Le BIT hors des écrans radar / Michel Voirin

Le BIT hors des écrans radar / Michel Voirin

Category : Message68

C’est souvent par la presse que les retraités résidant hors de Genève ont des nouvelles du BIT. Les lecteurs du journal Le Monde ont ainsi pu prendre connaissance le 20 mars 2020 d’une étude « de l’OIT » (le BIT n’étant pas cité) concernant les conséquences du coronavirus sur l’emploi dans le monde, mais ils n’ont sans doute pas manqué de tiquer, comme moi, en voyant une fois de plus le DG qualifié de Directeur général de l’OIT. Ce n’est certes pas la première fois que cette appellation apparaît dans la presse même si c’est encore assez récent. J’avais d’abord cru à la méprise d’un journaliste mais un sondage dans le Guardian en ligne m’avait montré que la pratique était généralisée et ne faisait sans doute que refléter des communiqués du service de presse du BIT. Les observateurs extérieurs apprennent d’ailleurs, toujours par les médias, que le changement ne se limite pas au DG et que les chefs d’unités administratives du Bureau, lorsque leur activité est évoquée, se disent eux aussi, « de l’OIT ».

Le recul pris par les retraités par rapport au Bureau et à ses instances dirigeantes les autorise à s’interroger dans les pages de Message sur les raisons, le bien-fondé et la portée du nouvel usage. S’agit-il d’harmoniser l’appellation du Directeur général avec celles des chefs de Secrétariat des autres institutions spécialisées de la famille des Nations-Unis ? ou de chercher à donner plus de poids au DG en se référant à l’OIT ? Un tel changement a malheureusement pour contrepartie, qu’on le veuille ou non, d’occulter le BIT. Il revient à considérer comme négligeable l’identité qu’avaient conférée au Bureau les fondateurs de l’Organisation, car, au-delà du titre emblématique du Directeur général, c’est la spécificité même du Bureau qui est en cause. Un tel changement aboutit à ravaler au rang de simple Secrétariat l’institution hautement réputée qu’il était advenu sous l’impulsion et la lancée d’Albert Thomas, et dont l’expertise, référence obligée, était universellement reconnue. Aurais-je donc passé l’essentiel de ma carrière dans une institution fantôme ? Le BIT cède, il est vrai, du terrain à l’OCDE dont les travaux, qui concerne les membres de celle-ci. Mais, à la retraite pour ma part depuis 1990, je ne puis témoigner que de la période que j’ai connue.

Soyons clairs : l’appellation « Directeur général de l’OIT » est dépourvue de tout fondement car le poste correspondant n’existe pas. La pérennisation de cette nouvelle appellation serait même contraire à la constitution de l’OIT, qui dispose en son article 2, faut-il le rappeler, que l’Organisation comprend une Conférence générale, un Conseil d’administration et le Bureau international du Travail sous la direction d’un Conseil et, en son article 8, que le Directeur général est désigné par le Conseil d’administration.

Rien n’interdirait, bien sûr, d’amender la constitution. Je ne sache pas qu’une procédure en ce sens, dont le déroulement pourrait se révéler long, ait été engagée. Je doute même que le Conseil d’administration serait enclin à mettre à l’ordre du jour de la Conférence un projet d’amendement qui reviendrait à diminuer ses propres prérogatives. La réforme impliquerait en effet la nomination du Directeur non plus par le Conseil mais par la Conférence comme dans les autres institutions spécialisées. Si tel était le cas, un candidat issu d’une confédération internationale de travailleurs aurait d’ailleurs à l’avenir moins de chance d’être désigné car, comme chacun sait, les représentants des travailleurs comme ceux des employeurs ont moins de poids à la Conférence qu’au Conseil par rapport à ceux des gouvernements, étant donné la différence de répartition des sièges entres les groupes.

Les tenants et aboutissants d’un changement d’appellation du Directeur général et, à sa suite, des services du Bureau ont-ils été évalués ? Il est permis d’en douter et de penser qu’on ne s’est pas embarrassé de la légalité ou plutôt de la constitutionalité de cette opération. Comme le BIT est la seule composante permanente de l’Organisation, beaucoup en viennent, il est vrai, parfois à penser qu’il incarne l’OIT. Mais explication n’est pas justification et un changement de titulature du Directeur général ne peut être fondée sur une confusion. Faute d’amendement de la constitution elle-même, ce que personne semble-t-il n’a envisagé, ce changement de titre ne peut être qu’une pratique et ne revêt aucun caractère définitif bien que des habitudes se prennent. En interne, même si certains membres du personnel sont peut-être conscients de l’inconséquence de la nouvelle titulature, ils ne se sont bien sûr pas hasardés, on le comprend, à reconnaître que « le roi est nu » ; quant aux nouvelles générations d’actifs voire de retraités qui ne sont sans doute pas conscientes de la notoriété et de la réputation du BIT ainsi que du capital que cela représente, elles ne mesurent peut-être pas non plus que la nouvelle pratique récente conduit à la disparition du Bureau de la scène internationale par sa sortie, en quelque sorte, des écrans radar. On ne saurait pourtant pas assez souligner que l’existence et la spécificité du Bureau international du Travail constituent, de même que le tripartisme, une particularité qu’il convient d’assumer et non d’occulter.


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