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L’élection d’Albert Thomas à la direction du BIT / Carl V. Bramsnaes

Qui serait le premier directeur du Bureau international du Travail? C’était là une question capitale qui se posait lors de la première session de la Conférence de l’OIT, tenue à Washington au cours de l’automne 1919.

La Conférence avait été convoquée à Washington sur l’invitation du président Wilson, mais l’attitude des Etats-Unis quant à leur participation à l’œuvre de la nouvelle institution mondiale créée par la Conférence de la Paix à
Paris demeurait incertaine, et les candidats pour l’élection du premier directeur ne pouvaient guère être qu’un Anglais ou un Français.

L’organisateur de la Conférence était Harold Butler. Comme haut fonctionnaire britannique, il avait, pendant la Conférence de la Paix, joué un rôle très important dans la commission qui s’occupait des problèmes sociaux, et avait participé à l’élaboration de la Partie XIII du Traité, qui constituait la base même de l’Organisation internationale du Travail. Ce n’était certes pas tâche facile que d’organiser une telle conférence pour la première fois alors qu’on ne disposait d’aucune expérience en la matière ; une grande habileté et une longue patience étaient nécessaires. Harold Butler avait montré qu’il était capable d’organiser. La Conférence en elle-même eut un plein succès quant à ses résultats sur le plan social, puisque plusieurs très importantes conventions furent adoptées presqu’à l’unanimité par les trois éléments de la Conférence. Dans ces conditions, le nom de Harold Butler fut mis en avant dans les discussions privées au sujet de l’élection du premier directeur du BIT.

Un autre nom fut également mentionné, celui d’Arthur Fontaine, chef de la délégation française à la Conférence. Fontaine avait été à Paris l’un des plus éminents représentants des groupements qui avaient préparé la partie sociale du Traité de Paix. En dehors des discussions concernant les noms, l’idée fut également émise qu’il conviendrait d’ajourner à une date ultérieure l’élection d’un directeur.

Tel était le cadre dans lequel se déroula l’élection. Que se passa-t-il, en l’occurrence? Les membres du premier Conseil d’administration avaient été élus par la Conférence. L’un des Etats Membres élus était le Danemark ; en ma qualité de délégué du gouvernement danois, j’eus l’occasion de participer aux réunions du Conseil d’administration. A la première séance de l’organisme nouvellement élu, Arthur Fontaine fut nommé président, tout d’abord à titre provisoire, puis, après quelque débat, et sous la pression du groupe des travailleurs, à titre définitif.
Cette élection – qui ne répondait peut-être pas à ses propres vœux – éliminait Fontaine en tant que candidat éventuel au poste de directeur. Le groupe des travailleurs, qui souhaitait une décision définitive, insista de nouveau pour que l’on procédât immédiatement à l’élection d’un directeur – et cela réservait une surprise!

Lorsque l’on compta les suffrages émis au scrutin secret, on constata que trois voix seulement s’étaient prononcées en faveur de Butler contre neuf en faveur d’Albert Thomas, plusieurs membres s’étant abstenus. Comme le nombre des suffrages exprimés était assez restreint, on procéda à un nouveau scrutin dont le résultat fut qu’Albert Thomas obtint encore la majorité contre Butler, bien que cette majorité fût réduite.

Il est hors de doute que le groupe des travailleurs avait été l’élément décisif au sein du Conseil d’administration lors de cette élection, et que le groupe des employeurs avait fourni l’appui nécessaire pour aboutir à l’élection d’Albert Thomas. Autant que je sache, la plupart des membres gouvernementaux, lors du deuxième scrutin, votèrent en faveur de Butler. Le nom d’Albert Thomas n’avait jamais été mentionné au cours des discussions entre les délégués gouvernementaux à la Conférence.

Du point de vue technique, Albert Thomas a été l’outsider lors de cette élection, mais il méritait de gagner. Harold Butler s’était révélé un homme possédant des capacités remarquables et une grande habileté, mais, pour édifier le BIT, Albert Thomas avait des qualifications supérieures. Son dynamisme débordant, son immense énergie, son enthousiasme communicatif étaient des qualités indispensables pour donner à la nouvelle organisation cette place éminente dans les affaires sociales du monde que le BIT ne tarda pas à occuper.

En collaboration avec Albert Thomas, Harold Butler, comme Directeur adjoint, fit bénéficier le Bureau de ses qualités d’administrateur et de son intelligence de la façon la plus efficace; il fut un excellent successeur à la direction du Bureau après la disparition d’Albert Thomas. Mais 1’OIT n’aurait pas été, sans Albert Thomas, l’organisation sociale par excellence.

La Partie XIII du Traité de Paix décrivait l’Organisation internationale du Travail – il appartenait à Albert Thomas de la créer.

J’ai encore présente à l’esprit la dernière session du Conseil à laquelle Albert Thomas participa, et sa dernière Conférence. Toutes deux eurent lieu en avril 1932, à une époque où l’une des plus terribles crises économiques ébranlait le monde, et où le chômage avait atteint un niveau sans précédent. Tous ceux qui ont connu Albert Thomas comprendront qu’il ait considéré comme une obligation pour son organisation d’adopter des propositions susceptibles d’atténuer les répercussions de la crise. Alors même qu’il était affaibli par une grippe prolongée, il se dressa avec son énergie et son esprit combatif habituels pour défendre une résolution dans ce sens devant le Conseil d’administration, devant une commission de la Conférence et devant la Conférence elle-même. Ce n’était pas là une tâche aisée, mais la Conférence finit par adopter la résolution par 73 voix contre 3. Seule la personnalité et la grande ferveur d’Albert Thomas pouvaient permettre d’obtenir un tel résultat.

Ce fut là sa dernière victoire. La Conférence prit fin le 30 avril. Huit jours plus tard, Albert Thomas mourait à Paris.


Quelques à-côtés de l’histoire du BIT / Frangois Agostini

Dès l’origine, le titre officiel du BIT semble avoir donné lieu à quelque confusion. En effet, au cours des années 20, deux dénominations officielles ont coexisté pendant quelque temps: « Organisation permanente du Travail » et « Organisation internationale du Travail ».

Laquelle des deux était la bonne ?

Par exemple, la couverture du texte bilingue de la Constitution, dans l’édition parue en octobre 1921, porte le titre « Permanent Labour Organisation » et « Organisation permanente du Travail ». Puisqu’il s’agissait d’un mouvement officiel, force est d’admettre la validité de cette dénomination. Cependant un autre document officiel, adopté antérieurement, donne une toute autre indication. Le « Règlement » (Standing Orders) de la Conférence, adopté à Washington le 21 novembre 1919, mentionne expressément « l’Organisation internationale du Travail » dans son article premier.

Il semble donc que les deux dénominations aient coexisté pendant quelques années, jusqu’à ce que le titre « Organisation internationale du Travail » se soit imposé. Quand, exactement ? Difficile à dire. Ce qui est certain c’est que l’évolution a été plus lente en français qu’en anglais, si l’on en croit plusieurs auteurs: M. Gerreau, « Une nouvelle institution du Droit des Gens, l’Organisation permanente du Travail », Paris 1923; E. Mahaim « L’Organisation permanente du Travail », Paris, Hachette, 1923; C. Argentieu, « Les résultats acquis par l’Organisation permanente du Travail, 1919-1929 », Paris, Sirey, 1930. Et pourtant Albert Thomas intitulait « L’Organisation internationale du Travail » le long chapitre documenté qu’il écrivit pour la série publiée au Danemark en 1924 sur « Les origines et l’oeuvre de la Société des Nations ». L’Annuaire de la S.D.N. utilisait le même titre.

En conclusion, on peut dire que si le titre « Organisation permanente du Travail » a bien failli, à l’origine, être retenu comme titre officiel de l’Organisation il a rapidement perdu du terrain (et apparemment plus vite en anglais qu’en français) devant celui de « Organisation internationale du Travail », qui s’est finalement imposé.


1919: la première Conférence internationale du Travail / Harold B. Butler, Directeur 1932-1938

Harold B. Butler (1883-1951) fait ses études à Oxford et rejoint la fonction publique britannique en 1907. En 1917 il est le collaborateur du ministre au ministère du travail. En 1918, avec Edward Phelan et Malcolm Delevigne, il rédige un programme pour la Section sur le travail dans le futur traité de Paix qu’examinera la Conférence de la Paix. En 1919, il est nommé Secrétaire du Comité d’organisation puis Secrétaire général de la première Conférence internationale du Travail à Washington DC. Pendant les premières années du BIT, il occupe le poste de Directeur-adjoint chargé de l’administration et des finances. En 1932, il succède à Albert Thomas comme Directeur du BIT. Il démissionne en 1938 et devient Directeur du Huffield College à Oxford. De 1939 à 1941 il est Commissaire à la Défense civile puis ministre plénipotentiaire à l’Ambassade du Royaume Uni à Washington DC de 1942 à 1946.

Butler a joué un rôle important pour le succès de la première Conférence comme Edward Phelan plus tard a écrit : « Lorsqu’une difficulté venait à se présenter devant la Conférence, spécialement une question constitutionnelle ou de procédure, on prêtait une oreille particulièrement attentive à ceux qui avaient participé à l’élaboration de l’Organisation à Paris, et notamment au Secrétaire général, M Butler. » Nous exprimons notre sincère gratitude à M. Jean-Jacques Chevron qui a bien voulu traduire ce texte.

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Le Traité de Paix avait prévu la composition d’une Conférence internationale du Travail annuelle mais laissé à celle-ci le soin de définir sa propre procédure. Le Comité d’organisation a donc consacré beaucoup de soin et de travail à la rédaction d’un Règlement provisoire qui fut adopté à la deuxième séance de la Conférence mais renvoyé à un Comité spécial pour un nouvel examen. Le Comité, après des débats prolongés, soumit à la Conférence un texte révisé de Règlement en 20 articles qui fut ainsi adopté définitivement. Ce dernier n’appelle pas ici de commentaire particulier mais deux observations d’ordre général. En premier lieu, l’expérience a démontré la sagesse du Comité d’organisation et de la Conférence qui mit en place la procédure parlementaire de la Conférence, dès le début. La pratique varie considérablement d’un pays à l’autre. Les pouvoirs du président, la façon dont il convient de traiter les résolutions, la procédure de vote, la clôture des débats, sont des questions d’importance fondamentale dans la conduite de n’importe quelle réunion mais, comme le Comité en fit la remarque, sont traitées de façon très diverse dans les assemblées à travers le monde.

Il ne fut pas possible de trouver pour chaque disposition une règle qui satisfasse tout le monde. Il fallut s’en souvenir et admettre que les procédures suivies par n’importe quel pays ou groupe de pays ne pouvaient être insérées dans le Règlement.

