officielle.

Son Président a toujours été le directeur du BIT et son secrétariat a été assuré par le Service des coopératives du BIT. La création de ce comité et son fonctionnement ont parfaitement caractérisé la diversité, l’unité et la continuité de l’action déployée par Albert Thomas, non seulement au sein de l’OIT, mais également au sein du mouvement coopératif français et international. Un lien fort avec le mouvement coopératif a ainsi été établi. Un autre objectif du comité était de maintenir le mouvement coopératif dans son ensemble en contact avec les institutions internationales, en particulier les organisations économiques de la Société des Nations, le BIT et l’Institut international de l’agriculture. Les travaux de ce comité, très estimés, ont été paralysés en 1939 par le déclenchement de la guerre.

Entre les deux Guerres mondiales, la recherche et l’information étaient les principales activités du BIT dans le domaine des coopératives. Le programme d’activités pratiques (coopération technique) a vu le jour en 1932. La première mission d’assistance technique en coopération a été effectuée par des fonctionnaires de l’OIT au Maroc à la demande du gouvernement marocain. Maurice Colombain a donné son avis sur la politique de développement des coopératives. De retour au Maroc en 1937, il est réputé avoir donné un élan au mouvement, en le faisant évoluer vers le logement et l’artisanat et en argumentant en faveur du développement de coopératives dans divers secteurs.

L’exil involontaire à Montréal et l’Après-guerre (1940-1949)

En 1940, le service coopératif du BIT a déménagé avec du personnel réduit à Montréal où son «Centre de travail» était situé dans des locaux mis à disposition par l’Université Mc Gill. Au cours de l’été 1942, le service coopératif du BIT, en collaboration avec la Ligue coopérative des États-Unis et la World Wide Broadcasting Foundation, organisa un congrès inopiné et donna l’occasion aux principaux coopérateurs de l’hémisphère occidental de s’adresser personnellement à une audience pan-américaine pour faire connaître ses réalisations, exposer ses problèmes et exprimer ses espoirs. Les résultats de ce Congrès ont été consignés dans la brochure intitulée «Le mouvement coopératif dans les Amériques», publiée à Montréal en 1943. La préface a été rédigée par Henry A. Wallace, Vice-président des États-Unis.

En 1943, le service des coopératives du BIT a lancé une enquête internationale dans le but de définir le rôle des organisations coopératives dans l’économie durant la période de guerre et de l’Après-guerre. Le mouvement coopératif a eu l’occasion de se préparer, grâce à la formation et à une action spécifique, à prendre sa part dans la vie économique nationale et internationale après la guerre. Des études et des rapports sur la coopération ont été préparés pour des publications générales du BIT, pour différentes Conférences et Commissions du BIT ou pour d’autres Organisations internationales. Le Service des coopératives du BIT a préparé et publié deux guides importants qui attirèrent l’attention de tous les organismes concernés par la réhabilitation et la reconstruction pour mener à bien la coopération sous ses diverses formes et sur ses avantages spécifiques, en tant que moyen de rétablir la santé de la vie  économique et de réparer les destructions  causées par la guerre. Ces ouvrages étaient respectivement intitulés « Organisations coopératives et secours d’après-guerre (1944) » et son ouvrage d’accompagnement, « Le mouvement coopératif et les problèmes actuels », avec une référence particulière à la réhabilitation et à la reconstruction (1945) ; les deux ont parlé de la collaboration entre l’OIT et le mouvement coopératif international dans le monde de l’Après-guerre.

Lors de la 26e session de la Conférence de l’OIT tenue à Philadelphie en 1944, le résultat notable fut la décision de créer un comité de représentants chargé de faire le lien entre le BIT et le mouvement coopératif et de permettre la présence régulière des représentants d’Organisations internationales coopératives à la Conférence en qualité d’observateurs.

En décembre 1948, lors de la 107e session du Conseil d’administration du BIT, l’Alliance coopérative internationale obtint un statut consultatif auprès du BIT.

Dans les années d’Après-guerre sous David Morse,  Directeur général, il est très significatif que le service coopératif ait été  inclus dans le Département Education des travailleurs et Relations (à présent inclus dans ACTRAV) et du Service des relations patronales (inclus dans ACTEMP). Ceci démontre la prise en compte des intérêts de groupes non représentés par ces deux services. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que l’OIT a lancé le programme d’éducation ouvrière. Au fil des années, les activités dans ce domaine ont été soumises à de nombreux changements, mais son objectif d’aide aux organisations de travailleurs a été maintenu et a rencontré le succès.

