Articles: Centenaire – Témoignages

Le rôle historique de l’Allemagne à l’OIT / Werner Sengenberger

Deux occasions se sont présentées pour écrire cet article. En premier lieu le centenaire de l’Organisation internationale du Travail, qui approche rapidement, nous donne plus de raisons que jamais de revenir sur son histoire. Connaître son passé est fondamental dans le débat sur son avenir. Ensuite, il y eut ces dernières années, une recherche intéressante sur l’OIT qui montre « en situation extrême » le cheminement, les mécanismes et les limites de l’internationalisation de la politique sociale[1].

Il est clair que l’Allemagne joua un rôle ambivalent dans la fondation et l’évolution historique de l’OIT qui s’en suivit. Nous avons été les témoins des lumières et des  ombres dans les relations de l’Allemagne avec l’Organisation, des divergences et des convergences ainsi que des périodes d’association et de désaccord. Côté positif, grâce à son concept de « Sozialstaat » [2] (l’Etat providence) conçu pour donner à tous les citoyens la sécurité sociale, la justice sociale, l’intégration sociale et la liberté individuelle, et, compte tenu de sa compétence dans les domaines de la santé et de la sécurité au travail, de l’inspection du travail, de la législation sociale, et des relations industrielles collectives et des ressources humaines, l’Allemagne put apporter une contribution importante à la création de l’OIT et à l’élaboration de ses grandes idées, son système de normes internationales du travail et ses programmes de coopération technique. L’Allemagne a joué un rôle de pionnier en matière d’assurance sociale. Déjà, en 1883, elle fut la première à adopter un système obligatoire d’assurance couvrant la vieillesse, la maladie, l’invalidité et les accidents du travail[3]. En outre, l’Allemagne participa à la promotion de l’important programme du BIT dans des domaines comme l’enseignement professionnel et la formation, la rééducation professionnelle et les coopératives.

En 1890, une « Conférence internationale pour la réglementations du travail dans les usines et les mines » se tint à Berlin. Elle adopta des résolutions sur l’introduction de normes du travail minima, comprenant l’âge minimum du travail, le repos hebdomadaire, le travail des enfants et celui de jeunes gens et des femmes. On a estimé que cette réunion avait été à l’origine de la législation internationale du travail et un précurseur de l’OIT.

Dès 1890, des fonctionnaires allemands, des syndicalistes et des universitaires figurèrent parmi les fondateurs et les soutiens de « l’Association internationale pour la législation du travail », qui constitua en quelque sorte le premier BIT à Bâle en 1901. Certains estiment qu’elle fut à l’origine de la législation internationale du travail et un précurseur de l’OIT. La même année une section allemande de cette association nommée « Gesellschaft für Soziale Reform » (Association pour une Réforme sociale) fut créée à Bonn. Plus tard, de concert avec 25 autres associations nationales, le groupe allemand participa aux activités de l’ « Association Internationale pour une Réforme Sociale » (1924-1933), dont le premier président fut Albert Thomas[4], devenu par la suite le premier Directeur général du BIT.

Bien que l’industrialisation, et, avec elle, la montée du travail salarié, ait commencé plus tard en Allemagne qu’au Royaume Uni et en Belgique, le pays devint graduellement l’un des leaders des nations industrielles au cours de la seconde moitié du 19ème siècle. Elle connut de fortes organisations de travailleurs et d’employeurs. Après le Royaume Uni, l’Allemagne connut le plus important mouvement syndicaliste dans les décennies qui ont précédé la Première Guerre mondiale. Les syndicalistes allemands prirent des positions de pointe dans les organisations syndicales internationales.

De 1903 jusqu’à la Première Guerre mondiale, Carl Legien présida le Secrétariat des Organisations syndicales internationales d’Europe et d’Amérique du Nord et celle qui les a remplacées, la Confédération Syndicale Internationale, créée en 1913. Le mouvement syndical allemand, et tout spécialement sa composante la plus grande et la plus influente sociale-démocrate, attira l’attention d’Albert Thomas. Dès 1902 il prit contact avec les mouvements du travail allemands alors qu’il était étudiant à l’Université de Berlin. En 1903, il consacra sa thèse de doctorat à la version allemande du socialisme.

Les affinités structurelles entre l’OIT et l’Allemagne sont peut-être encore plus étroites dans le domaine du tripartisme érigé en modèle de conduite. La participation des groupements d’intérêt que sont les organisations de travailleurs et d’employeurs dans le processus de décision en matière de politique sociale et économique relève en Allemagne d’une longue tradition. Elle a pris différents noms et formes, tel que le « partenariat social », « l’économie de marché sociale » (après la Deuxième Guerre mondiale), ou « l’action sociale concertée » (1967-1977), se rapportant à la politique monétaire, fiscale et des revenus. Par exemple, pendant la récente crise financière commençant en 2008, alors que l’Allemagne déclinait plus que la plupart des autres pays de l’Union Européenne, la perte d’emplois et la montée du chômage furent marginales. L’ajustement se fit dans une large mesure en réduisant le temps de travail plutôt qu’en ayant recours aux licenciements. Il a contribué à stabiliser la demande globale. Comme les coûts de l’ajustement étaient équitablement partagés entre les travailleurs, les employeurs et le gouvernement, cela permit d’introduire la confiance dans l’économie[5].

Plus particulièrement pendant les années de la République de Weimar, en Allemagne (1918-1933), le tripartisme, à l’OIT s’inspira de la pratique nationale allemande de participation paritaire des travailleurs et des employeurs[6]. Toutefois, il est aussi évident que le modèle libéral du tripartisme, conforme avec les principes de l’OIT de liberté d’association et des groupes d’intérêt indépendants n’était pas toujours appliqué en Allemagne. Il y eut des périodes de corporatisme autoritaire pendant lesquelles les libertés civiles et la résolution des conflits par un véritable dialogue social étaient remplacées par des ordonnances gouvernementales.  Ceci est arrivé  la plupart du temps sous Bismarck et son paternalisme et la Loi répressive sur le Socialisme de 1878. De même pendant l’ère Nationale Socialiste (nazie) de 1933 à 1945, et dans la RDA (1949-1990).

Pendant les périodes décisives du développement de l’OIT après les Première et Seconde Guerres mondiales, le gouvernement allemand se tint très à l’écart de l’OIT de même que de la communauté internationale. La capacité de la nation à contribuer à la mise en place de la loi internationale était sévèrement gênée par son rôle d’agresseur dans les deux conflits mondiaux et l’attitude chauvine et raciste du régime nazi qui s’était opposé radicalement à l’esprit cosmopolite régnant à l’OIT.

Les débuts de l’OIT dans les années vingt avaient été dominés par la France et le Royaume Uni. En plus de ces deux pays, la Belgique, Cuba, les Etats Unis, l’Italie, le Japon, la Tchécoslovaquie, avaient été membres de la Commission sur la Législation internationale du Travail de la Conférence de la Paix en 1919 où fut négociée la première Constitution de l’OIT (dont la création forme la partie XIII du Traité de Versailles).

En qualité de perdant de la Première Guerre mondiale – et reconnue comme la seule responsable du conflit par le Traité de Versailles – l’Allemagne a été écartée des pourparlers de paix. Elle ne prit pas part à la première Conférence internationale du Travail à Washington DC en 1919. Elle n’entra à l’OIT que plus tard cette année-là. Sa qualité de membre de l’Organisation fut exigée par les représentants des employeurs et des travailleurs, et quelques gouvernements, notamment la Belgique. Alors que les employeurs craignaient que l’Allemagne, avec sa grande capacité exportatrice ne gagne des avantages indus dans la compétition internationale si elle ne s’engageait pas à observer les normes de l’OIT, les travailleurs demandaient son intégration, soulignant la force du mouvement ouvrier allemand[7].

Bien que l’Allemagne n’ait pas été parmi les nations qui fondèrent l’OIT en 1919, elle exerça indirectement son influence sur son démarrage. Peu après la Première Guerre mondiale, une agitation sociale, des grèves et des mouvements révolutionnaires se manifestèrent en Europe et même en Amérique du Nord commençant par la Révolution d’Octobre en Russie en 1917 et suivies par la mise en place temporaire de républiques soviétiques en Hongrie et en Italie du Nord. En Allemagne, des soulèvements d’ordre politique, appelés la Révolution de Novembre, éclatèrent le 4 novembre 1918 quand des groupes de travailleurs du Nord se joignirent à la marine pour appeler au renversement du gouvernement et à un nouvel ordre politique pour le pays. Le jour suivant, des révoltes de travailleurs se répandirent à Munich, Berlin et d’autres grandes villes encore, conduisant à la (brève) formation de républiques de travailleurs et à la création du parti communiste. Début 1919, le Premier ministre britannique Lloyd George écrivit au Premier ministre français Georges Clémenceau : « L’Europe toute entière  bruit de l’esprit de révolution. On constate un sentiment non seulement de mécontentement mais aussi  de colère et de révolte parmi les travailleurs contre des conditions antérieures à la guerre (…) L’ordre existant, dans sa totalité, est remis en cause dans ses aspects politique, social et économique par des masses de population d’une extrémité de l’Europe à l’autre » [8] . Créer l’OIT en cette situation de crise peut être considéré comme une tentative par une coalition de la gauche politique réformiste et de gouvernements conservateurs de tromper la révolution et de stabiliser le système économique en s’assurant de la loyauté des travailleurs en appliquant un programme  international de réforme sociale.