De fait, celui-ci constitua le premier Règlement jamais élaboré, établissant un compromis entre un grand nombre de pratiques nationales. Bien qu’il ait fait de temps à autre l’objet d’amendements, le Règlement a, dans l’ensemble, montré son efficacité dans son application et rendu un grand service à l’Organisation en mettant à sa disposition un ensemble de règles auxquelles les délégués à la Conférence se sont progressivement habitués. La rapidité qui en est résultée dans le traitement des affaires de la Conférence et l’absence de confusion dans l’application des procédures a évité à la CIT beaucoup d’heures de travail et de pertes de patience.

La deuxième question qui attire l’attention est l’émergence du problème linguistique dès la première Conférence tenue sous les auspices de l’Organisation internationale du Travail. Le vicomte d’Eza, représentant le Gouvernement de l’Espagne, demanda que l’espagnol fût reconnu comme troisième langue officielle. Il attira l’attention sur le grand nombre de pays hispanophones et sur les difficultés que rencontraient nombre de leurs délégués, particulièrement les délégués travailleurs, à suivre les débats en anglais et en français. Sa demande en fit naître d’autres, similaires, pour la reconnaissance de l’allemand et d’une des langues slaves. En fait un accord avait déjà été conclu aux termes duquel la traduction des débats en espagnol serait quotidiennement mise à disposition des délégués aux frais du Gouvernement américain.1 Aucune réunion internationale ne peut se dérouler efficacement sans que la grande majorité des délégués puisse en suivre les débats de façon satisfaisante. A la Conférence internationale du Travail, où les délégués ne jouissent pas de cet avantage, la nécessité d’interpréter pour eux les débats – autant que possible dans un nombre important de langues – fut très vite jugée impérative.


L’ouverture de la Conférence

La Conférence de Washington créa un autre précédent de portée considérable dans l’histoire de l’Organisation en reconnaissant l’existence des groupes d’employeurs et de travailleurs. Lorsque le Traité de Paix fut signé il n’avait probablement pas été prévu que les délégués des employeurs et ceux des travailleurs – nécessairement liés, respectivement, par une sympathie et des intérêts communs – auraient tendance à se regrouper en blocs distincts en vue d’une unité d’action. Quoiqu’il en soit, aucune disposition du Traité ne laisse penser qu’une telle situation était alors envisagée. Pourtant, avant même que la Conférence ne se réunisse pour la première fois, les deux groupes avaient commencé à prendre forme.

Pour ce qui était des employeurs, le germe d’une telle organisation existait déjà. En 1911, M. Olivetti avait organisé le premier Congrès des organisations patronales de l’industrie et de l’agriculture (Congresso internazionale dell’ organisazioni padronali dell’ industria e dell’ agricoltura). De cette réunion naquit l’idée de créer un Centre d’information international pour les employeurs et en 1913 M. Carlier et M. Lecocq, à l’époque respectivement président et secrétaire du Comité central industriel de Belgique, prirent des contacts dans divers pays d’Europe pour trouver des soutiens en vue de la création d’un tel Centre. Lors d’une réunion tenue à Paris en juin 1914, sa création fut décidée et MM. Carlier et Lecocq en furent respectivement nommés président et secrétaire. La guerre empêcha la réalisation de ce projet, mais ils le relancèrent lorsque fut annoncée la convocation de la Conférence de Washington. En arrivant à Washington, ils prirent l’initiative, de concert avec M. Guérin (France) et M. Marjoribanks (Grande-Bretagne), d’inviter les délégués employeurs à une réunion au ministère de la Marine le 28 octobre, veille de l’ouverture de la Conférence. A partir de cette date ce fut le groupe des employeurs, ainsi créé, qui procéda aux désignations par les employeurs pour la vice-présidence, la composition des comités et, finalement, la composition du Conseil d’administration. Il décida, lors de ses réunions, de la politique qu’il convenait d’adopter sur la plupart – sinon toutes – des questions donnant lieu à un débat, et une série d’importants amendements au projet de convention sur la durée du travail fut présenté au nom du groupe des employeurs dans son ensemble. Finalement, avant la fin de la Conférence, le groupe rédigea et adopta le 23 novembre les statuts d’une Organisation internationale des employeurs permanente.

La formation du groupe des travailleurs allait encore plus de soi et exigea fort peu de préparation. La Fédération internationale des syndicats venait tout juste d’être reconstituée à Amsterdam et avait joué un rôle prépondérant dans l’admission de l’Allemagne et de l’Autriche qui avait précédé l’ouverture de la Conférence. Son autorité était indiscutable, au-delà de la contestation et de la critique. Elle alla jusqu’à exiger que tous les délégués travailleurs fussent choisis en accord avec les organisations affiliées à la Fédération, Dans ce contexte, il était naturel que les dirigeants de la Fédération, eux-mêmes délégués à la Conférence, agissent de façon unie et, dès le départ, constituent un groupe discipliné de leurs camarades travailleurs. Le 1er novembre, deux jours après l’ouverture de la Conférence, M. Mertens, en sa qualité de président du groupe des travailleurs, informa le Secrétaire général de la Conférence que M. Oudegeest avait été nommé secrétaire du groupe. Tout comme le groupe des employeurs, celui des travailleurs tint des réunions régulières pendant la Conférence et soumit une série d’amendements de groupe au Comité chargé de la rédaction du projet de convention sur la durée du travail. Comme pour les employeurs les désignations des travailleurs pour la composition des comités et du Conseil d’administration furent décidées lors de discussions au sein du groupe des travailleurs.

Il serait hors de propos de commenter ici la part importante que ces formations naturelles ont joué depuis dans les travaux de l’Organisation. Bien que, de temps à autre, elles aient été critiquées pour avoir introduit un élément de discipline trop fort et, par conséquent, fait obstacle à l’expression d’opinions individuelles, il ne fait aucun doute que sans l’expression collective des points de vue des employeurs et des travailleurs pendant les débats de la Conférence et les négociations paritaires en vue de parvenir à un accord qu’elles ont rendu possible, la solution des problèmes aurait été infiniment plus ardue et les résultats moins satisfaisants. Bien plus, l’existence de ces groupes a aidé à préserver et à renforcer le caractère tripartite essentiel de la Conférence. Il en est aussi résulté que la Conférence a pu examiner les questions, moins sous l’angle des points de vue nationaux et davantage sous celui de leur importance technique et de leur portée, du point de vue de ceux qui participent à la production industrielle.

L’orientation ainsi donnée, dès le départ, au travail de la Conférence a certainement été en harmonie avec les espoirs et les intentions de ceux qui avaient rédigé la Partie XIII du Traité de Paix. Leur objectif avait été de créer un parlement au sein duquel tous les points de vue dont il faut nécessairement tenir compte pour déterminer les conditions de vie et de travail dans l’industrie, fussent pleinement entendus. Dans l’ensemble, la formation des groupes employeurs et travailleurs a assurément contribué à atteindre cet objectif.

Une autre décision, prise au cours des premiers jours de la Conférence de Washington, renforça même cette orientation. Le débat acharné qui avait eu lieu au Comité de la Conférence de la Paix sur la question de savoir s’il fallait accorder un simple ou un double vote aux délégués gouvernementaux était encore dans la mémoire de nombreux délégués. Ceux qui s’étaient fait les avocats de l’attribution du vote simple aux gouvernements tout en acceptant la décision finale de bonne grâce, estimaient qu’ils pourraient raisonnablement demander une compensation. En conséquence, il fut accepté qu’en ce qui concerne la composition des comités mis en place pour traiter les diverses questions inscrites à l’ordre du jour, les employeurs et les travailleurs seraient – en nombre – à égalité avec les gouvernements, bien que la Commission de proposition se soit abstenue sur la question de principe.

Cet accord, toutefois, ne fut pas appliqué à la Commission de proposition que l’on estimait devoir être composée de la même façon que le Conseil d’administration et qui, en conséquence, devint presque identique à celui-ci. La constitution de la Commission de proposition fut un autre exemple heureux de ce qu’avait envisagé le Comité d’organisation. Il avait prévu qu’il serait nécessaire de créer une sorte d’organe de la Conférence, pleinement représentatif de ses divers groupes, auquel toutes les questions relatives à ses travaux pourraient être renvoyées. De cette façon, de longs débats de procédure purent être évités et il fut possible de parvenir à des décisions sur la conduite générale des débats, la création de commissions et d’autres questions d’ordre général qui n’auraient pu être traitées de façon rapide et satisfaisante en séance plénière par la Conférence. Là encore fut établi un important précédent qui prouva par la suite son utilité et créa un rouage essentiel de toutes les Conférences internationales du Travail.

Finalement, il convient de dire quelques mots du travail de secrétariat de la Conférence. Comme le Bureau international du Travail n’existait pas encore, le secrétariat fut inévitablement constitué un peu n’importe comment en recrutant les éléments qui étaient disponibles. Certains de ses principaux membres avaient déjà acquis quelque expérience dans les équipes de la Conférence de la Paix et du Comité d’organisation. D’autres furent empruntés au Secrétariat embryonnaire de la Société des Nations, tandis que les travaux d’exécution furent, pour l’essentiel, confiés à du personnel local américain recruté sur place. La différence essentielle entre la Conférence et d’autres réunions internationales qui l’avaient précédée résidait dans le fait que ses hauts fonctionnaires avaient tous été choisis parmi toutes sortes de nationalités différentes alors que le secrétariat proprement dit était organisé non en fonction des nationalités mais selon une méthode fonctionnelle.

Bien entendu on rencontra de très grandes difficultés à transformer en une équipe efficace un personnel recruté aussi rapidement parmi des éléments aussi hétérogènes. Néanmoins l’expérience de Washington permit de conclure qu’il était possible d’obtenir une coopération loyale et un haut niveau de résultats d’un personnel international. Comme le Secrétaire général en fit la remarque à la fin de la Conférence, le personnel exécuta ses tâches avec un grand enthousiasme car il avait compris qu’il participait à un grand événement et démontré, par le succès de ses efforts, que « la coopération internationale peut aussi bien réussir au royaume de l’administration que la Conférence a démontré qu’elle le peut au royaume de la législation. »

Le Conseil d’administration

Comme on l’aura déjà compris, l’un des traits marquants de la Conférence de Washington fut la façon dont elle mit en lumière les principaux problèmes liés aux objectifs et à la structure de l’Organisation internationale du Travail. Et notamment la façon dont étaient traitées les questions concernant les pays d’outre-mer. Avant la guerre aucun pays extérieur à l’Europe n’avait participé aux réunions convoquées sous les auspices de l’Association pour une Législation internationale du Travail. Ceci était dû, en partie, à l’origine et aux motivations purement européennes de cette dernière et, en partie également, au développement comparativement plus modeste de l’industrie dans les pays d’outre-mer à l’exception des Etats-Unis ; et même ces derniers ne faisaient que commencer à exporter des produits manufacturés sur une grande échelle. Les besoins considérables en matériel de guerre et les obstacles placés par la guerre au transport maritime avaient privé les pays d’outre-mer de la plus grande partie des approvisionnements qu’ils étaient habitués à recevoir des usines européennes. Durant cette période, nombre d’entre eux en étaient venus à développer des activités industrielles pour satisfaire leurs propres besoins, tandis que certains – tels le Japon et le Canada – avaient même été encouragés à produire des biens destinés à l’exportation, que ce soit pour approvisionner les belligérants, dont les besoins en munitions étaient pratiquement sans limites, ou pour s’emparer de marchés d’outre-mer qui avaient des besoins urgents en produits que les pays belligérants n’étaient plus en mesure de fournir.