Avant la Guerre, la Commission internationale des relations inter-coopératives (1931-1939), présidée par le Directeur du BIT a connu le succès mais ne faisait pas vraiment partie du BIT. Par la suite, il avait été décidé d’aller de l’avant et, en mai 1946, le Conseil d’administration du BIT, à sa 98e session, décida la création du Comité consultatif de la coopération. Le Comité a ensuite élu président à l’unanimité M.T.H. Gill, Président de l’ICA et de la Cooperative Wholesale Society (Royaume-Uni). La première réunion a eu lieu à Genève en octobre 1949 afin d’étudier un certain nombre de questions, notamment les possibilités de l’action coopérative dans les pays sous-développés. Dans ses recommandations, il a souligné le besoin d’une étude du droit des coopératives, afin d’aider les gouvernements des pays concernés à établir ou à améliorer « un cadre juridique adapté aux conditions particulières de développement du mouvement coopératif ».

Le Comité devait être composé de représentants du Conseil d’administration et des mouvements coopératifs et de membres ad hoc spécialement invités à y participer. C’est ainsi que le Comité a vu le jour, avec pour objectifs complémentaires d’apporter le point de vue, l’expérience et les conseils des organisations coopératives pour l’examen des problèmes qui préoccupent le BIT, et d’étudier des sujets purement coopératifs comme la législation, les statistiques, l’éducation, les relations inter-coopératives, etc.

Ultérieurement, des suggestions ont été faites par diverses régions du monde concernant l’élargissement du Comité consultatif de la coopération.  À sa création, il comptait environ 15 à 20 personnes. Compte tenu de l’élargissement de la taille du Comité (environ 50), le Conseil d’administration du BIT a décidé en 1953 que le Comité devrait désormais fonctionner en tant que Comité de correspondance pour la coopération. Des membres pourraient être convoqués occasionnellement pour des consultations sur des questions spécifiques.

Pionnier des Programmes d’assistance technique du BIT

À la fin des années 40 et au début des années 50, le BIT entrait dans une nouvelle phase de ses activités qui visait à relancer les effets de la mission au Maroc décrite ci-dessus. Il a été non seulement nécessaire de rédiger des conventions et des recommandations, mais également de donner les instruments nécessaires aux agences, en particulier dans les pays les moins avancés, pour faciliter l’introduction et l’application des principes incorporés dans ces mesures. Certains pays dans le monde en étaient au début de leur développement économique et social et le BIT était convaincu que le mouvement coopératif pouvait les aider dans tous les aspects de leur développement. En diffusant l’idée d’une approche coopérative, le Bureau a servi de pont entre les pays d’Europe et d’Amérique, où le mouvement coopératif existait depuis de nombreuses années, et les nouveaux pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine dotés de  grandes potentialités de développement. Cette période se caractérise également par l’intensification de la participation des gouvernements au développement des coopératives ainsi que par le grand intérêt des Organisations internationales pour le potentiel des coopératives. Les mouvements coopératifs se sont considérablement développés avec de nombreuses ressources gouvernementales et internationales.

En 1948, David Morse a pris ses fonctions de Directeur général. Entre 1949 et 1953, le BIT a intensifié ses activités dans le domaine de la coopération. Les projets allaient d’enquêtes générales ou de  la planification d’ensemble des mécanismes administratifs et promotionnels à des mesures concernant des activités spécifiques telles que les banques coopératives, les coopératives de consommation, les coopératives industrielles, les systèmes coopératifs d’éducation et de formation, etc. Les efforts du BIT, seul ou en collaboration avec d’autres Organisations internationales, ont souligné le rôle potentiel de la coopération dans le développement économique et social et ont de même profité directement au mouvement coopératif dans de nombreux pays. Un certain nombre de réunions se sont tenues sous les auspices du BIT en se  consacrant spécialement à l’examen des questions de coopératives par des experts en coopération.

La coopération figurait également à l’ordre du jour ou dans les discussions d’autres organes de l’OIT. Ainsi, la 26e session de la CIT a inclus des références spécifiques à l’opportunité d’encou-rager les organisations coopératives. Les Conférences régionales de l’OIT en Asie (1947 et 1950) et au Proche et Moyen-Orient (1947) ont toutes deux adopté des résolutions distinctes concernant le développement des coopératives dans leurs régions respectives et ont fait référence à la valeur de l’action coopérative dans des Résolutions sur les impératifs économiques nécessaires au progrès social et aux conditions de vie et de travail des producteurs primaires. La cinquième Conférence des États américains membres de l’OIT (avril 1952) a adopté une résolution sur la coopération, dans laquelle elle a notamment recommandé qu’une enquête générale soit menée sur les progrès réalisés par le mouvement coopératif et a proposé la convo-cation d’une réunion d’experts sur la coopération.

A suivre


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