Marius Viple, Albert Thomas et Wilhelm Donau à Berlin

Malgré le rôle marginal joué par l’Allemagne entre les deux guerres, le pays n’a pas été sans exercer quelque influence sur l’OIT pendant cette période, grâce aux relations et à la coopération que procuraient les relations personnelles, institutionnelles et techniques. Parmi les plus importantes on relève le Bureau de correspondance du BIT à Berlin, créé en 1921, et fermé en 1934.

Il a été dirigé par Alexander Schlicke (1921-1925 et Wilhelm Donau (1925-1934), tous deux sociaux-démocrates. Tous deux promurent la cause de l’OIT en Allemagne et coopérèrent étroitement à cet effet avec le Ministère du Travail[9]. Parmi les principales activités du Bureau de Berlin dès 1923, il y a eu la publication mensuelle de « Interrnationale Rundschau der Arbeit » dans le style de la Revue internationale du Travail, adressée à des lecteurs de langue allemande et contenant des nouvelles relatives à l’OIT et aux développements des politiques sociales.

La délégation allemande à la Conférence de 1926

Au début des années vingt, un certain nombre de fonctionnaires allemands travaillant à Genève et/ou au Bureau de Berlin, durent affronter un difficile combat de loyauté. Ils étaient déchirés entre leur devoir de fonctionnaires internationaux et le soutien à leurs intérêts nationaux en tant que citoyens de leur pays. Ce conflit s’intensifia entre 1923 et 1925 quand ces fonctionnaires firent connaître publiquement leur position sur les épreuves subies par les travailleurs de la Ruhr et de la Sarre, du fait du coût des réparations imposées à l’Allemagne par le Traité de Paix de Versailles. Ils accusaient l’OIT de souscrire à cette situation. Selon Sandrine Kott[10], cette affaire contribua à l’incorporation dans le Statut du Personnel du BIT d’une disposition qui exige des fonctionnaires une loyauté exclusive envers l’Organisation : « Les membres du personnel du Bureau international du Travail sont responsables, dans l’accomplissement de leurs fonctions, devant le Directeur seul. Ils ne peuvent se considérer comme représentants de leurs pays respectifs, ni demander ou recevoir des instructions d’une autorité nationale quelconque en ce qui concerne l’accomplissement de leurs fonctions » [11]

L’Allemagne d’Hitler quitta la Société des Nations et l’OIT. Elle signifia son retrait en novembre 1933. Son départ devint effectif en 1935. Cependant, la rupture des liens entre le Troisième Reich et l’OIT ne fut pas aussi brutale et complète que l’on pouvait s’y attendre compte tenu de la nature non libérale et raciste du régime nazi. Elle se manifesta petit à petit, à mesure de l’imposition du régime dictatorial. Parmi les premières victimes du nouveau régime, figura la liberté d’association. Les syndicats allemands furent dissouts en mai 1933. Leurs locaux furent occupés et leurs dirigeants envoyés dans des camps de concentration. Une organisation à laquelle l’inscription était obligatoire, le « Front Allemand du Travail » (DAF), fut créée dans le seul but de mettre en œuvre les décisions du gouvernement nazi. Les organisations d’employeurs furent également interdites et intégrées à la DAF, façon de « surmonter la lutte des classes ». A la Conférence internationale du Travail de juin 1933, les représentants nazis, menés par Robert Ley, exigèrent la reconnaissance des pouvoirs des représentants syndicaux. Cependant la CIT refusa les pouvoirs de la « nouvelle délégation des travailleurs » qui quitta alors la Conférence. Aux fins de retrouver légitimité et reconnaissance, la délégation nazie essaya en vain de convaincre Wilhelm Leuschner, membre du Conseil de la Fédération générale syndicale allemande (ADGB), homme politique social-démocrate et membre de la délégation de l’ADGB à la CIT.

Parce qu’il avait refusé de collaborer, Leuschner fut arrêté à son retour de Genève en Allemagne. Plus tard il rejoignit le mouvement de résistance allemand. Il fut condamné à mort et exécuté en septembre 1944[12].

Wilhelm Leuschner à la 61ème session du Conseil d’administration, juin 1933

Chez les délégués à la Conférence et parmi le personnel du BIT, particulièrement chez les Allemands, on constatait des attitudes divergentes à l’égard du maintien des relations avec l’Allemagne nazie. Au moins jusqu’en 1935, le Directeur du BIT, Harold Butler, était enclin à faire des compromis avec le nouveau régime. Le gouvernement allemand exigea et, en fait, obtint la mise à pied de quelques experts et de membres allemands du personnel du BIT. Dans une certaine mesure, la position conciliante du BIT était en rapport avec la posture sociale des Nazis. Cette dernière mettait en avant la paix sociale (enfin, une version forcée de celle-ci), la lutte contre le chômage, les congés payés, l’extension de la protection de la maternité, et la mise à disposition de loisirs pour les travailleurs (« Kraft durch Freude » – la force par la joie). Comme d’autres régimes fascistes en Europe, les Nazis essayèrent, non sans quelque succès, de légitimer sur le plan international leur politique « supérieure » d’aide sociale, de l’exporter dans d’autres pays et d’instrumentaliser l’OIT à cet effet. Il a fallu attendre 1941 pour que le BIT condamne finalement la politique sociale « totalitaire » des Nazis13. Il devint alors tout à fait évident que cette politique était placée au service des ambitions impériales de l’Allemagne. En mai 1941, Robert Ley du Front Allemand du Travail (DAF), essaya d’obtenir des autorités suisses l’autorisation d’occuper le bâtiment du BIT à Genève14. A cette époque le Bureau s’était déjà installé à Montréal où il avait été délocalisé en 1940.

« L’Allemagne de l’Ouest », c’est-à-dire la République Fédérale Allemande (RFA), rentra à l’OIT en 1951. En présence du Directeur général David A. Morse un Bureau de correspondance du BIT fut installé à Bonn et le gouvernement allemand déclara valides 17 Conventions ratifiées par l’Allemagne avant qu’elle ne quitte l’OIT15. La République Démocratique Allemande (RDA) se joignit à l’OIT en 1973, la même année où les deux Etats allemands devinrent membres des Nations Unies. Ainsi, ne faisaient-ils pas partie de la communauté internationale lorsque fut adoptée la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en 1948 et deux Pactes en 1966 : le Pacte International sur les Droits Economiques, Sociaux et Culturels et le Pacte International sur les Droits Civils et Politiques contenant, tous deux, d’importantes dispositions pour les Normes internationales du Travail.

Francis Blanchard avec F.G. Seib à une réunion en Allemagne

Après la Deuxième Guerre mondiale, l’OIT fut l’une des premières Organisations internationales qui aida l’Allemagne à revenir au cœur de la communauté internationale. Deux membres éminents du Conseil d’administration du BIT firent connaître la nécessité du retour de l’Allemagne à l’OIT et l’y aidèrent. Du côté des travailleurs, le syndicaliste Léon Jouhaux joua un rôle essentiel dans la réconciliation des travailleurs français et de leurs homologues allemands et du retour de l’Allemagne dans l’Organisation. Jouhaux remplissait d’importantes fonctions à la CGT avant de la quitter pour créer Force Ouvrière et en devenir président en 1947. Il était également vice-président de la Confédération internationale des Syndicats libres (CISL). Il reçut le Prix Nobel de la Paix en 1951. Du côté des employeurs, Pierre Waline, membre éminent de l’Organisation des employeurs en France et président de l’Organisation internationale des Employeurs (OIE) depuis 1953 intervint en faveur d’une amélioration des relations entre la France et l’Allemagne. Pour cela il fut décoré de la Croix pour Services Distingués allemande.16

Durant la deuxième moitié du 20ème siècle, le rôle de l’Allemagne à l’OIT devint beaucoup plus constructif. Mises à part quelques exceptions, le gouvernement allemand et les organisations d’employeurs et de travailleurs figurèrent parmi les plus fidèles soutiens des politiques qui étaient au cœur de l’Organisation, notamment celles de l’emploi et du travail décent. Ils jouèrent un rôle important dans l’élaboration de la politique de l’Union Européenne à l’égard de l’OIT. Le gouvernement fédéral allemand contribua généreusement en personnel et en moyens financiers aux activités de coopération technique de l’Organisation. En 1992, il alloua 50 millions de marks pour lancer le Programme international pour l’Elimination du Travail des Enfants (IPEC) qui devint par la suite le plus grand programme de coopération technique du Bureau. Des fonds spéciaux furent fournis par l’Allemagne dans le cadre du Programme Mondial de l’Emploi pour des projets en Afrique, de restructuration économique et sociale en Europe de l’est et en Europe centrale après la chute de l’Union Soviétique, ainsi que des programmes sur le travail décent. Derrière les Etats Unis et le Japon, l’Allemagne devint le plus important contributeur à l’Organisation.

Au cours des dernières décennies, l’Allemagne a participé pleinement à la gouvernance et au leadership de l’OIT. Depuis 1954, elle est membre permanent du Conseil d’administration.