En conséquence, l’industrialisation avait fait de grands progrès pendant la guerre dans les pays d’outre-mer – tout particulièrement en Asie et en Amérique – qui avaient donc commencé à rencontrer des problèmes industriels et sociaux auxquels, auparavant, ils prêtaient peu d’attention. Il était donc naturel qu’ils s’attendissent à jouer un rôle plus important dans les délibérations de la Conférence ainsi que dans les principales commissions.

Pendant la Conférence, cette question apparut au premier plan en deux occasions : la première lors de la création de la commission chargée de traiter des migrations ; la seconde lors de l’élection du Conseil d’administration.

Le rapport de la commission sur le chômage avait proposé, entre autres, l’adoption d’une résolution recommandant au Conseil d’administration de nommer une commission chargée des problèmes migratoires. M. Gemmill délégué des employeurs d’Afrique du Sud présenta le 25 novembre un amendement tendant à ce que « la représentation des Etats du continent européen dans la commission soit limitée à la moitié du total de la composition de la commission. » Il justifiait sa position en soulignant que les migrations étaient une question qui intéressait également les pays européens et d’outre-mer et que les intérêts de ces derniers étaient au moins aussi engagés que ceux des premiers. L’amendement fut finalement adopté, montrant ainsi le rôle que les pays d’outre-mer entendaient jouer dans la vie de l’Organisation.

Cette motion, toutefois, n’aurait pu être présentée avec autant de force si la question de l’élection du Conseil d’administration avait été réglée de façon différente. Cette élection avait été placée à l’ordre du jour de la Conférence le 25 novembre. Elle avait fait l’objet de longues discussions et de négociations à la Commission de proposition où les pays d’outre-mer avaient revendiqué beaucoup plus de sièges qu’ils ne s’en étaient finalement vu attribuer. Dans le cas du groupe gouvernemental, huit des douze sièges disponibles avaient déjà été attribués par le Traité aux huit Etats ayant l’importance industrielle la plus considérable. Parmi eux, le Japon et les Etats Unis étaient les seuls pays d’outre-mer qui avaient été inclus dans la liste proposée par le Comité d’organisation. En conséquence, la délégation indienne émit une protestation, faisant valoir que l’Inde devait se voir reconnu le droit d’y être incluse et son premier délégué, M. Louis Kershaw, refusa de prendre part à l’élection jusqu’à ce que le Conseil de la SdN se soit prononcé sur l’objection formulée par l’Inde. Il restait alors quatre gouvernements à élire par les délégués gouvernementaux présents à la Conférence en dehors de ceux représentant les huit Etats ayant l’importance industrielle la plus considérable. L’élection permit à l’Argentine, au Canada, à la Pologne et à l’Espagne d’accéder aux sièges vacants. Il fut aussi proposé que dans le cas d’une vacance éventuelle, le Danemark puisse se voir attribuer le siège en question, une disposition permettant de faire face à la situation au cas où les Etats Unis ne ratifieraient pas le Traité.

En conséquence, quatre des douze sièges gouvernementaux furent attribués aux représentants de pays d’outre-mer. Ultérieurement, lorsque le Conseil de la SdN dressa la liste des huit Etats ayant l’importance industrielle la plus considérable, elle y inclut non seulement l’Inde mais aussi le Canada, attisant ainsi le sentiment d’injustice qui prévalait parmi les délégués d’outre-mer à Washington.
Malgré les efforts tendant à assurer une représentation de l’outre-mer au sein du groupe des employeurs, celui-ci nomma en fait six représentants européens tandis que le groupe des travailleurs, qui avait catégoriquement rejeté le critère de la nationalité dans le processus de sélection, nomma cinq Européens et un Canadien pour le représenter au Conseil d’administration.

En conséquence, le premier Conseil d’administration comprit vingt membres européens sur un total de vingt-quatre. Ce résultat provoqua une protestation vigoureuse des délégués d’outre-mer qui prit la forme d’une résolution présentée par M. Gemmill et appuyée par un grand nombre de délégués d’outre-mer, exprimant « leur désapprobation de la composition du Conseil d’administration du Bureau international du Travail dans la mesure où pas moins de vingt membres de ce Conseil sur vingt-quatre sont des représentants de pays européens. » M. Fontaine estimait, par contre, que la vocation des pays à devenir membres du Conseil d’administration ne devait pas être déterminée en termes de répartition géographique mais à l’aune de leur développement industriel et de leur expérience ainsi que de l’importance de leurs intérêts industriels.

Quand la question fut mise aux voix, la Conférence était divisée de façon égale. La motion de M. Gemmill fut adoptée par quarante-quatre voix contre trente-neuf, la majorité étant composée de trente-cinq délégués d’outre-mer, comprenant les délégués des travailleurs du Guatemala, de l’Inde, du Japon, du Pérou et de l’Afrique du Sud et de quatre voix européennes. La minorité était composée, à une exception près, de délégués européens, mais la plupart des délégués des travailleurs et un certain nombre d’autres s’abstinrent de prendre part au vote.

Mieux encore, l’initiative prise à Washington par M. Gemmill se révéla le point de départ d’une révision de l’Article 393 du Traité lui-même afin de donner une meilleure représentation aux pays d’outre-mer.

Néanmoins, malgré les divergences qui avaient surgi à propos de la distribution des sièges, la Conférence procéda à la formation du Conseil d’administration qui, de ce fait, siégea pour la première fois à Washington. C’était un pas d’une extrême importance dans le démarrage des travaux de l’Organisation. On sentait, particulièrement au sein du groupe des travailleurs, qu’il était impératif de créer dès que possible le Bureau international du Travail si l’on voulait assurer la continuité et le développement des travaux de la Conférence. Toutefois, Le Bureau ne pouvait être créé tant qu’un Directeur n’était pas nommé et le Directeur ne pouvait être nommé que par le Conseil d’administration. Il ne faisait aucun doute que le point de vue du groupe des travailleurs était raisonnable et justifiait qu’une action fut prise. A sa première réunion, le 27 novembre, le Conseil procéda à l’élection de son premier président, M. Arthur Fontaine, et de M. Albert Thomas comme Directeur du Bureau à titre provisoire. Par ces deux nominations, annoncées l’avant-dernier jour de la Conférence, l’avenir de l’Organisation fut – comme cela fut prouvé – largement assuré. La nomination de M. Fontaine aux fonctions de président était largement justifiée par les services éminents qu’il avait rendus à la Conférence de la Paix en qualité de président du Comité d’organisation et comme délégué à la Conférence. Pendant plus de onze ans il guida le Conseil d’administration avec un talent et un jugement incomparables. Ceux qui ne connaissaient pas encore les brillantes qualités et la forte personnalité de M. Albert Thomas furent rapidement convaincus à son contact qu’entre ses mains le Bureau deviendrait un instrument de premier ordre pour jouer le rôle que les auteurs du Traité lui avaient réservé. Là encore, la Conférence de Washington avait véritablement bien mis en place les fondations de l’Organisation.

La réussite de la Conférence

En procédant, onze ans plus tard, à une évaluation de la réussite de la Conférence de Washington, on ne manque pas d’être frappé par l’acuité avec laquelle elle mit en relief les principaux problèmes qui, depuis devaient venir en tête des préoccupations de l’Organisation internationale du Travail. On est également frappé par la vigueur et la détermination avec lesquelles la Conférence s’attaqua à tous ces problèmes et par les progrès accomplis en l’espace bien court de cinq semaines pour parvenir à leur solution. Il faut se souvenir également que les problèmes constitutionnels et politiques qui font l’objet de ce chapitre n’étaient pas le sujet principal des travaux de la Conférence. La plus grande part de son activité fut consacrée à la rédaction de six conventions traitant de la durée du travail dans l’industrie, du chômage, du travail de nuit des femmes, du travail de nuit des enfants, de l’âge minimum d’accès des enfants au travail industriel et de l’emploi des femmes avant et après la naissance d’un enfant. En plus de ces conventions elle n’adopta pas moins d’une série de six recommandations et de huit résolutions sur des questions inscrites à l’ordre du jour mais qui n’avaient pas été jugées propres à faire l’objet de conventions.

Cependant l’enthousiasme seul n’aurait pas permis à la Conférence de traiter un ordre du jour aussi vaste. La planification soigneuse assurée par les auteurs de la Partie XIII du Traité et par le Comité d’Organisation doit également être largement reconnue. Ils avaient mis en place une procédure inspirée par une connaissance réelle des conditions nécessaires au succès des conférences internationales. En tout premier lieu, la minutie apportée au travail préparatoire permit de mener à bien la discussion des six questions principales inscrites à l’ordre du jour.

Les rapports présentés par le Comité d’organisation permirent aux délégués d’évaluer dès le départ en quelle mesure un accord général avait déjà été atteint et, par conséquent, de se concentrer sur les points qui nécessitaient négociations et compromis. En conséquence, les six projets de convention qui constituaient véritablement les fondations d’un code de législation internationale du travail furent non seulement dûment adoptés mais par la suite ratifiés puis appliqués jusqu’à un point qui montra qu’il s’agissait de textes sensés et sérieux. Chaque conférence internationale depuis la guerre a illustré cette leçon que le succès dépend dans une large mesure du soin et de la prévoyance avec lesquels le travail préparatoire est mené à bien et que, sans cette indispensable condition, l’échec est presque inévitable.

Assurément, les méthodes de procédure mises en œuvre à Washington avec autant de succès constituèrent un modèle pour les conférences ultérieurement convoquées sous les auspices de l’Organisation internationale du Travail. On peut même affirmer sans exagérer que le niveau de réussite d’autres conférences internationales a varié dans une grande mesure selon qu’elles suivirent ou ignorèrent ces méthodes. Il existe une technique de la négociation internationale qu’il convient d’apprendre et qui doit être utilisée par ceux qui la comprennent. L’un des mérites de la Conférence de Washington est d’avoir apporté une contribution considérable à la mise au point de cette technique.
Mais une bonne technique de discussion, aussi nécessaire qu’elle soit, ne peut à elle-seule résoudre les problèmes nombreux et variés qui se présentent.

