Avant Versailles : la genèse de l’OIT par David A. Morse 1, Directeur général 1948-70

Avant Versailles : la genèse de l’OIT par David A. Morse 1, Directeur général 1948-70

Commençons par la Conférence de la paix, qui se réunit à Paris en janvier 1919, deux mois après l’armistice ayant mis fin à la première guerre mondiale.

A l’une de ses premières séances, la Conférence instituait une Commission de la législation internationale du travail, avec à sa tête, Samuel Gompers, le premier président de la Fédération américaine du travail. Certains délégués avaient sans doute jugé assez surprenant que la Conférence de la paix mît à l’étude des problèmes du travail au nombre de ses premières préoccupations ; pourtant, tout le monde reconnaissait alors que la situation et l’instabilité qui avaient caractérisé, en 1918 et en 1919, le monde du travail en général et celui de l’industrie en particulier, notamment en Europe, appelaient une action immédiate et constructive.

Il incombait à la Commission, qui se composait de représentants de neuf pays2, de se prononcer sur une question très importante : devait-elle proposer d’insérer dans le traité de paix la constitution, rédigée de façon détaillée, d’une organisation internationale du travail de caractère permanent, ou lui fallait-il se borner à recommander l’adoption d’une déclaration générale de principe, d’une sorte de charge du travail ?

Elle se décida finalement à élaborer la constitution d’une organisation qui serait chargée d’examiner les nouveaux problèmes du travail, à mesure qu’ils surgiraient, et d’aider à les résoudre. En outre, elle décida, mais seulement à titre subsidiaire, d’approuver une liste de principes généraux.

Le rapport de la Commission se composait de deux parties : l’une comprenait la constitution de l’Organisation internationale du Travail proposée, y compris des dispositions relatives aux relations de celle-ci avec la Société des Nations, et l’autre la liste des principes généraux en matière de travail. Ce rapport fut adopté par la Conférence de la paix en avril 1919. Ces deux parties furent ensuite incorporées au traité de Versailles.

Alors que l’on se souvient surtout de la Conférence de la paix de Paris à cause de son oeuvre sans lendemain dans les domaines politique et économique, sa principale décision en matière de politique sociale – la création de l’OIT – exerce toujours une influence de vaste portée dans le monde entier.

Mais avant de parler de la Constitution de l’OIT, j’aimerais faire une brève incursion dans le passé.

Par une curieuse coïncidence historique, c’est presque exactement un siècle avant la Conférence de Paris que les premières propositions d’action internationale pour réglementer les conditions de travail avaient été soumises à une Conférence internationale, le Congrès d’Aix-la-Chapelle en l’occurrence, par l’industriel gallois, établi en Ecosse, Robert Owen. A cette époque, Owen prêchait dans le désert. Quelques années plus tard, toutefois, d’autres employeurs préconisèrent une action analogue : Hindley en Angleterre et Legrand en France.

Du côté ouvrier, l’Association internationale des travailleurs, c’est-à-dire la première Internationale, constituée en 1864, la deuxième Internationale, créée en 1889, et la Fédération syndicale internationale, fondée en 1898, exprimèrent toutes, de différentes façons, les aspirations internationales des travailleurs en ce qui concerne une amélioration de leur sort partout dans le monde.

Quant aux gouvernements, sous l’influence des théories économiques et sociales du XIXe siècle, ainsi qu’à la suite des pressions exercées par les travailleurs ou au nom de ceux-ci, ils ne restèrent pas inactifs. En 1890, après des initiatives prises par le colonel Frey, Président de la Confédération suisse, une Conférence internationale sur les conditions de travail fut convoquée à Berlin par le chancelier Bismarck.


La Conférence de Berlin 1890

Ainsi donc, les employeurs, les travailleurs et les gouvernements ont tous joué un rôle, bien que séparément, dans l’évolution du concept de l’action internationale pour l’amélioration des normes de travail. Toutes ces initiatives ont été inspirées par des hommes qui s’étaient sincèrement préoccupés des conséquences pénibles qu’avaient entraînées, pour les travailleurs, l’industrialisation et les rivalités économiques du XIXe siècle. En 1900 on créa, pour une très large part à la suite de cette « prise de conscience » des problèmes sociaux dans les pays européens, l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs, organisation non gouvernementale qui recevait des contributions volontaires des gouvernements s’intéressant à son activité. Cette organisation, bien que ses travaux n’eussent guère eu d’effets immédiats sur les législations nationales, peut être considérée comme précurseur de l’OIT.

Vers la fin de la première guerre mondiale, les gouvernements alliés, alors qu’ils préparaient la Conférence de la paix, avaient dû tenir dûment compte des conférences ouvrières internationales qui s’étaient tenues pendant le conflit à Leeds, à Stockholm et à Berne pour demander instamment, dans des résolutions, que les conditions de paix comportent, pour les travailleurs, des garanties minima quant à la législation du travail et aux droits syndicaux, en reconnaissance des service signalés qu’ils avaient rendus pendant la guerre, aussi bien dans les usines que sur les champs de bataille.

Tout cela explique la création de la Commission de la législation internationale du travail lors de la Conférence de la paix à Paris, ainsi que l’adoption à l’unanimité, par celle-ci, du rapport de ladite commission.

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1 Directeur général de 1948 à 1970, extrait des Conférences à la Cornell University, 1969.
2 Belgique, Cuba, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Pologne, Royaume-Uni, Tchécoslovaquie (James T. Shotwell, L’Origine et l’évolution de l’Organisation internationale du Travail et son rôle dans la communauté mondiale, vol. I, pp. 128-129).


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