En 1976-77, Winfried Haase fut élu président du CA, représentant le gouvernement fédéral, premier Allemand à occuper ce poste. Gerd Muhr, de la Fédération  des Syndicats allemands, fut élu président du CA en 1990 et le représentant du gouvernement allemand, l’ambassadeur Dr Ulrich Seidenberger a été nommé Président du CA pour la période 2016-2017. Le Bureau régional pour l’Europe eut plusieurs directeurs allemands. Nous n’avons pas encore vu un Allemand à la tête du BIT. Probablement en raison de la lourde responsabilité de cette nation dans les désastres politiques du 20ème siècle le gouvernement allemand n’a pas encore présenté de candidature au poste de Directeur général. Je dirais aussi, à juste titre, de même qu’en raison de la proportion disproportionnée de citoyens européens dans cette position.

En résumé, l’Allemagne a eu sa part dans la préhistoire de l’OIT et bien après. Elle figure parmi ses membres influents dans le domaine des politiques et des programmes grâce à ses contributions, ainsi qu’à l’émergence et au développement de la législation internationale du travail, de l’inspection du travail et de la sécurité sociale. En outre ont beaucoup compté les relativement grandes et bien organisées organisations de travailleurs et d’employeurs et la coopération qui règne entre eux. Le tripartisme dans le système de gouvernance de l’OIT correspond à, et a été inspiré, de la tradition allemande de partenariat sur les questions du travail et de la politique sociale. Cependant, l’Allemagne n’a pas été un leader à l’OIT pendant les années les plus innovantes de l’Organisation, surtout du fait de la grande responsabilité et de sa défaite dans les deux  guerres mondiales, du racisme et des crimes du régime nazi qui étaient incompatibles avec l’orientation universaliste et humaniste de l’OIT. L’Allemagne a été absente de l’Organisation lorsque les grands principes et quelques-uns des plus importants éléments constitutionnels de l’Organisation furent adoptés, y compris la Déclaration de Philadelphie. Elle devint un membre pleinement engagé de l’OIT dans la deuxième moitié du 20ème siècle. Elle a soutenu les politiques de l’Organisation, a été généreuse dans sa contribution au travail technique du Bureau et très respectueuse des Normes internationales du travail. Toutefois, l’Allemagne a encore à faire de gros efforts pour transformer le pays en paradis du travail décent pour tous.

L’auteur souhaite exprimer ses remerciements à Jean-Jacques Chevron pour la traduction de son article.

_________________________

Pour plus de détails, voir Seib, Friedrich Georg : Le Bureau de l’OIT en Allemagne, in : Lettre (maintenant Message) n° 34, 2003.

Voir E.G. Erdmann: « Deutschlands Mitgliedschaft in der IAO – Ein Reflex seiner Geschichte 1919 – 1933 – 1951. (Appartenance de l’Allemagne à l’OIT – Un réflexe de son histoire, 1919-1933-1951), in : Ministerium für Arbeit und Sozialordnung et. al.  op.cit. pp. 28 et 34

[1] Kott, Sandrine : Dynamiques de l’internalisation: l’Allemagne et l’Organisation internationale du Travail (1919-1940), numéro 52, Juillet-Septembre 2011, pp. 69-84.

[2] Kott, Sandrine : Der Sozialstaat. In : Deutsche Erinnerungsorte II, Etienne François et Hagen Schulze, Hrsg., Verlag C.H. Beck, 2009, pp. 485-501.

[3] Pour plus de détails, voir Kott 2011/3 op. cit. pp. 78-79 ; et le chapitre sur la protection sociale in Rodgers, G. et al., The ILO and the quest for social justice 1919-2009. ILO, Geneva,  pp. 141-144.

[4] Schewe, Dieter: Initiativen und Unterstützung für die Internationale Arbeitorganisation durch die Gesellschaftten für Soziale Reform/Sozialer Fortschritt 1890-1993, in: Weltfriede durch soziale Gerechtigkeit: 75 Jahre Internationale Arbeitsorganisation.  Bundesministerium für Arbeit und Sozialordnung, Bundesvereinigung der Deutschen Arbeitgeberverbände, publié pour Deutscher Gewerkschaftsbund par Nomos Verlagsgesellschaft, Baden, Baden, pp.37 and fol.p.37 et suiv.

[5]  International Institute for Labour Studies: Germany: A Job-Centred Approach, Studies on Growth with Equity, ILO, Geneva, 2011, pp. 2-3 and chapter 8.

[6] Guérin Denis : Albert Thomas à l’OIT (1920-1932), Genève, Institut européen de l’Université de Genève, 1996, p.31.

[7] Admission de l’Allemagne et de l’Autriche dans l’organisation permanente du Travail, Genève, BIT, 1920

[8] Cité par Rees J.: « In Defence of October » in: International Socialism, 52, Autumn 1991,   London, p.9.

[9] Kott, 2011/3, op.cit., pp. 74-75.

[10]  Ibid., p.77

[11]  Voir Articles 1. du Statut du Personnel du BIT, janvier 1923

[12]  Pour un récit détaillé, lire Tosstorff, Reiner : Workers’ resistance against Nazi Germany at the International Labour Conference 1933, ILO, Geneva 2013 et Message no 50, pp. 20 – 23

13  Kott, 2011, op. cit.,  p. 82.; Waelbroeck, P. and Bessling I. : Some Aspects of Social Policy under the National Socialist Regime, In : International Labour Review, February 194, pp. 127-152.

14  Pour plus de détails sur les relations de l’OIT avec les Nazis, voir Kott, 2011, op.cit. pp. 72 et 80-83.


Politiques novatrices : construction de routes à haute intensité de main-d’œuvre Une étude de cas au demi-siècle du BIT / Jens Müller

Au tout début du Programme mondial de l’emploi (WEP) en l969/70, les initiatives spécifiques d’utilisation de techniques à haute intensité de main-d’œuvre dans des projets d’infrastructure étaient encore à l’état embryonnaire.  Le large programme de recherche du WEP, les missions par pays et la Conférence mondiale de l’emploi étaient encore à venir. A ce moment-là, en 1970, l’auteur a fait part de son expérience et constaté que des techniques à haute intensité de main-d’œuvre étaient venues à la rescousse d’un projet de construction routière dont la réalisation avait initialement été prévue basée sur une utilisation de matériaux et de techniques à forte intensité en capital (1). Ce qui suit résume un article sur cette étude de cas paru dans la Revue internationale du travail.

Cet article est significatif aujourd’hui car il met en scène un précurseur du Programme d’investissements à haute-intensité de main-d’œuvre du BIT (EIIP) qui est à présent complètement opérationnel. Il illustre les risques pris en préférant des techniques à haute intensité en capital sans tenir compte de la situation locale et de la disponibilité de main-d’œuvre et services. Quand les risques devinrent réalité, les techniques à haute intensité de main-d’œuvre s’avérèrent la seule solution. Cette situation fortuite amena l’auteur à analyser les avantages et inconvénients des deux techniques et à en tirer quelques leçons-clé.  Cinquante ans plus tard, alors que l’OIT fête son centenaire, ces leçons restent d’actualité pour les politiques du BIT en matière d’investissements à haute intensité de main d’œuvre.

Le projet initial

Le Département des travaux publics d’un pays subtropical africain devait transformer une route en terre battue de 480 kilomètres en route de gravier praticable en tout temps. Le projet comprenait d’autres travaux publics (drainage, 20 ponts et réalignement de virages dangereux) mais l’étude de cas se concentrait uniquement sur la fourniture d’une route de gravier compacté.

Un jeune ingénieur civil inexpérimenté – l’auteur – fut affecté à la direction du projet financé bilatéralement. Il était prévu que 13 fonctionnaires nationaux techniques et d’inspection seraient affectés au projet mais en réalité seulement six furent détachés.

L’équipement prévu était ultra-mécanisé et sophistiqué et a dû être importé. Il comportait 4 unités de construction composées de plus de 20 véhicules divers/pelleteuses dont certaines utilisaient un système hydraulique. La plus grande partie de l’équipement a pris 9 mois pour arriver. Quelques pièces ont été perdues pendant l’acheminement sur terrain accidenté depuis le port situé à plus de 1000 kilomètres.

En plus de ces faiblesses, d’autres contraintes ont vite vu le jour.  Il fallait former les opérateurs et conducteurs, surtout pour l’équipement hydraulique, mais il n’y avait pas de formateurs. L’entretien et les réparations causaient constamment des problèmes en raison des retards pour obtenir les pièces de rechange et le personnel qualifié.  L’approvisionnement en carburant et huiles de graissage, en particulier pour les systèmes hydrauliques, était aléatoire et fréquemment retardé. Tout ceci résultait en une sous-utilisation de l’équipement et de longues périodes d’inactivité.

Si le projet s’était déroulé comme prévu et dans des conditions idéales, le coût opérationnel direct d’un kilomètre de route aurait été de 500 dollars en utilisant des méthodes intensives en capital.  Avec un taux d’utilisation des machines raisonnable, un kilomètre aurait pu être recouvert de gravier en environ 3 jours. Cependant, en tenant compte des périodes d’inactivité des machines, cette durée théorique a été réduite de 3 à 2,3 jours.