La Conférence de 1919

Une Conférence portée par une foi moins intense aurait pu hésiter à se confronter si audacieusement aux problèmes qui firent l’objet des décisions prises à Washington. Elle aurait pu hésiter à prendre quelque action que ce fut pour mettre en mouvement la mécanique permanente de l’Organisation, compte tenu des doutes sur la validité juridique des décisions de la Conférence qui flottèrent tout au long de ses travaux, du début à la fin. Le Gouvernement américain avait fait valoir que la Conférence pourrait n’avoir aucun caractère officiel dans la mesure où le Traité de Paix n’était pas encore entré en vigueur. De fait, le Ministre américain Wilson expliqua qu’il n’avait accepté la présidence de la Conférence que parce qu’elle n’avait qu’un statut non officiel.

Dans son discours d’ouverture il fit observer que l’achèvement de l’organisation de la Conférence ne pourrait intervenir avant que la Société des Nations ait été officiellement créée et que les mises au point techniques finales aient été prises ; tout ceci alors que la création de la SdN était déjà certaine.

Si la Conférence avait été moins déterminée à lancer la première partie du programme de travail de la Société des Nations, elle aurait pu être ébranlée par ces vices juridiques dans son mandat. De fait, ils furent discutés à deux reprises par la Commission de proposition. En fin de compte le Conseil d’administration recommanda une solution proposée par M. Fontaine qui avait le mérite d’être à la fois simple et exhaustive : à savoir que la Conférence, comme cela avait été proposé par le Comité d’organisation, aille de l’avant comme si elle avait été valablement constituée et qu’on laisse à la discrétion du Conseil d’administration le soin de prendre toutes mesures nécessaires pour rendre ses décisions juridiquement applicables lorsque le Traité de Paix entrerait en vigueur, le Conseil d’administration étant alors laissé libre de convoquer à nouveau la Conférence ou d’en décider la clôture. Cette proposition fut soumise à la Conférence qui l’adopta à une majorité confortable de 73 voix contre six.

Lorsqu’il se réunit pour sa deuxième session en janvier 1920, le Conseil d’administration ne rencontra pas de grandes difficultés à trancher ce nœud juridique. Le Conseiller juridique de la Conférence avait soutenu le point de vue qu’aucune décision du Conseil d’administration n’était nécessaire. Lorsque celui-ci se réunit le 26 janvier 1920, on considéra qu’il suffirait, en vertu de l’autorité que la Conférence lui avait déléguée, qu’il proclame la clôture de la session tenue à Washington. Cette procédure fut en conséquence recommandée par le Directeur au Conseil d’administration lorsque celui-ci se réunit ; elle fut adoptée à l’unanimité sans discussion prolongée, puis dûment communiquée aux Etats Membres.

Ainsi, tous les obstacles constitutionnels placés sur le chemin de la Conférence de Washington furent-ils surmontés avec succès. Ils n’auraient sans doute guère pu l’être si toutes les composantes de la Conférence n’avaient fait preuve d’une forte détermination à en assurer la réussite à n’importe quel prix et à traduire sans plus tarder en réalité vivante les dispositions de la partie XIII du Traité de Paix. Là, sans doute, se situe la réussite la plus remarquable de la Conférence de l’OIT de Washington qui lui donne une place spéciale dans l’histoire de l’Organisation internationale du Travail en lui conférant un peu les caractéristiques d’une assemblée constituante.
Note :
1 Le choix du français et de l’anglais comme langues officielles fut contesté par la Conférence en 1919. Sur les 36 Etats membres présents, 16 étaient hispanophones. Les partisans de l’allemand firent aussi entendre leur voix mais les séquelles politiques de la guerre furent, les premiers temps, un obstacle. En fin de compte, il fut décidé fin 1927 d’intégrer l’espagnol et l’allemand aux langues de la Conférence. (IE)


Avant Versailles : la genèse de l’OIT par David A. Morse 1, Directeur général 1948-70

Commençons par la Conférence de la paix, qui se réunit à Paris en janvier 1919, deux mois après l’armistice ayant mis fin à la première guerre mondiale.

A l’une de ses premières séances, la Conférence instituait une Commission de la législation internationale du travail, avec à sa tête, Samuel Gompers, le premier président de la Fédération américaine du travail. Certains délégués avaient sans doute jugé assez surprenant que la Conférence de la paix mît à l’étude des problèmes du travail au nombre de ses premières préoccupations ; pourtant, tout le monde reconnaissait alors que la situation et l’instabilité qui avaient caractérisé, en 1918 et en 1919, le monde du travail en général et celui de l’industrie en particulier, notamment en Europe, appelaient une action immédiate et constructive.

Il incombait à la Commission, qui se composait de représentants de neuf pays2, de se prononcer sur une question très importante : devait-elle proposer d’insérer dans le traité de paix la constitution, rédigée de façon détaillée, d’une organisation internationale du travail de caractère permanent, ou lui fallait-il se borner à recommander l’adoption d’une déclaration générale de principe, d’une sorte de charge du travail ?

Elle se décida finalement à élaborer la constitution d’une organisation qui serait chargée d’examiner les nouveaux problèmes du travail, à mesure qu’ils surgiraient, et d’aider à les résoudre. En outre, elle décida, mais seulement à titre subsidiaire, d’approuver une liste de principes généraux.

Le rapport de la Commission se composait de deux parties : l’une comprenait la constitution de l’Organisation internationale du Travail proposée, y compris des dispositions relatives aux relations de celle-ci avec la Société des Nations, et l’autre la liste des principes généraux en matière de travail. Ce rapport fut adopté par la Conférence de la paix en avril 1919. Ces deux parties furent ensuite incorporées au traité de Versailles.

Alors que l’on se souvient surtout de la Conférence de la paix de Paris à cause de son oeuvre sans lendemain dans les domaines politique et économique, sa principale décision en matière de politique sociale – la création de l’OIT – exerce toujours une influence de vaste portée dans le monde entier.

Mais avant de parler de la Constitution de l’OIT, j’aimerais faire une brève incursion dans le passé.

Par une curieuse coïncidence historique, c’est presque exactement un siècle avant la Conférence de Paris que les premières propositions d’action internationale pour réglementer les conditions de travail avaient été soumises à une Conférence internationale, le Congrès d’Aix-la-Chapelle en l’occurrence, par l’industriel gallois, établi en Ecosse, Robert Owen. A cette époque, Owen prêchait dans le désert. Quelques années plus tard, toutefois, d’autres employeurs préconisèrent une action analogue : Hindley en Angleterre et Legrand en France.

Du côté ouvrier, l’Association internationale des travailleurs, c’est-à-dire la première Internationale, constituée en 1864, la deuxième Internationale, créée en 1889, et la Fédération syndicale internationale, fondée en 1898, exprimèrent toutes, de différentes façons, les aspirations internationales des travailleurs en ce qui concerne une amélioration de leur sort partout dans le monde.

Quant aux gouvernements, sous l’influence des théories économiques et sociales du XIXe siècle, ainsi qu’à la suite des pressions exercées par les travailleurs ou au nom de ceux-ci, ils ne restèrent pas inactifs. En 1890, après des initiatives prises par le colonel Frey, Président de la Confédération suisse, une Conférence internationale sur les conditions de travail fut convoquée à Berlin par le chancelier Bismarck.


La Conférence de Berlin 1890

Ainsi donc, les employeurs, les travailleurs et les gouvernements ont tous joué un rôle, bien que séparément, dans l’évolution du concept de l’action internationale pour l’amélioration des normes de travail. Toutes ces initiatives ont été inspirées par des hommes qui s’étaient sincèrement préoccupés des conséquences pénibles qu’avaient entraînées, pour les travailleurs, l’industrialisation et les rivalités économiques du XIXe siècle. En 1900 on créa, pour une très large part à la suite de cette « prise de conscience » des problèmes sociaux dans les pays européens, l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs, organisation non gouvernementale qui recevait des contributions volontaires des gouvernements s’intéressant à son activité. Cette organisation, bien que ses travaux n’eussent guère eu d’effets immédiats sur les législations nationales, peut être considérée comme précurseur de l’OIT.

Vers la fin de la première guerre mondiale, les gouvernements alliés, alors qu’ils préparaient la Conférence de la paix, avaient dû tenir dûment compte des conférences ouvrières internationales qui s’étaient tenues pendant le conflit à Leeds, à Stockholm et à Berne pour demander instamment, dans des résolutions, que les conditions de paix comportent, pour les travailleurs, des garanties minima quant à la législation du travail et aux droits syndicaux, en reconnaissance des service signalés qu’ils avaient rendus pendant la guerre, aussi bien dans les usines que sur les champs de bataille.

Tout cela explique la création de la Commission de la législation internationale du travail lors de la Conférence de la paix à Paris, ainsi que l’adoption à l’unanimité, par celle-ci, du rapport de ladite commission.

__________________________
1 Directeur général de 1948 à 1970, extrait des Conférences à la Cornell University, 1969.
2 Belgique, Cuba, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Pologne, Royaume-Uni, Tchécoslovaquie (James T. Shotwell, L’Origine et l’évolution de l’Organisation internationale du Travail et son rôle dans la communauté mondiale, vol. I, pp. 128-129).



Communication de la CAPS – Lettre de la Section

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M. le Président du Comité de gestion de la CAPS

Genève, le 26 mars 2019

Monsieur le Président,

Le Bureau de la Section des anciens, très préoccupé par l’accès à l’information des retraités du BIT répartis à travers le monde, souhaite évoquer dans cette lettre la communication de la CAPS avec ses assurés, notamment les retraités.

Notre constat: d’une part, nous savons qu’une majorité de retraités n’accèdent pas ou utilisent très irrégulièrement l’internet soit qu’ils ne possèdent pas d’ordinateur à domicile soit qu’ils en disposent d’un mais ne l’utilisent pas ou très peu. D’autre part, des informations sont diffusées par la CAPS par broadcast via l’intranet au personnel actif du BIT; les retraités exclus de l’intranet n’ont donc pas accès à ces informations. Nous avons aussi été très surpris que la convocation à l’Assemblée générale consultative de la CAPS de décembre 2018 n’ait pas été envoyée aux retraités par vos soins et que vous ayez chargé la Section des anciens de la diffuser, tâche revenant au secrétariat de la CAPS. Comme vous avez pu le constater la grande majorité des participants à cette assemblée était des retraités ce qui démontre leur besoin d’information. Néanmoins la Section des anciens facilite l’accès à l’information à travers les liens établi sur son site (http://www.anciens-bit-ilo.org) avec différents organismes et services dont la CAPS.

