Le Président Roosevelt et la déclaration de Philadelphie / Edward Phelan

Le Président Roosevelt et la déclaration de Philadelphie / Edward Phelan

En 1944, bien que la guerre fit encore rage, la Conférence internationale du Travail se réunit à Philadelphie et là, elle élabora une Déclaration qui non seulement proclamait une fois de plus les buts et les objectifs visés par I’OIT, mais formulait les principes fondamentaux sur lesquels un monde pacifique pourrait être construit. Le Président Roosevelt salua publiquement ce texte comme « réunissant les qualités voulues pour prendre place à côté de la Déclaration d’indépendance ». Ces mots et, en fait, toute l’allocution, où il souligna en termes frappants la valeur qu’il lui reconnaissait, ont sans doute paru à beaucoup refléter l’enthousiasme qu’il ressentait pour son contenu social, qui correspondait sur bien des points à ses propres conceptions. En réalité, à ses yeux, la Déclaration avait un sens bien plus profond et une utilité pratique immédiate. Sa préoccupation essentielle avait été pendant longtemps le problème de la paix. Lorsque, en 1933, il accéda pour la première fois aux fonctions de Président des Etats-Unis, il était pleinement conscient des nuages qui obscurcissaient l’horizon international, mais il se trouva en présence de « conviction profondément enracinées dans son peuple au sujet de l’isolement tant politique qu’économique ». Le problème, ainsi que M. Cordell Hull l’a exposé dans ses mémoires, consistait à trouver un système quelconque de collaboration sur le plan international et d’amener le pays à en comprendre le fonctionnement, sans se hâter de placer l’isolationnisme au rang des questions politiques pressantes pour la nation, ce qui n’aurait eu pour résultat que de faire renverser le gouvernement dès que le peuple américain aurait l’occasion d’aller aux urnes. Dans ces conditions, il n’était pas question d’adhérer à la Société des Nations, mais la Cour internationale de Justice et, ce qui est plus important, l’Organisation internationale du Travail, en raison de son activité permanente, offraient une occasion de convaincre les Américains que les Etats-Unis faisaient partie intégrante du système de collaboration mondiale. Miss Frances Perkins a relaté en détail, sous une forme vivante1, comment le Président Roosevelt guida, en 1933, les diverses démarches qui devaient amener le congrès à autoriser la participation des Etats-Unis à I’OIT. Bien qu’il ne traite que de I’OIT, le chapitre ou elle narre ses conversations avec le Président à ce sujet porte un titre significatif : « Vers une organisation du monde ». Dans la suite du même chapitre, elle relève que Roosevelt, une fois décidée la participation de son pays, ne cessa jamais de s’intéresser à l’OIT, et elle note l’enthousiasme qu’il mit à recevoir les délégués de celle-ci lorsqu’ils vinrent aux Etats-Unis en 1941. « Ce qui fait la valeur de I’OIT, conclut-elle, c’est de donner des résultats qui dépassent sa propre sphère. »

Ces souvenirs évoqués, il est facile de comprendre l’intérêt que le Président Roosevelt a témoigné à l’égard des sessions de la Conférence internationale du Travail réunies à NewYork et à Philadelphie. Les deux sessions, mais plus particulièrement celle de Philadelphie, étaient pour lui une sorte de banc d’essai pour apprécier les possibilités de collaboration sur le plan international. Elles constituaient, comme l’a dit M. Cordell Hull, une « répétition »2 avant une conférence ultérieure qui serait chargée d’élaborer un statut organique devant permettre aux Nations Unies de bâtir une paix durable. Ce qui inspira donc particulièrement l’enthousiasme du Président Roosevelt pour la Déclaration de Philadelphie fut la façon dont – suivant ses propres termes – elle « résumait les aspirations d’une époque » et les situait dans le cadre « d’une paix universelle et durable fondée sur la justice sociale ».

Bien que les discours du Président Roosevelt, rapprochés des écrits de M. Cordell Hull et de Miss Francis Perkins, soient assez lumineux par eux-mêmes, on a eu récemment une confirmation particulièrement intéressante de la place que I’OIT occupait dans sa pensée en corrélation avec l’établissement d’une nouvelle structure de la paix mondiale.

Il s’agit d’une simple feuille de papier sur laquelle ont été jetés une demi-douzaine de mots sous forme de diagramme. Son intérêt réside dans l’origine de ces mots, qui sont de la main même de Roosevelt, et dans les circonstances où ils ont été tracés. Robert Sherwood a récemment conté comment, à Téhéran en 1943, le Président esquissa au Généralissime Staline ses idées sur une organisation de l’après-guerre fondée sur les Nations Unies, dont relèveraient les problèmes de la paix3. Dans son exposé, résumé par Sherwood d’après les documents de Harry Hopkins, le Président proposa la création d’une Assemblée, d’un Conseil exécutif et d’un mécanisme d’application qu’il appelait les « Quatre gendarmes » (I’URSS, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Chine). On ne trouve aucune allusion à I’OIT dans le résumé de l’exposé du Président, ni dans celui de la discussion qui suivit, mais Harry Hopkins conserva la feuille sur laquelle le Président avait noté, soit avant, soit après la discussion les remarques qu’il entendait faire, et le livre de Sherwood contient une reproduction photographique de ce document.

Trois cercles sommairement dessinés y représentent l’Assemblée, le Conseil et les « quatre gendarmes », et, au-dessous, le Président avait écrit « OIT – Santé – Agriculture – Alimentation ».

Ce ne sont pas les sujets dont I’OIT s’occupe qui sont notés – et c’est là ce qu’il convient de relever – mais bien I’OIT elle-même, sans doute parce que le Président la voyait comme une chose allant de soi, comme une institution qui s’insérerait tout naturellement dans la nouvelle structure et poursuivrait son activité dans le nouveau cadre mis en place.

Un long chemin avait été parcouru depuis le jour où, dix ans plus tôt, le Président se rappelant « comment Wilson avait perdu la Société des Nations », autorisait Miss Perkins à prendre prudemment des mesures préliminaires en vue de l’adhésion des Etats-Unis à l’OIT4. Dans toute l’histoire des efforts déployés pour édifier la paix mondiale, l’élément central est cette transformation de l’attitude des Etats-Unis, passant d’une position d’extrême isolement à l’exercice d’un rôle actif de premier plan dans la création des Nations Unies.

C’est à I’OIT que revient l’honneur d’avoir ouvert la voie à cette évolution.

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1 Voir Frances Perkins: The Roosevelt I Knew (New-York, The Viking Press, 1946), pp.337-346.

2 M. Hull indique que ce même motif a également joué un rôle dans la convocation de la Conférence de Bretton Woods et de la Conférence de l’alimentation et de l’agriculture. Voir The memoirs of Cordell Hull (New York, The Macmillan Company), vol I, pp. 176 et 177.

3 Voir Robert E. Sherwood: Roosevelt and Hopkins: An Intimate History (New York Harper and Brothers, 1948).

4 Frances Perkins: op. cit., p. 340.


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