Le déroulement effectif du projet

Une partie de l’équipement manquant ou en réparation dès le début du projet, l’équipe a commencé à le compenser par de la main-d’œuvre. La disponibilité de main-d’œuvre était abondante car les habitants de la région, parfois jusqu’à cent d’entre eux plus les curieux, venaient chercher du travail sur le chantier. L’équipe du projet a découvert que la plupart des opérations (ouverture d’une carrière, déblaiement de la route, extraction et chargement, étalage et façonnage, et compactage) pouvaient être réalisées par des méthodes à haute intensité de main-d’œuvre. Les trois opérations qui nécessitaient des méthodes intensives en capital étaient le transport et le déchargement (camions), l’arrosage (camions-citernes) et le compactage final. Jusqu’à 150 ouvriers étaient employés pour certaines opérations comme l’excavation et le chargement. Bien que la qualité de la route soit inférieure, un résultat satisfaisant était obtenu en utilisant l’équipement lourd (niveleuses-automotrices, camions-citernes et rouleaux compresseurs) pour passer sur la route un mois après achèvement. Les photos montrent comment la main-d’œuvre était utilisée pour déblayer la route et répandre le gravier.  Celui-ci avait été chargé manuellement sur les camions à la carrière.

En utilisant une analyse similaire à celle des méthodes intensives en capital idéales et avec les mêmes prémisses, le chef de projet a calculé que le coût opérationnel direct du kilomètre de route avec les méthodes les plus intensives en main-d’oeuvre serait hypothétiquement de 550 dollars. Il était possible d ‘employer suffisamment de main-d’oeuvre pour les diverses opérations et d’obtenir le même taux de gravillonnage de 2.3 jours par kilomètre.

Comparaison des deux méthodes : un ‘équilibre optimal’

L’analyse a révélé des chiffres saisissants quand les deux méthodes ont été comparées tenant compte du coût des facteurs de production,  de l’emploi créé et du coût en capital :

Coût des facteurs de production

% coût par km de route

Méthode intensive en capital Méthode intensive en main-d’oeuvre
Equipement, carburant, etc.    88%    44%
Main-d’oeuvre    12%    56%
     
Total jours de travail créés par km de route     34    428
Capital requis pour créer un jour de travail par km ($US)     11.25    0.49

Il était clair que certaines opérations pouvaient être accomplies convenablement par des méthodes à haute intensité de main-d’œuvre, alors que d’autres nécessitaient absolument des méthodes intensives en capital. De plus, en comparant les coûts opérationnels pour certaines opérations (épandage, arrosage et compactage) entre les deux méthodes, la méthode intensive en capital était de loin la plus économique. L’étude a suggéré de combiner les deux technologies pour obtenir une méthode d’’équilibre optimal’. Un avantage de cette nouvelle méthode était la création d’emploi d’une part et l’élimination des besoins en équipement lourd et onéreux comme bulldozers et pelleteuses d’autre part. L’auteur a néanmoins relevé que l’utilisation de cette nouvelle méthode demandait une planification prudente et minutieuse, particulièrement dans le planning des réseaux (chemin critique) afin de maximiser les rendements économique et la création d’emploi.

Méthodes à haute-intensité de main-d’œuvre : nouveaux défis de gestion

Quand une grande quantité de main-d’œuvre fut employée, des problèmes imprévus apparurent.  Comme cette méthode était complètement inattendue, les responsables de la gestion et de la supervision n’étaient pas préparés pour assurer une organisation et productivité optimales. Heureusement, les responsabilités et l’autorité ont été déléguées aux chefs d’équipes et de tribus qui devinrent la clé du succès. En ce qui concernait l’organisation du travail, l’absence de normes de référence sur le rendement attendu d’une journée de travail  posait une question déconcertante.  Même en introduisant des études de travail, il devenait difficile de motiver les ouvriers à produire plus, à moins d’augmenter leur salaire ou d’introduire des primes. Ceci était exclu du fait des règlementations gouvernementales qui basaient le salaire sur les heures de travail et non sur la production.

Du côté matériel, le logement et le campement présentaient peu de problèmes car les ouvriers non-spécialisés habitaient à proximité dans leur propre maison. Les ouvriers qualifiés et semi-qualifiés (environ 30) étaient logés au campement. L’auteur estimait cependant que la question du logement deviendrait problématique si la main-d’œuvre dépassait 200 personnes. La nourriture était facilement transportable des bourgs voisins. Et si des dispensaires avaient été ouverts dans certains camps, les médicaments et autres fournitures médicales étaient en quantité limitée.

Achèvement du projet

Etant donné les difficultés rencontrées, il n’est pas surprenant que le projet ait subi un retard considérable. En dix mois d’opération, le projet n’avait réalisé que 50% du travail initialement prévu pour 12 mois. Une société étrangère d’ingénieurs-conseils fut chargée d’aider à achever le travail. Leur méthode était extrêmement intensive en capital accompagné de personnel importé : plus de gros équipement fut utilisé – à part les chauffeurs de camions, tous les opérateurs, superviseurs et contremaîtres étaient Européens ; les pièces détachées et le carburant furent obtenus indépendamment. La route fut achevée rapidement et d’une qualité légèrement supérieure à la portion réalisée par des méthodes à haute-intensité de main-d’œuvre.

Bien que cet achèvement ait été efficace, l’auteur remarqua certaines lacunes : aucune création d’emploi – même la nourriture était importée ; pratiquement pas de formation sur le lieu de travail pour les travailleurs locaux ; tout l’équipement enlevé à la fin ; la population locale n’avait pas le sentiment que la route leur appartenait, n’ayant de ce fait que peu de motivation à l’entretenir et à la réparer ; et les coûts, quoiqu’inconnus, furent probablement financés par des devises étrangères limitées.

(Avant de conclure, il est utile de souligner l’importance de la participation locale et du sentiment de ‘propriété’ dans les projets. L’auteur est retourné sur le site du projet 25 ans après y avoir travaillé. Il a découvert que la section de la route réalisée avec une haute intensité de main-d’œuvre était mieux entretenue que les autres sections. Les villageois ont confirmé qu’ils la considéraient comme ‘leur route’.)

Conclusions et leçons à retenir

Plutôt que de préférer l’une des deux méthodes, l’auteur conclut que chaque projet devait être abordé en profondeur pour obtenir un équilibre optimal. Ceci devrait permettre de choisir la technologie appropriée aux différentes conditions socio-économiques.

Les questions recommandées pour revue ou orientation à l’avenir étaient nombreuses. Elles ciblaient la disponibilité en équipement et l’accès à l’entretien et aux réparations ; l’utilisation ultérieure de l’équipement ; la localisation des sites ; la disponibilité de main-d’œuvre de différents niveaux de compétence ; les politiques et projets de création d’emploi ; les possibilités de formation sur le lieu de travail ; les installations matérielles et logistiques ; la réglementation des salaires ; les plans de suivi ; et les avantages et inconvénients de la participation de la population locale.

Les leçons-clé à retenir pour l’avenir sont soulignées ci-après :

  • la conception et la planification des projets dès le début sont critiques à leur succès. Le graphiquage des réseaux et les méthodes de chemin critique sont essentiels
  • les conditions socio-économiques et la disponibilité de main-d’œuvre sont aussi importantes que les considérations techniques et administratives
  • la direction du projet doit s’adapter afin de faire face à un grand nombre de travailleurs plutôt qu’à quelques opérateurs qualifiés. Un large programme de formation et gestion de projet devrait comprendre non seulement la gestion générale et de production mais aussi la gestion financière et en ressources humaines ainsi que la connaissance des potentiels de création d’emploi dans différentes technologies
  • enfin et peut-être un des points primordiaux est que la participation des populations locales crée un sentiment de ‘propriété’ et est un facteur motivant pour l’entretien et les réparations à moyen et long terme même sans programme formel.

Juillet 2018.

 

 

 

 

 

___________________________

 

(1) Jens Müller dans la Revue internationale du Travail (Vol. 101, no.4, avril 1970), ‘Méthodes à haute-intensité de main-d’œuvre dans la construction de routes à bas coût : une étude de cas’. A l’époque, M. Müller travaillait dans le Service de la Formation à la Gestion  du Département des Ressources humaines. Avant le Programme mondial de l’emploi, le Service de la Formation à la Gestion s’était largement engagé dans la création et l’assistance aux centres nationaux de productivité, basés sur les ‘missions de productivité’ réalisées dix ans plus tôt.  Ces missions avaient démontré le potentiel de promotion d’emploi des gros projets d’infrastructure, jetant les bases non seulement des politiques de l’emploi mais aussi des projets concrets de coopération technique dans le domaine des travaux publics.

 

 


Les dames de ce groupe -pour la fête de retraite de M. Erbüke - représentaient au moins 16 nationalités qui, comme vous pouvez le constater, ont vraiment apprécié la compagnie de l'entourage autour d'eux. Pouvez-vous les no1nmer tous- indice: photo datée de mars 1993.

Visages et souvenirs du passé / Liz Sommaro

La vie au département des services financiers, ou à l’époque le Budget et du Contrôle, PAIE (Unité centrale  des salaires et l’Unité des Claims) et TRESOR (Service de la trésorerie et des investissements)- il y a eu tellement de changements dans les noms c’est difficile de les suivre tous ! Qui peut dire que la finance et la comptabilité est un travail ennuyeux et fastidieux? C’était le temps où nous avons apprécié  nos contacts  quotidiens et nos différences, et pour faciliter notre vie professionnelle nous nous sommes entraidés. Nous avons été très fidèles à notre organisation et avons apprécié nos vies en tant que fonctionnaires internationaux.