Il est donc indispensable que l’information de la CAPS aux retraités continue à être diffusée par voie de courrier papier; les retraités sont de grands bénéficiaires des services de la CAPS vues les pathologies liées à leur âge. Les Statuts et le Règlement administratif de la CAPS ont connu des modifications conséquentes et positives ces dernières années; aussi est-il à présent nécessaire que les retraités disposent d’une édition complète actualisée de ces mises à jour. D’après les informations portées à notre connaissance ce document serait à l’impression. Pour les mêmes raisons qu’évoquées ci-dessus nous demandons que les rapports d’activité de la CAPS ainsi que les bulletins d’information continuent à être diffusés par courrier postal aux retraités.

Enfin nous nous sommes prêts à accompagner toutes les évolutions qui visent à faciliter les services et notamment la saisie en ligne des demandes de remboursement, tout en sachant que tous les retraités ne seront pas en mesure d’utiliser ce nouveau service. Nous pensons à ceux qui vivent dans les pays en développement et aux plus âgées n’utilisant pas ce service ou étant dans l’incapacité de le faire.

Très attachés à leur Caisse de santé les retraités et la Section des anciens sont en permanence disponibles pour évoquer avec le Comité de gestion et le Secrétariat de la CAPS les difficultés rencontrées et trouver des solutions et des améliorations adaptées.

Restant à votre disposition, recevez, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

François Kientzler
Secrétaire exécutif
Pour le Bureau de la Section des anciens du BIT

Copies : au Syndicat
au Secrétaire exécutif de la CAPS


Centenaire de l’OIT: Réservez les dates! 28 mai et 11 juillet 2019

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28 mai 2019: cocktail pour célébrer le Centenaire de l’OIT

Le mardi 28 mai 2019 l’après-midi la Section des anciens fonctionnaires du BIT organise un programme d’activités qui débutera à 15 heures dans la salle II au R3 suivi d’un cocktail à 17 heures aux Gobelins à l’occasion du Centenaire de l’OIT. Le Directeur général, Guy Ryder, s’adressera aux retraités pendant l’après-midi.

11 juillet 2019: Déjeuner du Centenaire avec le Directeur général

Le Directeur général invite les retraités pour un déjeuner le 11 juillet 2019.

Les informations complètes et les invitations à ces événements seront envoyées plus tard, mais réservez les dates maintenant dans vos agendas!

D’autres événements

Vous serez peut-être également intéressé de savoir que l’OIT organise une visite dans l’ancien bâtiment de l’OIT, actuellement occupé par l’Organisation mondiale du commerce, à l’intention des participants à la Conférence internationale mentionnée ci-dessous, laquelle serait ouverte aux retraités. La visite serait prévue pour le 16 avril. Toute personne souhaitant s’inscrire à cette Conférence devrait le faire directement au BIT.

15-17 avril 2019 : Conférence internationale : ILO100: Le Droit en faveur de la Justice  sociale, Siège du BIT, Genève

La Section des anciens fonctionnaires étudie également la possibilité d’organiser une autre visite des anciens bâtiments de l’OIT à l’automne; des informations complémentaires seront fournies le moment venu.


Le rôle historique de l’Allemagne à l’OIT / Werner Sengenberger

Deux occasions se sont présentées pour écrire cet article. En premier lieu le centenaire de l’Organisation internationale du Travail, qui approche rapidement, nous donne plus de raisons que jamais de revenir sur son histoire. Connaître son passé est fondamental dans le débat sur son avenir. Ensuite, il y eut ces dernières années, une recherche intéressante sur l’OIT qui montre « en situation extrême » le cheminement, les mécanismes et les limites de l’internationalisation de la politique sociale[1].

Il est clair que l’Allemagne joua un rôle ambivalent dans la fondation et l’évolution historique de l’OIT qui s’en suivit. Nous avons été les témoins des lumières et des  ombres dans les relations de l’Allemagne avec l’Organisation, des divergences et des convergences ainsi que des périodes d’association et de désaccord. Côté positif, grâce à son concept de « Sozialstaat » [2] (l’Etat providence) conçu pour donner à tous les citoyens la sécurité sociale, la justice sociale, l’intégration sociale et la liberté individuelle, et, compte tenu de sa compétence dans les domaines de la santé et de la sécurité au travail, de l’inspection du travail, de la législation sociale, et des relations industrielles collectives et des ressources humaines, l’Allemagne put apporter une contribution importante à la création de l’OIT et à l’élaboration de ses grandes idées, son système de normes internationales du travail et ses programmes de coopération technique. L’Allemagne a joué un rôle de pionnier en matière d’assurance sociale. Déjà, en 1883, elle fut la première à adopter un système obligatoire d’assurance couvrant la vieillesse, la maladie, l’invalidité et les accidents du travail[3]. En outre, l’Allemagne participa à la promotion de l’important programme du BIT dans des domaines comme l’enseignement professionnel et la formation, la rééducation professionnelle et les coopératives.

En 1890, une « Conférence internationale pour la réglementations du travail dans les usines et les mines » se tint à Berlin. Elle adopta des résolutions sur l’introduction de normes du travail minima, comprenant l’âge minimum du travail, le repos hebdomadaire, le travail des enfants et celui de jeunes gens et des femmes. On a estimé que cette réunion avait été à l’origine de la législation internationale du travail et un précurseur de l’OIT.

Dès 1890, des fonctionnaires allemands, des syndicalistes et des universitaires figurèrent parmi les fondateurs et les soutiens de « l’Association internationale pour la législation du travail », qui constitua en quelque sorte le premier BIT à Bâle en 1901. Certains estiment qu’elle fut à l’origine de la législation internationale du travail et un précurseur de l’OIT. La même année une section allemande de cette association nommée « Gesellschaft für Soziale Reform » (Association pour une Réforme sociale) fut créée à Bonn. Plus tard, de concert avec 25 autres associations nationales, le groupe allemand participa aux activités de l’ « Association Internationale pour une Réforme Sociale » (1924-1933), dont le premier président fut Albert Thomas[4], devenu par la suite le premier Directeur général du BIT.

Bien que l’industrialisation, et, avec elle, la montée du travail salarié, ait commencé plus tard en Allemagne qu’au Royaume Uni et en Belgique, le pays devint graduellement l’un des leaders des nations industrielles au cours de la seconde moitié du 19ème siècle. Elle connut de fortes organisations de travailleurs et d’employeurs. Après le Royaume Uni, l’Allemagne connut le plus important mouvement syndicaliste dans les décennies qui ont précédé la Première Guerre mondiale. Les syndicalistes allemands prirent des positions de pointe dans les organisations syndicales internationales.

De 1903 jusqu’à la Première Guerre mondiale, Carl Legien présida le Secrétariat des Organisations syndicales internationales d’Europe et d’Amérique du Nord et celle qui les a remplacées, la Confédération Syndicale Internationale, créée en 1913. Le mouvement syndical allemand, et tout spécialement sa composante la plus grande et la plus influente sociale-démocrate, attira l’attention d’Albert Thomas. Dès 1902 il prit contact avec les mouvements du travail allemands alors qu’il était étudiant à l’Université de Berlin. En 1903, il consacra sa thèse de doctorat à la version allemande du socialisme.

Les affinités structurelles entre l’OIT et l’Allemagne sont peut-être encore plus étroites dans le domaine du tripartisme érigé en modèle de conduite. La participation des groupements d’intérêt que sont les organisations de travailleurs et d’employeurs dans le processus de décision en matière de politique sociale et économique relève en Allemagne d’une longue tradition. Elle a pris différents noms et formes, tel que le « partenariat social », « l’économie de marché sociale » (après la Deuxième Guerre mondiale), ou « l’action sociale concertée » (1967-1977), se rapportant à la politique monétaire, fiscale et des revenus. Par exemple, pendant la récente crise financière commençant en 2008, alors que l’Allemagne déclinait plus que la plupart des autres pays de l’Union Européenne, la perte d’emplois et la montée du chômage furent marginales. L’ajustement se fit dans une large mesure en réduisant le temps de travail plutôt qu’en ayant recours aux licenciements. Il a contribué à stabiliser la demande globale. Comme les coûts de l’ajustement étaient équitablement partagés entre les travailleurs, les employeurs et le gouvernement, cela permit d’introduire la confiance dans l’économie[5].

Plus particulièrement pendant les années de la République de Weimar, en Allemagne (1918-1933), le tripartisme, à l’OIT s’inspira de la pratique nationale allemande de participation paritaire des travailleurs et des employeurs[6]. Toutefois, il est aussi évident que le modèle libéral du tripartisme, conforme avec les principes de l’OIT de liberté d’association et des groupes d’intérêt indépendants n’était pas toujours appliqué en Allemagne. Il y eut des périodes de corporatisme autoritaire pendant lesquelles les libertés civiles et la résolution des conflits par un véritable dialogue social étaient remplacées par des ordonnances gouvernementales.  Ceci est arrivé  la plupart du temps sous Bismarck et son paternalisme et la Loi répressive sur le Socialisme de 1878. De même pendant l’ère Nationale Socialiste (nazie) de 1933 à 1945, et dans la RDA (1949-1990).

Pendant les périodes décisives du développement de l’OIT après les Première et Seconde Guerres mondiales, le gouvernement allemand se tint très à l’écart de l’OIT de même que de la communauté internationale. La capacité de la nation à contribuer à la mise en place de la loi internationale était sévèrement gênée par son rôle d’agresseur dans les deux conflits mondiaux et l’attitude chauvine et raciste du régime nazi qui s’était opposé radicalement à l’esprit cosmopolite régnant à l’OIT.

Les débuts de l’OIT dans les années vingt avaient été dominés par la France et le Royaume Uni. En plus de ces deux pays, la Belgique, Cuba, les Etats Unis, l’Italie, le Japon, la Tchécoslovaquie, avaient été membres de la Commission sur la Législation internationale du Travail de la Conférence de la Paix en 1919 où fut négociée la première Constitution de l’OIT (dont la création forme la partie XIII du Traité de Versailles).

En qualité de perdant de la Première Guerre mondiale – et reconnue comme la seule responsable du conflit par le Traité de Versailles – l’Allemagne a été écartée des pourparlers de paix. Elle ne prit pas part à la première Conférence internationale du Travail à Washington DC en 1919. Elle n’entra à l’OIT que plus tard cette année-là. Sa qualité de membre de l’Organisation fut exigée par les représentants des employeurs et des travailleurs, et quelques gouvernements, notamment la Belgique. Alors que les employeurs craignaient que l’Allemagne, avec sa grande capacité exportatrice ne gagne des avantages indus dans la compétition internationale si elle ne s’engageait pas à observer les normes de l’OIT, les travailleurs demandaient son intégration, soulignant la force du mouvement ouvrier allemand[7].