Qui peut oublier l’incident quand, après une très forte pluie, de l’eau coulait du plafond près du bar des délégués R.3, un collègue a mis un grande récipient pour cuire la viande (cuisine du BIT) remplie d’eau et de poisson en plastique et un homard avec une légende « Donations -Fonds  pour la rénovation du toit ». Nous travaillions à l’époque sur une énième  version d’un document de la PFAC concernant les travaux de rénovation à réaliser – nous ne savons toujours pas qui a pris l’argent et le homard!

Mais qu’est-ce qui rendent la vie quotidienne et les contacts plus faciles à gérer entre  les fonctionnaires de tant de nationalités différentes avec leurs propres langues et cultures ? Eh bien, voici quelques photos des rassemblements pour les déjeuners, les promotions et les fêtes d’adieu, appréciées par les « travailleurs » de Finance. Les brunchs canadiens (organisé par le Secrétariat du Trésor), où tous les invités- comptables et patrons- apportaient un plat ou des boissons régionales qu’ils ont préparées, ils ont eu beaucoup de succès car nous avions tellement de cultures diverses dans le Service. Barbara Farrish-Walker,l’un des patrons, a aidé à faire la vaisselle pendant que d’autres nettoyaient le local que nous avions emprunté.

L’atmosphère était toujours joyeuse; le fait de mieux se connaître dans une atmosphère harmonieuse favorisait de bonnes relations de travail dans notre vie quotidienne. Les fêtes d’adieu comprenaient les invités que le retraité souhaitait être présent, mais aussi toujours les chefs, pas seulement pour les discours et les cadeaux, mais par respect mutuel des deux côtés. C’était  aussi un moyen de remercier les collègues des autres départements pour leur soutien et leur assistance au fil des ans, car sans eux, le travail ne pourrait pas être achevé et finalisé – un véritable « travail d’équipe » pour accomplir les tâches.

La plupart d’entre nous restent en contact, même à la retraite, pour parler du «bon vieux temps» et sommes très fiers que l’OIT ait atteint l’âge de 100 ans et que nous avons contribué, bien que peut-être dans une tout petite mesure, à sa survie.

Pour ceux qui nous ont quittés et ne sont plus là pour voir cet anniversaire, ou ne pourront pas venir à Genève pour les célébrations de l’année prochaine, vous êtes et serez pour toujours dans mon / nos cœur (s).


Bureau Suva, mars 1989 Devant de gauche à droite : Dirk Jena, Violet Whippy, Mere Sakitoro, Raagini Prasad, Alette van Leur, Laisa Levula, Ilispaci Jiuta, Meli Tunisau ; derrière de gauche à droite : Moira McDonald, Nisha Azimullaj, Arthurleen Lilo, Nelien Haspels, Christine Cornewell, Merry Johnson, Harry Hatton

Les bureaux extérieurs de l’OIT face aux changements politiques, aux conflits civils et aux coups d’Etat Le Bureau sous-régional du Pacifique Sud en 1987 / Sally Christine Cornwell, Mary Johnson

Au cours des 100 ans d’histoire de l’OIT, de nombreux bureaux extérieurs de l’Organisation ont été témoins de changements brutaux de gouvernement – beaucoup par la force, d’autres du fait de renversements inattendus de la majorité électorale. Représenter l’OIT dans ces circonstances a posé de vrais problèmes au personnel qui a dû faire le maximum pour maintenir un bureau opérationnel à la hauteur des principes les plus élevés de l’OIT. Cet article relate les principales difficultés auxquelles le Bureau de l’OIT à Suva a été confronté entre fin 1986 et fin 1987. Cette période a été marquée par la victoire électorale surprise d’un parti travailliste de l’opposition, suivie d’un coup d’État militaire, d’une période de conciliation et finalement d’un deuxième coup d’État décisif et plus brutal.

 Suva : une plaque tournante pour les programmes dans le Pacifique Sud

En 1986-87, l’OIT comptait trois Etats Membres (Fidji, Iles Salomon et Papouasie-Nouvelle-Guinée) et un programme de coopération technique très vaste et diversifié, réparti dans plus de 12 petits Etats insulaires du Pacifique Sud. La couverture géographique du Bureau était considérable.  Les programmes allaient du développement rural à la formation professionnelle dans les métiers de base, en passant par les droits et revenus des femmes, la gestion hôtelière et touristique, la sécurité et la santé au travail dans la foresterie, la population et le développement, l’éducation des travailleurs, la formation maritime et les techniques d’emploi à forte intensité de main-d’œuvre, jusqu’à des services de conseil portant sur le développement des entreprises, les politiques de l’emploi et de la sécurité sociale et les normes internationales du travail.

L’appui que pouvait apporter le Bureau de l’OIT à Suva à ces programmes dépendait dans une large mesure de la fiabilité et de la régularité des moyens de communication ainsi que de déplacements sur de longues distances entre Fidji et les États insulaires, représentant environ un tiers du globe « aquatique ». Les défis étaient phénoménaux : à cette époque les télécopieurs n’étaient pas encore largement répandus, il n’y avait pas d’Internet ni d’accès à des lignes de téléphone directes; en outre, le nombre de compagnies aériennes était limité, et les vols peu fréquents.

Les moyens disponibles (téléphones par l’intermédiaire d’une centrale téléphonique à Suva, messages télex et virements télégraphiques de fonds et vols réguliers) étaient essentiels pour assurer la liaison avec les partenaires tripartites et les experts de l’OIT en dehors des Fidji.

Fidji : Un numéro d’équilibriste

Chacun des États insulaires du Pacifique Sud a une histoire, une identité culturelle et des systèmes politiques et économiques qui lui sont propres. Le Bureau de l’OIT pour le Pacifique Sud était (comme c’est toujours le cas) basé aux Fidji et le personnel du BIT a été particulièrement sensible à l’histoire, à la diversité ethnique et aux mesures spéciales de gouvernance de ce pays. La population est constituée de peuples autochtones fidjiens, d’autres insulaires du Pacifique, de descendants de travailleurs indiens engagés pour les récoltes et de descendants des premiers colons chinois et européens. Après l’indépendance du Royaume-Uni, les lois régissant la propriété foncière ainsi que la Constitution ont été élaborées avec le plus grand soin de manière à protéger les droits des différents groupes et à assurer l’harmonie.  Ce numéro d’équilibriste a plus ou moins bien fonctionné jusqu’en 1987.

Des vents politiques perturbent le Bureau de l’OIT

Pendant de nombreuses années avant la période 1986/87, le Parti de l’Alliance, mené par des Fidjiens de souche, a dirigé le gouvernement. Les relations avec l’OIT étaient excellentes depuis l’ouverture du Bureau en 1975.

Au début des années 80, deux événements ont assombri les relations entre le Bureau de l’OIT et le gouvernement.  Le premier sujet de conflit portait sur l’utilisation de la main d’œuvre communautaire dans la vie villageoise fidjienne, dont le parti d’opposition de l’époque considérait qu’elle ne respectait pas la convention de l’OIT sur le travail forcé. Cette situation a conduit les membres nationalistes du Parti de l’Alliance (le Taukei) à envisager de dénoncer la convention. Le deuxième sujet d’inquiétude était lié au fait que le gouvernement craignait que le projet d’éducation des travailleurs mené par l’OIT ne soit utilisé pour renforcer le Parti travailliste. Au début de 1986, le Bureau de l’OIT à Suva a été prié de mettre un terme à ce projet sauf contrôle plus strict sur les activités syndicales. Les relations étaient suffisamment tendues pour qu’un Directeur général adjoint du siège du BIT se rende à Suva pour rencontrer le Premier ministre et le ministre du Travail, ainsi que les organisations d’employeurs et de travailleurs. L’atmosphère a ainsi été apaisée pendant quelque temps. A la fin de 1986, le Parti travailliste fidjien multiethnique, coalition du Parti travailliste et du Parti de la Fédération nationale indo-fidjienne, a créé la surprise en obtenant la majorité aux élections parlementaires.

Le gouverneur général a fait prêter serment au nouveau gouvernement quelques mois plus tard, durant le premier trimestre de 1987. Le nouveau Premier ministre était d’origine fidjienne et fondateur du Parti travailliste fidjien. Les discours d’investiture ont souligné le rôle important de l’OIT aux Fidji, qu’il s’agisse de normes internationales du travail ou de coopération pour le développement. Le Directeur du Bureau de l’OIT qui était présent a reçu une tape amicale dans les côtes de la part du Coordonnateur résident du PNUD avec un commentaire selon lequel l’OIT pouvait aller de l’avant.

Moins d’une semaine après la prise de fonction de ce gouvernement, le nouveau ministre des Finances, dirigeant syndical d’origine indienne et personnalité clé du Parti travailliste, a convoqué le représentant de l’OIT dans son bureau.  Il a demandé à l’OIT d’agir très rapidement pour obtenir des fonds afin de lancer des projets de création d’emplois et de développement des entreprises.  Le temps était compté.

Jusqu’au 12 mai 1987, le Bureau de l’OIT à Suva a eu le vent en poupe.

Les coups d’Etat

Le 13 mai, un coup d’État a eu lieu mené par le lieutenant-colonel Sitiveni Rabuka. Celui-ci a suivi un modèle de manuel scolaire, et on a dit que la thèse qu’il avait présentée à l’université militaire australienne de Duntroon portait sur les différents types de coups d’Etat. Les parlementaires du Parti travailliste ont été regroupés et emprisonnés avec des syndicalistes. L’armée s’est emparée de la radio et des télécommunications. Les transports aériens et maritimes ont été perturbés, des fournisseurs et des industries clés ont dû ralentir leurs activités.

Les barrages routiers et les couvre-feux ont maintenu la population sous contrôle.

La tension est restée à un niveau élevé au cours des mois qui ont suivi alors que les différentes entités politiques nationales et le gouverneur général cherchaient à trouver un compromis et des solutions acceptables. Les restrictions ont été maintenues mais quand le couvre-feu a été assoupli, il est devenu possible de voyager. Toutefois, les efforts de conciliation ont échoué.  En septembre 1987, un deuxième coup d’Etat militaire a eu lieu, avec des mesures beaucoup plus sévères, notamment un couvre-feu strict, l’emprisonnement des syndicalistes et autres militants et journalistes.  Le Coordonnateur-résident des Nations Unies a mis en place un Comité de sécurité et déclaré une situation d’urgence, ce qui a limité les déplacements du personnel des Nations Unies aux Fidji.

Ces mesures ont eu un impact dévastateur sur l’économie au cours des mois suivants. Le tourisme a chuté. Du fait de l’incertitude de la situation et de l’absence de primauté du droit, les entreprises ont fermé et des personnes qualifiées ont commencé à quitter le pays.  Peu de temps après, la Constitution a été abrogée et les Fidji ont quitté le Commonwealth.  Certaines ambassades ont rappelé leurs ambassadeurs et les hauts commissaires ont été remplacés.

Choix difficiles pour le Bureau de l’OIT

Depuis le premier coup d’État jusqu’à plusieurs mois après le second coup d’Etat,  le Bureau de l’OIT à Suva a été confronté à un certain nombre de problèmes.  La préoccupation immédiate était la sécurité : pour les experts techniques internationaux, répartis dans le Pacifique ; pour le personnel local de coopération technique ; et pour le personnel local appartenant à des groupes ethniques différents. Les communications avec le Bureau régional et le siège, à l’intérieur des Fidji et avec les autres États insulaires étaient très compliquées car les moyens habituels de communication avaient été coupés ou étaient soigneusement surveillés. En outre, il était difficile d’obtenir des informations sur la situation politique et la sécurité des partenaires sociaux de l’OIT et de défendre les principes fondamentaux de l’OIT dans cet environnement hostile. Enfin, au sein du Bureau, tout était fait pour éviter les discussions politiques, mais il est rapidement devenu évident que le personnel d’origine indienne estimait plus sage de partir. Dans les mois qui ont suivi, le roulement de personnel a été considérable et il a été difficile de maintenir un équilibre ethnique dans le recrutement.

Nous avons trouvé des solutions à certains de ces problèmes. Immédiatement après le premier coup d’État, le Bureau de l’OIT a pu utiliser les installations de communication par satellite des ambassades étrangères pour envoyer des messages au Siège et au Bureau régional. C’était une décision délicate alors que nous tenions à conserver notre statut international et notre caractère tripartite. Comme il n’était pas juste de demander au personnel local d’effectuer des tâches susceptibles de le mettre en danger, c’est un expert associé qui a été chargé de faire les déplacements à l’aéroport en brandissant son laissez-passer, au volant de notre encombrante Toyota Crown sur laquelle flottait le drapeau de l’OIT. Téléphoner, dactylographier et transmettre certains télex, dans des langues autres que l’anglais, autant de taches qui ont été confiées à la haute direction.

Les contacts importants que nous avions établis avec les partenaires sociaux étaient difficiles à maintenir pendant les heures de bureau et pendant le couvre-feu du soir, mais en traversant les jardins et les haies après le coucher du soleil pour nous rendre chez les gens, nous sommes restés en contact et avons pu nous enquérir de leur situation. Pendant les périodes paisibles, même les rencontres sur les terrains de golf permettaient d’obtenir des informations utiles sur l’évolution de la situation politique.

Le Comité de sécurité de l’ONU était chargé de conseiller et de guider le personnel de l’ONU en cas d’urgence.  Il y avait une tension constante au sein du comité quant aux mesures qui pourraient être prises pour ne pas exaspérer le gouvernement militaire. Pour sa part, l’OIT avait décidé que lorsque, grâce à nos contacts, nous apprendrions qu’il y avait un risque de troubles civils dans la ville, nous renverrions le personnel du bureau chez lui dans la grande camionnette blanche laissée à notre disposition par un projet syndical régional récemment achevé.  Nous appellerions le PNUD pour l’informer de la fermeture du bureau et proposerions de raccompagner le personnel du PNUD grâce à notre camionnette. Nous étions très heureux d’avoir ce fourgon !

Cette période a été très triste pour nous tous qui aimions les îles et leurs habitants. Avec les deux coups d’État, quelque chose avait été cassé. De nombreux espoirs avaient été anéantis et la vie dans le Pacifique a changé radicalement et pour longtemps*. Quelques temps après le coup d’Etat, le Directeur et le Directeur adjoint du Bureau de l’OIT à Suva ont été invités à rencontrer celui qui était devenu le Brigadier général à la tête du pays, Sitiveni Rabuka.  Il nous a demandé de lui expliquer les principes et le fonctionnement de l’OIT. L’exercice était très périlleux : des syndicalistes et des féministes étaient détenus, la CISL avait envoyé une mission d’enquête aux Fidji, les conséquences du tripartisme et l’application des normes de l’OIT sur le travail forcé restaient une source de discussion et de confusion.  Nous avons joué franc jeu et nous nous sommes quittés sur une poignée de main.

S’il y a eu un point positif dans cette tourmente, c’est que les défis et les crises nous ont réunis en tant que collègues du BIT.  Nous avons noué de solides liens d’amitié qui sont toujours présents.  Une réunion à Fidji avec certains membres du Bureau de l’époque, personnel international comme personnel national, est d’ailleurs à l’étude.

Sally Christine Cornwell, Mary Johnson

* L’incertitude politique a subsisté pendant un certain nombre d’années après les deux coups d’État de 1987.  Un relatif apaisement a permis  à l’OIT de poursuivre son travail pendant cette période.  La photo ci-jointe du personnel de l’OIT à Suva a été prise en 1989.  L’histoire s’est cependant répétée plusieurs années plus tard, lorsqu’un nouveau coup d’État a eu lieu en 2000, remplaçant une nouvelle fois un gouvernement élu dirigé par une coalition multiraciale.  La période 2000-2006 a été très instable, ce qui a conduit à un nouveau coup d’État en 2006.  Une crise constitutionnelle a eu lieu en 2009, entraînant une prise de pouvoir brutale.  Après une interruption de plusieurs années, des élections législatives ont eu lieu en 2014. L’actuel Premier ministre, qui avait joué un rôle déterminant dans le coup d’État de 2006, a alors été élu.


« Labour joke » (plaisanterie au travail) / J.C. Alexim

Dans le monde du travail, il existe une richesse illimitée de relations humaines. Un seul épisode, que je souhaite raconter ici, peut montrer comment l’ambiance se déroule et contribue à faire du lieu de travail un environnement suggestif et créatif. J’ai participé à Lima, au Pérou, à une réunion des directeurs de l’OIT de la région sud-américaine. Elimane Kane était l’autorité supérieure qui dirigeait la réunion, il était directeur général adjoint au siège. Parmi les autres directeurs, Carlos Alberto de Brito, directeur du Bureau à Brasilia était présent. C’était le mois du carnaval de Rio, l’un des festivals les plus célèbres du pays. Dans une conversation informelle, j’ai indiqué que je passerai au Carnaval à Rio.

Quand j’arrivais à Montevideo, ma secrétaire ne savait pas comment me dire que j’étais officiellement non autorisé à aller au Carnaval de Rio. Après une conversation préparatoire elle m’a finalement présenté un télégramme (ce n’était pas encore l’heure de la communication numérique) qui avait été envoyé par Elimane Kane. Elimane faisait valoir que le Carnaval était l’endroit d’abus de toutes sortes contre l’être humain et donc incompatible avec un fonctionnaire international.

Maria Elisa, employée de bureau dévouée et attentionnée a été attristée par ma situation qui allait à l’encontre de mes souhaits personnels. Elle a été soulagée quand j’ai ri de l’interdiction d’Elimane Kane.


Aquaculture / William Mellgren

En arrivant au Bangladesh en 1984, comme membre du Programme Mondiale du travail, j’ai constaté que le Bureau du BIT avait un solde de fonds inutilisés de dollars EU 4.000 à retourner au siège. Après avoir voyagé dans le pays et vu la quantité de bassins, petits lacs et terrains non exploités, j´ai proposé qu’un mini-projet, avec le premier exportateur de gambas du pays, soit envisagé.