Bien que l’Allemagne n’ait pas été parmi les nations qui fondèrent l’OIT en 1919, elle exerça indirectement son influence sur son démarrage. Peu après la Première Guerre mondiale, une agitation sociale, des grèves et des mouvements révolutionnaires se manifestèrent en Europe et même en Amérique du Nord commençant par la Révolution d’Octobre en Russie en 1917 et suivies par la mise en place temporaire de républiques soviétiques en Hongrie et en Italie du Nord. En Allemagne, des soulèvements d’ordre politique, appelés la Révolution de Novembre, éclatèrent le 4 novembre 1918 quand des groupes de travailleurs du Nord se joignirent à la marine pour appeler au renversement du gouvernement et à un nouvel ordre politique pour le pays. Le jour suivant, des révoltes de travailleurs se répandirent à Munich, Berlin et d’autres grandes villes encore, conduisant à la (brève) formation de républiques de travailleurs et à la création du parti communiste. Début 1919, le Premier ministre britannique Lloyd George écrivit au Premier ministre français Georges Clémenceau : « L’Europe toute entière  bruit de l’esprit de révolution. On constate un sentiment non seulement de mécontentement mais aussi  de colère et de révolte parmi les travailleurs contre des conditions antérieures à la guerre (…) L’ordre existant, dans sa totalité, est remis en cause dans ses aspects politique, social et économique par des masses de population d’une extrémité de l’Europe à l’autre » [8] . Créer l’OIT en cette situation de crise peut être considéré comme une tentative par une coalition de la gauche politique réformiste et de gouvernements conservateurs de tromper la révolution et de stabiliser le système économique en s’assurant de la loyauté des travailleurs en appliquant un programme  international de réforme sociale.

Marius Viple, Albert Thomas et Wilhelm Donau à Berlin

Malgré le rôle marginal joué par l’Allemagne entre les deux guerres, le pays n’a pas été sans exercer quelque influence sur l’OIT pendant cette période, grâce aux relations et à la coopération que procuraient les relations personnelles, institutionnelles et techniques. Parmi les plus importantes on relève le Bureau de correspondance du BIT à Berlin, créé en 1921, et fermé en 1934.

Il a été dirigé par Alexander Schlicke (1921-1925 et Wilhelm Donau (1925-1934), tous deux sociaux-démocrates. Tous deux promurent la cause de l’OIT en Allemagne et coopérèrent étroitement à cet effet avec le Ministère du Travail[9]. Parmi les principales activités du Bureau de Berlin dès 1923, il y a eu la publication mensuelle de « Interrnationale Rundschau der Arbeit » dans le style de la Revue internationale du Travail, adressée à des lecteurs de langue allemande et contenant des nouvelles relatives à l’OIT et aux développements des politiques sociales.

La délégation allemande à la Conférence de 1926

Au début des années vingt, un certain nombre de fonctionnaires allemands travaillant à Genève et/ou au Bureau de Berlin, durent affronter un difficile combat de loyauté. Ils étaient déchirés entre leur devoir de fonctionnaires internationaux et le soutien à leurs intérêts nationaux en tant que citoyens de leur pays. Ce conflit s’intensifia entre 1923 et 1925 quand ces fonctionnaires firent connaître publiquement leur position sur les épreuves subies par les travailleurs de la Ruhr et de la Sarre, du fait du coût des réparations imposées à l’Allemagne par le Traité de Paix de Versailles. Ils accusaient l’OIT de souscrire à cette situation. Selon Sandrine Kott[10], cette affaire contribua à l’incorporation dans le Statut du Personnel du BIT d’une disposition qui exige des fonctionnaires une loyauté exclusive envers l’Organisation : « Les membres du personnel du Bureau international du Travail sont responsables, dans l’accomplissement de leurs fonctions, devant le Directeur seul. Ils ne peuvent se considérer comme représentants de leurs pays respectifs, ni demander ou recevoir des instructions d’une autorité nationale quelconque en ce qui concerne l’accomplissement de leurs fonctions » [11]

L’Allemagne d’Hitler quitta la Société des Nations et l’OIT. Elle signifia son retrait en novembre 1933. Son départ devint effectif en 1935. Cependant, la rupture des liens entre le Troisième Reich et l’OIT ne fut pas aussi brutale et complète que l’on pouvait s’y attendre compte tenu de la nature non libérale et raciste du régime nazi. Elle se manifesta petit à petit, à mesure de l’imposition du régime dictatorial. Parmi les premières victimes du nouveau régime, figura la liberté d’association. Les syndicats allemands furent dissouts en mai 1933. Leurs locaux furent occupés et leurs dirigeants envoyés dans des camps de concentration. Une organisation à laquelle l’inscription était obligatoire, le « Front Allemand du Travail » (DAF), fut créée dans le seul but de mettre en œuvre les décisions du gouvernement nazi. Les organisations d’employeurs furent également interdites et intégrées à la DAF, façon de « surmonter la lutte des classes ». A la Conférence internationale du Travail de juin 1933, les représentants nazis, menés par Robert Ley, exigèrent la reconnaissance des pouvoirs des représentants syndicaux. Cependant la CIT refusa les pouvoirs de la « nouvelle délégation des travailleurs » qui quitta alors la Conférence. Aux fins de retrouver légitimité et reconnaissance, la délégation nazie essaya en vain de convaincre Wilhelm Leuschner, membre du Conseil de la Fédération générale syndicale allemande (ADGB), homme politique social-démocrate et membre de la délégation de l’ADGB à la CIT.

Parce qu’il avait refusé de collaborer, Leuschner fut arrêté à son retour de Genève en Allemagne. Plus tard il rejoignit le mouvement de résistance allemand. Il fut condamné à mort et exécuté en septembre 1944[12].

Wilhelm Leuschner à la 61ème session du Conseil d’administration, juin 1933

Chez les délégués à la Conférence et parmi le personnel du BIT, particulièrement chez les Allemands, on constatait des attitudes divergentes à l’égard du maintien des relations avec l’Allemagne nazie. Au moins jusqu’en 1935, le Directeur du BIT, Harold Butler, était enclin à faire des compromis avec le nouveau régime. Le gouvernement allemand exigea et, en fait, obtint la mise à pied de quelques experts et de membres allemands du personnel du BIT. Dans une certaine mesure, la position conciliante du BIT était en rapport avec la posture sociale des Nazis. Cette dernière mettait en avant la paix sociale (enfin, une version forcée de celle-ci), la lutte contre le chômage, les congés payés, l’extension de la protection de la maternité, et la mise à disposition de loisirs pour les travailleurs (« Kraft durch Freude » – la force par la joie). Comme d’autres régimes fascistes en Europe, les Nazis essayèrent, non sans quelque succès, de légitimer sur le plan international leur politique « supérieure » d’aide sociale, de l’exporter dans d’autres pays et d’instrumentaliser l’OIT à cet effet. Il a fallu attendre 1941 pour que le BIT condamne finalement la politique sociale « totalitaire » des Nazis13. Il devint alors tout à fait évident que cette politique était placée au service des ambitions impériales de l’Allemagne. En mai 1941, Robert Ley du Front Allemand du Travail (DAF), essaya d’obtenir des autorités suisses l’autorisation d’occuper le bâtiment du BIT à Genève14. A cette époque le Bureau s’était déjà installé à Montréal où il avait été délocalisé en 1940.

« L’Allemagne de l’Ouest », c’est-à-dire la République Fédérale Allemande (RFA), rentra à l’OIT en 1951. En présence du Directeur général David A. Morse un Bureau de correspondance du BIT fut installé à Bonn et le gouvernement allemand déclara valides 17 Conventions ratifiées par l’Allemagne avant qu’elle ne quitte l’OIT15. La République Démocratique Allemande (RDA) se joignit à l’OIT en 1973, la même année où les deux Etats allemands devinrent membres des Nations Unies. Ainsi, ne faisaient-ils pas partie de la communauté internationale lorsque fut adoptée la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en 1948 et deux Pactes en 1966 : le Pacte International sur les Droits Economiques, Sociaux et Culturels et le Pacte International sur les Droits Civils et Politiques contenant, tous deux, d’importantes dispositions pour les Normes internationales du Travail.

Francis Blanchard avec F.G. Seib à une réunion en Allemagne

Après la Deuxième Guerre mondiale, l’OIT fut l’une des premières Organisations internationales qui aida l’Allemagne à revenir au cœur de la communauté internationale. Deux membres éminents du Conseil d’administration du BIT firent connaître la nécessité du retour de l’Allemagne à l’OIT et l’y aidèrent. Du côté des travailleurs, le syndicaliste Léon Jouhaux joua un rôle essentiel dans la réconciliation des travailleurs français et de leurs homologues allemands et du retour de l’Allemagne dans l’Organisation. Jouhaux remplissait d’importantes fonctions à la CGT avant de la quitter pour créer Force Ouvrière et en devenir président en 1947. Il était également vice-président de la Confédération internationale des Syndicats libres (CISL). Il reçut le Prix Nobel de la Paix en 1951. Du côté des employeurs, Pierre Waline, membre éminent de l’Organisation des employeurs en France et président de l’Organisation internationale des Employeurs (OIE) depuis 1953 intervint en faveur d’une amélioration des relations entre la France et l’Allemagne. Pour cela il fut décoré de la Croix pour Services Distingués allemande.16

Durant la deuxième moitié du 20ème siècle, le rôle de l’Allemagne à l’OIT devint beaucoup plus constructif. Mises à part quelques exceptions, le gouvernement allemand et les organisations d’employeurs et de travailleurs figurèrent parmi les plus fidèles soutiens des politiques qui étaient au cœur de l’Organisation, notamment celles de l’emploi et du travail décent. Ils jouèrent un rôle important dans l’élaboration de la politique de l’Union Européenne à l’égard de l’OIT. Le gouvernement fédéral allemand contribua généreusement en personnel et en moyens financiers aux activités de coopération technique de l’Organisation. En 1992, il alloua 50 millions de marks pour lancer le Programme international pour l’Elimination du Travail des Enfants (IPEC) qui devint par la suite le plus grand programme de coopération technique du Bureau. Des fonds spéciaux furent fournis par l’Allemagne dans le cadre du Programme Mondial de l’Emploi pour des projets en Afrique, de restructuration économique et sociale en Europe de l’est et en Europe centrale après la chute de l’Union Soviétique, ainsi que des programmes sur le travail décent. Derrière les Etats Unis et le Japon, l’Allemagne devint le plus important contributeur à l’Organisation.