Avec le biologiste marin, nous avons préparé un programme d´initiation audiovisuelle, puis sommes partis dans la partie sud du pays organiser des rencontres avec les possibles intéressés, paysans, propriétaires et autres. La plupart des participants voulurent faire des essais avec l’aide de notre spécialiste et de nos homologues du BMET…

C´est avec une grande satisfaction que j´ai lu l’article du 17 février dernier paru dans The Economist, expliquant que la pisciculture au Bangladesh avait multiplié par 19 sa production entre 1984 et 2016, pour atteindre un total de 2,2 millions de tonnes! Non seulement des centaines de milliers d´emplois mieux payés ont été créés, mais le poisson est devenu accessible, à moindre prix, tant dans les villes que dans les zones rurales. Les possibilités d´emploi dans l´année ont plus que doublé comparées à celle du riz. Un autre et important plus, est la meilleure alimentation en protéines, vitamines et minéraux, faisant grandir plus et mieux les enfants. La baisse du prix des poissons dans les marchés, permet aux ouvriers urbains de virer plus de fonds à leurs familles rurales.

William Mellgren


Un héros inconnu retraité. Basé sur des événements réels / Alexander Samorodov

Un ami m’a raconté une histoire. La voici…

Un vendredi soir, j’étais devant un écran de PC en train d’écrire un mémoire de ma vie. Mon humeur optimiste a été interrompue par un ressentiment amer de voir le texte disparaître à une vitesse étonnante, détruisant tout le texte. Commençant par la dernière lettre que j’ai tapée. En paniquant, j’ai commencé à appuyer au hasard sur tout ce que je pouvais sur le clavier, comme un pianiste ivre. Miraculeusement cela a fonctionné; l’auto-suppression s’arrêta aussi brusquement qu’elle avait commencé.

Hélas, ma victoire fut de courte durée. Le fichier sur lequel je travaillais devenait comme un nuage, ou un marais, ou une crème (60%), avec le curseur dans le bourrage. J’ai perdu la possibilité de le modifier ou de l’envoyer à PRINT. Je suis un «homme mort», pensai-je. Non seulement ils regardent en direct ce que je produis à l’écran, mais ils peuvent également interrompre à tout moment le vol de mon extase.

Soudain, une lumière rouge menaçante envahit la pièce. «Oui, vous êtes un homme mort», reprit le flash rouge en lettres majuscules, lisant dans mon cerveau à ne sais pas quelle distance. Je ne pus dire «Impressionnant» qu’en n’en croyant pas mes yeux. Frappé d’horreur et de frissons dans le dos, je me suis mis à quatre pattes sous le bureau comme le «Manuel de guerre des ménages» nous ordonne de faire en cas d’attaque nucléaire.

Scintillante, la «lumière rouge» s’estompa à une vitesse lente et astucieuse. J’ai donc gagné. L’ennemi a déserté le champ de bataille à la suite de ma manœuvre opportune. Au premier soleil, j’étais toujours sous le bureau transpirant de sueurs froides et de la fatigue que la victoire me coûta.

Ma glorieuse victoire reposait sur deux postulats. Numéro un: la retraite est une embuscade. Numéro deux: la défaite est une victoire, à la Pyrrhus, la plus destructrice. Bien sûr, ma victoire a surpassé Trafalgar, Waterloo et El-Alameyn réunis. Mais pas Stalingrad, certes.

Pour cela, je suis encore un peu faible dans les tripes. Pour la première fois, un petit homme comme moi, unique sur cette planète, a infligé une défaite écrasante au tout-puissant international e-Intruder «Red Light» qui nous surveille subrepticement de derrière les écrans. Ne l’appelons pas encore la «Mère de toutes les batailles».

Sur la base des règles de la guerre, je voulais envoyer un ultimatum à l’e-Intruder pour qu’il le signe en utilisant des citations appropriées du New Oxford Dictionary of English Slang et Rude Words (épuisé), mais je l’ai ensuite écarté de ma pensée. Le «feu rouge» était tellement démoralisé qu’il n’a laissé aucune adresse IP lors de sa fuite du champ de bataille. Un lâche. La grâce de mon vainqueur ne connaissait pas de limites. Il s’est notamment manifesté par le fait que je ne souhaitais pas que l’intrus soit «mieux mort que rouge». En effet, à la suite de l’engagement ci-dessus pour la réunion en ligne, le «feu rouge» ne m’a jamais rendu visite. C’était Probablement tenir compte de la sagesse des gens: une fois battu – deux fois timide.

Mis en attente de l’histoire par Alexander Samorodov, retraité du BIT.

Alexander Samorodov


Comité international des Relations intercoopératives, 9-10 février 1931

Histoire de COOP du BIT ou un long itinéraire a travers le siècle dans le monde de la coopérative / Igor Vokatch

«Depuis plus d’un demi-siècle, le Service des coopératives de l’OIT, connu sous diverses appellations à différentes époques, est l’un des plus grands et est probablement le plus grand dépositaire mondial des connaissances sur la coopération….» Alliance coopérative internationale, directeur, P.W. Watkins, 1970.

«Je suis un coopérateur et, à ce titre, j’ai la plus grande confiance en la vertu et l’efficacité de l’esprit coopérative». Albert Thomas, Premier Directeur du BIT, Coopérateur français et membre du Comité central de l’Alliance coopérative internationale.

Albert Thomas et le mouvement coopératif international

Quelques mois seulement après la création de l’OIT elle-même, en mars 1920, la Conférence internationale du Travail (CIT), à sa troisième session, adopta une résolution demandant au Bureau, «étant donné les relations étroites  entre les questions du travail et ceux de la coopération », et pour « accorder une attention particulière à l’étude des différents aspects de la coopération liés à l’amélioration de la situation économique et sociale des travailleurs », a ainsi créé un secteur de la coopérative au sein de  la Division des Renseignements et des Relations.

À la suite d’une décision unanime du Conseil d’administration, le Service des coopératives a été créé au sein du BIT à l’initiative d’Albert Thomas en tant que Centre international de recherche, de documentation, d’information et de conseil en matière de coopérative, ainsi que de liaison avec les organisations coopératives. Le Service a été conçu pour donner suite aux activités de l’OIT en faveur du mouvement coopératif dans le monde entier. Le programme d’activités du service coopératif englobait toutes les formes de coopération et son champ d’observation économique et sociale couvrait un vaste horizon. Les activités du Service des coopératives ont été menées en parfaite harmonie et en collaboration avec les principales organisations coopératives internationales et nationales.

Recueillir, analyser et évaluer les informations sur tous les aspects des activités coopératives et les mettre à la disposition des États membres intéressés sous forme de publications spécialisées constituait la tâche principale. Ces informations ont été mises à la disposition des organisations coopératives, des personnes engagées dans la recherche, des institutions et des administrations publiques. Elles ont également été utilisées en partie pour la préparation de diverses publications par le Bureau, en particulier dans la Revue internationale du Travail. L’édition du «Répertoire international des organisations coopératives (de 1920 à 1988) » et des « Informations coopératives » publiée trimestriellement (de 1924 à 1978) ont aidé le mouvement coopératif à prendre conscience de son développement mondial et de la multiplicité de ses formes.

Des informations sur la coopération ont également été publiées dans le périodique « Informations sociales ». En outre, il était possible de consacrer au mouvement coopératif une section de l’Annuaire international du travail, publication triennale du BIT depuis sa création. Cette section a présenté sous une forme concise la documentation la plus complète pouvant être obtenue sur environ 500 organisations coopératives nationales établies dans 47 pays, ainsi que sur des organisations et institutions coopératives internationales. Aussi, le Directeur du BIT a inclus plusieurs paragraphes sur des questions d’actualité liées aux coopératives dans son rapport annuel.

Albert Thomas a mis cet instrument de recherche et de liaison à la disposition de l’Organisation et du mouvement coopératif. Il a participé plusieurs fois aux congrès de l’ICA (Alliance coopérative internationale). Il y a participé pour l’ultime fois au très représentatif 14e Congrès de l’ICA à Vienne en 1930. La discussion a porté principalement sur la politique économique et Albert Thomas a animé le Comité de politique économique et prononcé un discours.

Il convient de noter que le service coopératif de du BIT a été dirigé à ses débuts par une série de collaborateurs français, tels que M. Georges Fauquet (1920-1932) et son successeur, Maurice Colombain (1932-1947), intitulé  Section des Questions de coopérative et du Service des organisations coopératives; le Service des coopératives a par la suite pris la dénomination de Direction générale des institutions rurales et apparentées, Direction générale des coopératives, Programme des coopératives, Unité coopérative.

Comité international des relations inter-coopératives

Afin de renforcer son influence et son rôle dans le mouvement coopératif international, le Comité de  correspondance pour la coopération a été créé en 1923 par le BIT à son siège à Genève. Au cours de la 17e session, le Conseil d’administration a approuvé la création du Comité de correspondance, composé d’experts nommés par les coopératives les plus qualifiées au regard des missions du Comité. La création de ce comité a apporté une contribution importante au mouvement de coopération au sein de l’OIT, tant sur le plan théorique que pratique. En outre, cela a permis à l’ICA d’être informée de l’ordre du jour de la Conférence.

En grande partie grâce aux efforts du BIT, les questions relatives à la coopération ont été inscrites à l’ordre du jour de la Conférence économique internationale de 1927 à Genève. La Conférence a rassemblé un grand nombre de participants du mouvement coopératif. Le service des coopératives du BIT a présenté deux documents traitant de l’importance de l’organisation coopérative dans la commercialisation des produits céréaliers et laitiers et de la fixation des prix par les coopératives.