Au cours des dernières décennies, l’Allemagne a participé pleinement à la gouvernance et au leadership de l’OIT. Depuis 1954, elle est membre permanent du Conseil d’administration.

En 1976-77, Winfried Haase fut élu président du CA, représentant le gouvernement fédéral, premier Allemand à occuper ce poste. Gerd Muhr, de la Fédération  des Syndicats allemands, fut élu président du CA en 1990 et le représentant du gouvernement allemand, l’ambassadeur Dr Ulrich Seidenberger a été nommé Président du CA pour la période 2016-2017. Le Bureau régional pour l’Europe eut plusieurs directeurs allemands. Nous n’avons pas encore vu un Allemand à la tête du BIT. Probablement en raison de la lourde responsabilité de cette nation dans les désastres politiques du 20ème siècle le gouvernement allemand n’a pas encore présenté de candidature au poste de Directeur général. Je dirais aussi, à juste titre, de même qu’en raison de la proportion disproportionnée de citoyens européens dans cette position.

En résumé, l’Allemagne a eu sa part dans la préhistoire de l’OIT et bien après. Elle figure parmi ses membres influents dans le domaine des politiques et des programmes grâce à ses contributions, ainsi qu’à l’émergence et au développement de la législation internationale du travail, de l’inspection du travail et de la sécurité sociale. En outre ont beaucoup compté les relativement grandes et bien organisées organisations de travailleurs et d’employeurs et la coopération qui règne entre eux. Le tripartisme dans le système de gouvernance de l’OIT correspond à, et a été inspiré, de la tradition allemande de partenariat sur les questions du travail et de la politique sociale. Cependant, l’Allemagne n’a pas été un leader à l’OIT pendant les années les plus innovantes de l’Organisation, surtout du fait de la grande responsabilité et de sa défaite dans les deux  guerres mondiales, du racisme et des crimes du régime nazi qui étaient incompatibles avec l’orientation universaliste et humaniste de l’OIT. L’Allemagne a été absente de l’Organisation lorsque les grands principes et quelques-uns des plus importants éléments constitutionnels de l’Organisation furent adoptés, y compris la Déclaration de Philadelphie. Elle devint un membre pleinement engagé de l’OIT dans la deuxième moitié du 20ème siècle. Elle a soutenu les politiques de l’Organisation, a été généreuse dans sa contribution au travail technique du Bureau et très respectueuse des Normes internationales du travail. Toutefois, l’Allemagne a encore à faire de gros efforts pour transformer le pays en paradis du travail décent pour tous.

L’auteur souhaite exprimer ses remerciements à Jean-Jacques Chevron pour la traduction de son article.

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Pour plus de détails, voir Seib, Friedrich Georg : Le Bureau de l’OIT en Allemagne, in : Lettre (maintenant Message) n° 34, 2003.

Voir E.G. Erdmann: « Deutschlands Mitgliedschaft in der IAO – Ein Reflex seiner Geschichte 1919 – 1933 – 1951. (Appartenance de l’Allemagne à l’OIT – Un réflexe de son histoire, 1919-1933-1951), in : Ministerium für Arbeit und Sozialordnung et. al.  op.cit. pp. 28 et 34

[1] Kott, Sandrine : Dynamiques de l’internalisation: l’Allemagne et l’Organisation internationale du Travail (1919-1940), numéro 52, Juillet-Septembre 2011, pp. 69-84.

[2] Kott, Sandrine : Der Sozialstaat. In : Deutsche Erinnerungsorte II, Etienne François et Hagen Schulze, Hrsg., Verlag C.H. Beck, 2009, pp. 485-501.

[3] Pour plus de détails, voir Kott 2011/3 op. cit. pp. 78-79 ; et le chapitre sur la protection sociale in Rodgers, G. et al., The ILO and the quest for social justice 1919-2009. ILO, Geneva,  pp. 141-144.

[4] Schewe, Dieter: Initiativen und Unterstützung für die Internationale Arbeitorganisation durch die Gesellschaftten für Soziale Reform/Sozialer Fortschritt 1890-1993, in: Weltfriede durch soziale Gerechtigkeit: 75 Jahre Internationale Arbeitsorganisation.  Bundesministerium für Arbeit und Sozialordnung, Bundesvereinigung der Deutschen Arbeitgeberverbände, publié pour Deutscher Gewerkschaftsbund par Nomos Verlagsgesellschaft, Baden, Baden, pp.37 and fol.p.37 et suiv.

[5]  International Institute for Labour Studies: Germany: A Job-Centred Approach, Studies on Growth with Equity, ILO, Geneva, 2011, pp. 2-3 and chapter 8.

[6] Guérin Denis : Albert Thomas à l’OIT (1920-1932), Genève, Institut européen de l’Université de Genève, 1996, p.31.

[7] Admission de l’Allemagne et de l’Autriche dans l’organisation permanente du Travail, Genève, BIT, 1920

[8] Cité par Rees J.: « In Defence of October » in: International Socialism, 52, Autumn 1991,   London, p.9.

[9] Kott, 2011/3, op.cit., pp. 74-75.

[10]  Ibid., p.77

[11]  Voir Articles 1. du Statut du Personnel du BIT, janvier 1923

[12]  Pour un récit détaillé, lire Tosstorff, Reiner : Workers’ resistance against Nazi Germany at the International Labour Conference 1933, ILO, Geneva 2013 et Message no 50, pp. 20 – 23

13  Kott, 2011, op. cit.,  p. 82.; Waelbroeck, P. and Bessling I. : Some Aspects of Social Policy under the National Socialist Regime, In : International Labour Review, February 194, pp. 127-152.

14  Pour plus de détails sur les relations de l’OIT avec les Nazis, voir Kott, 2011, op.cit. pp. 72 et 80-83.


Politiques novatrices : construction de routes à haute intensité de main-d’œuvre Une étude de cas au demi-siècle du BIT / Jens Müller

Au tout début du Programme mondial de l’emploi (WEP) en l969/70, les initiatives spécifiques d’utilisation de techniques à haute intensité de main-d’œuvre dans des projets d’infrastructure étaient encore à l’état embryonnaire.  Le large programme de recherche du WEP, les missions par pays et la Conférence mondiale de l’emploi étaient encore à venir. A ce moment-là, en 1970, l’auteur a fait part de son expérience et constaté que des techniques à haute intensité de main-d’œuvre étaient venues à la rescousse d’un projet de construction routière dont la réalisation avait initialement été prévue basée sur une utilisation de matériaux et de techniques à forte intensité en capital (1). Ce qui suit résume un article sur cette étude de cas paru dans la Revue internationale du travail.

Cet article est significatif aujourd’hui car il met en scène un précurseur du Programme d’investissements à haute-intensité de main-d’œuvre du BIT (EIIP) qui est à présent complètement opérationnel. Il illustre les risques pris en préférant des techniques à haute intensité en capital sans tenir compte de la situation locale et de la disponibilité de main-d’œuvre et services. Quand les risques devinrent réalité, les techniques à haute intensité de main-d’œuvre s’avérèrent la seule solution. Cette situation fortuite amena l’auteur à analyser les avantages et inconvénients des deux techniques et à en tirer quelques leçons-clé.  Cinquante ans plus tard, alors que l’OIT fête son centenaire, ces leçons restent d’actualité pour les politiques du BIT en matière d’investissements à haute intensité de main d’œuvre.

Le projet initial

Le Département des travaux publics d’un pays subtropical africain devait transformer une route en terre battue de 480 kilomètres en route de gravier praticable en tout temps. Le projet comprenait d’autres travaux publics (drainage, 20 ponts et réalignement de virages dangereux) mais l’étude de cas se concentrait uniquement sur la fourniture d’une route de gravier compacté.

Un jeune ingénieur civil inexpérimenté – l’auteur – fut affecté à la direction du projet financé bilatéralement. Il était prévu que 13 fonctionnaires nationaux techniques et d’inspection seraient affectés au projet mais en réalité seulement six furent détachés.

L’équipement prévu était ultra-mécanisé et sophistiqué et a dû être importé. Il comportait 4 unités de construction composées de plus de 20 véhicules divers/pelleteuses dont certaines utilisaient un système hydraulique. La plus grande partie de l’équipement a pris 9 mois pour arriver. Quelques pièces ont été perdues pendant l’acheminement sur terrain accidenté depuis le port situé à plus de 1000 kilomètres.

En plus de ces faiblesses, d’autres contraintes ont vite vu le jour.  Il fallait former les opérateurs et conducteurs, surtout pour l’équipement hydraulique, mais il n’y avait pas de formateurs. L’entretien et les réparations causaient constamment des problèmes en raison des retards pour obtenir les pièces de rechange et le personnel qualifié.  L’approvisionnement en carburant et huiles de graissage, en particulier pour les systèmes hydrauliques, était aléatoire et fréquemment retardé. Tout ceci résultait en une sous-utilisation de l’équipement et de longues périodes d’inactivité.

Si le projet s’était déroulé comme prévu et dans des conditions idéales, le coût opérationnel direct d’un kilomètre de route aurait été de 500 dollars en utilisant des méthodes intensives en capital.  Avec un taux d’utilisation des machines raisonnable, un kilomètre aurait pu être recouvert de gravier en environ 3 jours. Cependant, en tenant compte des périodes d’inactivité des machines, cette durée théorique a été réduite de 3 à 2,3 jours.

Le déroulement effectif du projet

Une partie de l’équipement manquant ou en réparation dès le début du projet, l’équipe a commencé à le compenser par de la main-d’œuvre. La disponibilité de main-d’œuvre était abondante car les habitants de la région, parfois jusqu’à cent d’entre eux plus les curieux, venaient chercher du travail sur le chantier. L’équipe du projet a découvert que la plupart des opérations (ouverture d’une carrière, déblaiement de la route, extraction et chargement, étalage et façonnage, et compactage) pouvaient être réalisées par des méthodes à haute intensité de main-d’œuvre. Les trois opérations qui nécessitaient des méthodes intensives en capital étaient le transport et le déchargement (camions), l’arrosage (camions-citernes) et le compactage final. Jusqu’à 150 ouvriers étaient employés pour certaines opérations comme l’excavation et le chargement. Bien que la qualité de la route soit inférieure, un résultat satisfaisant était obtenu en utilisant l’équipement lourd (niveleuses-automotrices, camions-citernes et rouleaux compresseurs) pour passer sur la route un mois après achèvement. Les photos montrent comment la main-d’œuvre était utilisée pour déblayer la route et répandre le gravier.  Celui-ci avait été chargé manuellement sur les camions à la carrière.

En utilisant une analyse similaire à celle des méthodes intensives en capital idéales et avec les mêmes prémisses, le chef de projet a calculé que le coût opérationnel direct du kilomètre de route avec les méthodes les plus intensives en main-d’oeuvre serait hypothétiquement de 550 dollars. Il était possible d ‘employer suffisamment de main-d’oeuvre pour les diverses opérations et d’obtenir le même taux de gravillonnage de 2.3 jours par kilomètre.

Comparaison des deux méthodes : un ‘équilibre optimal’

L’analyse a révélé des chiffres saisissants quand les deux méthodes ont été comparées tenant compte du coût des facteurs de production,  de l’emploi créé et du coût en capital :

Coût des facteurs de production

% coût par km de route

Méthode intensive en capital Méthode intensive en main-d’oeuvre
Equipement, carburant, etc.    88%    44%
Main-d’oeuvre    12%    56%
     
Total jours de travail créés par km de route     34    428
Capital requis pour créer un jour de travail par km ($US)     11.25    0.49

Il était clair que certaines opérations pouvaient être accomplies convenablement par des méthodes à haute intensité de main-d’œuvre, alors que d’autres nécessitaient absolument des méthodes intensives en capital. De plus, en comparant les coûts opérationnels pour certaines opérations (épandage, arrosage et compactage) entre les deux méthodes, la méthode intensive en capital était de loin la plus économique. L’étude a suggéré de combiner les deux technologies pour obtenir une méthode d’’équilibre optimal’. Un avantage de cette nouvelle méthode était la création d’emploi d’une part et l’élimination des besoins en équipement lourd et onéreux comme bulldozers et pelleteuses d’autre part. L’auteur a néanmoins relevé que l’utilisation de cette nouvelle méthode demandait une planification prudente et minutieuse, particulièrement dans le planning des réseaux (chemin critique) afin de maximiser les rendements économique et la création d’emploi.

Méthodes à haute-intensité de main-d’œuvre : nouveaux défis de gestion

Quand une grande quantité de main-d’œuvre fut employée, des problèmes imprévus apparurent.  Comme cette méthode était complètement inattendue, les responsables de la gestion et de la supervision n’étaient pas préparés pour assurer une organisation et productivité optimales. Heureusement, les responsabilités et l’autorité ont été déléguées aux chefs d’équipes et de tribus qui devinrent la clé du succès. En ce qui concernait l’organisation du travail, l’absence de normes de référence sur le rendement attendu d’une journée de travail  posait une question déconcertante.  Même en introduisant des études de travail, il devenait difficile de motiver les ouvriers à produire plus, à moins d’augmenter leur salaire ou d’introduire des primes. Ceci était exclu du fait des règlementations gouvernementales qui basaient le salaire sur les heures de travail et non sur la production.

Du côté matériel, le logement et le campement présentaient peu de problèmes car les ouvriers non-spécialisés habitaient à proximité dans leur propre maison. Les ouvriers qualifiés et semi-qualifiés (environ 30) étaient logés au campement. L’auteur estimait cependant que la question du logement deviendrait problématique si la main-d’œuvre dépassait 200 personnes. La nourriture était facilement transportable des bourgs voisins. Et si des dispensaires avaient été ouverts dans certains camps, les médicaments et autres fournitures médicales étaient en quantité limitée.

Achèvement du projet

Etant donné les difficultés rencontrées, il n’est pas surprenant que le projet ait subi un retard considérable. En dix mois d’opération, le projet n’avait réalisé que 50% du travail initialement prévu pour 12 mois. Une société étrangère d’ingénieurs-conseils fut chargée d’aider à achever le travail. Leur méthode était extrêmement intensive en capital accompagné de personnel importé : plus de gros équipement fut utilisé – à part les chauffeurs de camions, tous les opérateurs, superviseurs et contremaîtres étaient Européens ; les pièces détachées et le carburant furent obtenus indépendamment. La route fut achevée rapidement et d’une qualité légèrement supérieure à la portion réalisée par des méthodes à haute-intensité de main-d’œuvre.

Bien que cet achèvement ait été efficace, l’auteur remarqua certaines lacunes : aucune création d’emploi – même la nourriture était importée ; pratiquement pas de formation sur le lieu de travail pour les travailleurs locaux ; tout l’équipement enlevé à la fin ; la population locale n’avait pas le sentiment que la route leur appartenait, n’ayant de ce fait que peu de motivation à l’entretenir et à la réparer ; et les coûts, quoiqu’inconnus, furent probablement financés par des devises étrangères limitées.

(Avant de conclure, il est utile de souligner l’importance de la participation locale et du sentiment de ‘propriété’ dans les projets. L’auteur est retourné sur le site du projet 25 ans après y avoir travaillé. Il a découvert que la section de la route réalisée avec une haute intensité de main-d’œuvre était mieux entretenue que les autres sections. Les villageois ont confirmé qu’ils la considéraient comme ‘leur route’.)

Conclusions et leçons à retenir

Plutôt que de préférer l’une des deux méthodes, l’auteur conclut que chaque projet devait être abordé en profondeur pour obtenir un équilibre optimal. Ceci devrait permettre de choisir la technologie appropriée aux différentes conditions socio-économiques.

Les questions recommandées pour revue ou orientation à l’avenir étaient nombreuses. Elles ciblaient la disponibilité en équipement et l’accès à l’entretien et aux réparations ; l’utilisation ultérieure de l’équipement ; la localisation des sites ; la disponibilité de main-d’œuvre de différents niveaux de compétence ; les politiques et projets de création d’emploi ; les possibilités de formation sur le lieu de travail ; les installations matérielles et logistiques ; la réglementation des salaires ; les plans de suivi ; et les avantages et inconvénients de la participation de la population locale.

Les leçons-clé à retenir pour l’avenir sont soulignées ci-après :

  • la conception et la planification des projets dès le début sont critiques à leur succès. Le graphiquage des réseaux et les méthodes de chemin critique sont essentiels
  • les conditions socio-économiques et la disponibilité de main-d’œuvre sont aussi importantes que les considérations techniques et administratives
  • la direction du projet doit s’adapter afin de faire face à un grand nombre de travailleurs plutôt qu’à quelques opérateurs qualifiés. Un large programme de formation et gestion de projet devrait comprendre non seulement la gestion générale et de production mais aussi la gestion financière et en ressources humaines ainsi que la connaissance des potentiels de création d’emploi dans différentes technologies
  • enfin et peut-être un des points primordiaux est que la participation des populations locales crée un sentiment de ‘propriété’ et est un facteur motivant pour l’entretien et les réparations à moyen et long terme même sans programme formel.

Juillet 2018.

 

 

 

 

 

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(1) Jens Müller dans la Revue internationale du Travail (Vol. 101, no.4, avril 1970), ‘Méthodes à haute-intensité de main-d’œuvre dans la construction de routes à bas coût : une étude de cas’. A l’époque, M. Müller travaillait dans le Service de la Formation à la Gestion  du Département des Ressources humaines. Avant le Programme mondial de l’emploi, le Service de la Formation à la Gestion s’était largement engagé dans la création et l’assistance aux centres nationaux de productivité, basés sur les ‘missions de productivité’ réalisées dix ans plus tôt.  Ces missions avaient démontré le potentiel de promotion d’emploi des gros projets d’infrastructure, jetant les bases non seulement des politiques de l’emploi mais aussi des projets concrets de coopération technique dans le domaine des travaux publics.

 

 


Les dames de ce groupe -pour la fête de retraite de M. Erbüke - représentaient au moins 16 nationalités qui, comme vous pouvez le constater, ont vraiment apprécié la compagnie de l'entourage autour d'eux. Pouvez-vous les no1nmer tous- indice: photo datée de mars 1993.

Visages et souvenirs du passé / Liz Sommaro

La vie au département des services financiers, ou à l’époque le Budget et du Contrôle, PAIE (Unité centrale  des salaires et l’Unité des Claims) et TRESOR (Service de la trésorerie et des investissements)- il y a eu tellement de changements dans les noms c’est difficile de les suivre tous ! Qui peut dire que la finance et la comptabilité est un travail ennuyeux et fastidieux? C’était le temps où nous avons apprécié  nos contacts  quotidiens et nos différences, et pour faciliter notre vie professionnelle nous nous sommes entraidés. Nous avons été très fidèles à notre organisation et avons apprécié nos vies en tant que fonctionnaires internationaux.

Qui peut oublier l’incident quand, après une très forte pluie, de l’eau coulait du plafond près du bar des délégués R.3, un collègue a mis un grande récipient pour cuire la viande (cuisine du BIT) remplie d’eau et de poisson en plastique et un homard avec une légende « Donations -Fonds  pour la rénovation du toit ». Nous travaillions à l’époque sur une énième  version d’un document de la PFAC concernant les travaux de rénovation à réaliser – nous ne savons toujours pas qui a pris l’argent et le homard!

Mais qu’est-ce qui rendent la vie quotidienne et les contacts plus faciles à gérer entre  les fonctionnaires de tant de nationalités différentes avec leurs propres langues et cultures ? Eh bien, voici quelques photos des rassemblements pour les déjeuners, les promotions et les fêtes d’adieu, appréciées par les « travailleurs » de Finance. Les brunchs canadiens (organisé par le Secrétariat du Trésor), où tous les invités- comptables et patrons- apportaient un plat ou des boissons régionales qu’ils ont préparées, ils ont eu beaucoup de succès car nous avions tellement de cultures diverses dans le Service. Barbara Farrish-Walker,l’un des patrons, a aidé à faire la vaisselle pendant que d’autres nettoyaient le local que nous avions emprunté.

L’atmosphère était toujours joyeuse; le fait de mieux se connaître dans une atmosphère harmonieuse favorisait de bonnes relations de travail dans notre vie quotidienne. Les fêtes d’adieu comprenaient les invités que le retraité souhaitait être présent, mais aussi toujours les chefs, pas seulement pour les discours et les cadeaux, mais par respect mutuel des deux côtés. C’était  aussi un moyen de remercier les collègues des autres départements pour leur soutien et leur assistance au fil des ans, car sans eux, le travail ne pourrait pas être achevé et finalisé – un véritable « travail d’équipe » pour accomplir les tâches.

La plupart d’entre nous restent en contact, même à la retraite, pour parler du «bon vieux temps» et sommes très fiers que l’OIT ait atteint l’âge de 100 ans et que nous avons contribué, bien que peut-être dans une tout petite mesure, à sa survie.

Pour ceux qui nous ont quittés et ne sont plus là pour voir cet anniversaire, ou ne pourront pas venir à Genève pour les célébrations de l’année prochaine, vous êtes et serez pour toujours dans mon / nos cœur (s).