En février 1931, le Comité de correspondance pour la coopération devint le Comité international pour les relations inter-coopératives. Il a été créé à la suite des actions entreprises par Albert Thomas lors du XIe Congrès international de la coopération tenu à Gand en 1924 (voir photo page 27), où la discussion majeure sur les relations inter-coopératives a eu lieu à l’initiative conjointe de l’ICA et de la Confédération internationale de l’agriculture, conséquence d’une résolution adoptée par la Conférence économique internationale en 1927.

Le développement des relations entre les mouvements coopératifs de l’agriculture et des consommateurs était l’un des objectifs du Comité international sur les relations inter-coopératives. Le Comité comprenait des représentants de l’ICA et de la Confédération internationale de l’agriculture. Albert Thomas a fait de ce comité un instrument grâce auquel il a donné autant d’élan et d’influence au mouvement coopératif qu’à l’institution qu’il dirigeait. Son double objectif était de promouvoir le développement de relations morales et économiques entre les organisations de coopératives de consommateurs et les coopératives agricoles et de servir d’organe de liaison entre le mouvement coopératif dans son ensemble et l’institution internationale officielle.

Son Président a toujours été le directeur du BIT et son secrétariat a été assuré par le Service des coopératives du BIT. La création de ce comité et son fonctionnement ont parfaitement caractérisé la diversité, l’unité et la continuité de l’action déployée par Albert Thomas, non seulement au sein de l’OIT, mais également au sein du mouvement coopératif français et international. Un lien fort avec le mouvement coopératif a ainsi été établi. Un autre objectif du comité était de maintenir le mouvement coopératif dans son ensemble en contact avec les institutions internationales, en particulier les organisations économiques de la Société des Nations, le BIT et l’Institut international de l’agriculture. Les travaux de ce comité, très estimés, ont été paralysés en 1939 par le déclenchement de la guerre.

Entre les deux Guerres mondiales, la recherche et l’information étaient les principales activités du BIT dans le domaine des coopératives. Le programme d’activités pratiques (coopération technique) a vu le jour en 1932. La première mission d’assistance technique en coopération a été effectuée par des fonctionnaires de l’OIT au Maroc à la demande du gouvernement marocain. Maurice Colombain a donné son avis sur la politique de développement des coopératives. De retour au Maroc en 1937, il est réputé avoir donné un élan au mouvement, en le faisant évoluer vers le logement et l’artisanat et en argumentant en faveur du développement de coopératives dans divers secteurs.

L’exil involontaire à Montréal et l’Après-guerre (1940-1949)

En 1940, le service coopératif du BIT a déménagé avec du personnel réduit à Montréal où son «Centre de travail» était situé dans des locaux mis à disposition par l’Université Mc Gill. Au cours de l’été 1942, le service coopératif du BIT, en collaboration avec la Ligue coopérative des États-Unis et la World Wide Broadcasting Foundation, organisa un congrès inopiné et donna l’occasion aux principaux coopérateurs de l’hémisphère occidental de s’adresser personnellement à une audience pan-américaine pour faire connaître ses réalisations, exposer ses problèmes et exprimer ses espoirs. Les résultats de ce Congrès ont été consignés dans la brochure intitulée «Le mouvement coopératif dans les Amériques», publiée à Montréal en 1943. La préface a été rédigée par Henry A. Wallace, Vice-président des États-Unis.

En 1943, le service des coopératives du BIT a lancé une enquête internationale dans le but de définir le rôle des organisations coopératives dans l’économie durant la période de guerre et de l’Après-guerre. Le mouvement coopératif a eu l’occasion de se préparer, grâce à la formation et à une action spécifique, à prendre sa part dans la vie économique nationale et internationale après la guerre. Des études et des rapports sur la coopération ont été préparés pour des publications générales du BIT, pour différentes Conférences et Commissions du BIT ou pour d’autres Organisations internationales. Le Service des coopératives du BIT a préparé et publié deux guides importants qui attirèrent l’attention de tous les organismes concernés par la réhabilitation et la reconstruction pour mener à bien la coopération sous ses diverses formes et sur ses avantages spécifiques, en tant que moyen de rétablir la santé de la vie  économique et de réparer les destructions  causées par la guerre. Ces ouvrages étaient respectivement intitulés « Organisations coopératives et secours d’après-guerre (1944) » et son ouvrage d’accompagnement, « Le mouvement coopératif et les problèmes actuels », avec une référence particulière à la réhabilitation et à la reconstruction (1945) ; les deux ont parlé de la collaboration entre l’OIT et le mouvement coopératif international dans le monde de l’Après-guerre.

Lors de la 26e session de la Conférence de l’OIT tenue à Philadelphie en 1944, le résultat notable fut la décision de créer un comité de représentants chargé de faire le lien entre le BIT et le mouvement coopératif et de permettre la présence régulière des représentants d’Organisations internationales coopératives à la Conférence en qualité d’observateurs.

En décembre 1948, lors de la 107e session du Conseil d’administration du BIT, l’Alliance coopérative internationale obtint un statut consultatif auprès du BIT.

Dans les années d’Après-guerre sous David Morse,  Directeur général, il est très significatif que le service coopératif ait été  inclus dans le Département Education des travailleurs et Relations (à présent inclus dans ACTRAV) et du Service des relations patronales (inclus dans ACTEMP). Ceci démontre la prise en compte des intérêts de groupes non représentés par ces deux services. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que l’OIT a lancé le programme d’éducation ouvrière. Au fil des années, les activités dans ce domaine ont été soumises à de nombreux changements, mais son objectif d’aide aux organisations de travailleurs a été maintenu et a rencontré le succès.

Avant la Guerre, la Commission internationale des relations inter-coopératives (1931-1939), présidée par le Directeur du BIT a connu le succès mais ne faisait pas vraiment partie du BIT. Par la suite, il avait été décidé d’aller de l’avant et, en mai 1946, le Conseil d’administration du BIT, à sa 98e session, décida la création du Comité consultatif de la coopération. Le Comité a ensuite élu président à l’unanimité M.T.H. Gill, Président de l’ICA et de la Cooperative Wholesale Society (Royaume-Uni). La première réunion a eu lieu à Genève en octobre 1949 afin d’étudier un certain nombre de questions, notamment les possibilités de l’action coopérative dans les pays sous-développés. Dans ses recommandations, il a souligné le besoin d’une étude du droit des coopératives, afin d’aider les gouvernements des pays concernés à établir ou à améliorer « un cadre juridique adapté aux conditions particulières de développement du mouvement coopératif ».

Le Comité devait être composé de représentants du Conseil d’administration et des mouvements coopératifs et de membres ad hoc spécialement invités à y participer. C’est ainsi que le Comité a vu le jour, avec pour objectifs complémentaires d’apporter le point de vue, l’expérience et les conseils des organisations coopératives pour l’examen des problèmes qui préoccupent le BIT, et d’étudier des sujets purement coopératifs comme la législation, les statistiques, l’éducation, les relations inter-coopératives, etc.

Ultérieurement, des suggestions ont été faites par diverses régions du monde concernant l’élargissement du Comité consultatif de la coopération.  À sa création, il comptait environ 15 à 20 personnes. Compte tenu de l’élargissement de la taille du Comité (environ 50), le Conseil d’administration du BIT a décidé en 1953 que le Comité devrait désormais fonctionner en tant que Comité de correspondance pour la coopération. Des membres pourraient être convoqués occasionnellement pour des consultations sur des questions spécifiques.

Pionnier des Programmes d’assistance technique du BIT

À la fin des années 40 et au début des années 50, le BIT entrait dans une nouvelle phase de ses activités qui visait à relancer les effets de la mission au Maroc décrite ci-dessus. Il a été non seulement nécessaire de rédiger des conventions et des recommandations, mais également de donner les instruments nécessaires aux agences, en particulier dans les pays les moins avancés, pour faciliter l’introduction et l’application des principes incorporés dans ces mesures. Certains pays dans le monde en étaient au début de leur développement économique et social et le BIT était convaincu que le mouvement coopératif pouvait les aider dans tous les aspects de leur développement. En diffusant l’idée d’une approche coopérative, le Bureau a servi de pont entre les pays d’Europe et d’Amérique, où le mouvement coopératif existait depuis de nombreuses années, et les nouveaux pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine dotés de  grandes potentialités de développement. Cette période se caractérise également par l’intensification de la participation des gouvernements au développement des coopératives ainsi que par le grand intérêt des Organisations internationales pour le potentiel des coopératives. Les mouvements coopératifs se sont considérablement développés avec de nombreuses ressources gouvernementales et internationales.

En 1948, David Morse a pris ses fonctions de Directeur général. Entre 1949 et 1953, le BIT a intensifié ses activités dans le domaine de la coopération. Les projets allaient d’enquêtes générales ou de  la planification d’ensemble des mécanismes administratifs et promotionnels à des mesures concernant des activités spécifiques telles que les banques coopératives, les coopératives de consommation, les coopératives industrielles, les systèmes coopératifs d’éducation et de formation, etc. Les efforts du BIT, seul ou en collaboration avec d’autres Organisations internationales, ont souligné le rôle potentiel de la coopération dans le développement économique et social et ont de même profité directement au mouvement coopératif dans de nombreux pays. Un certain nombre de réunions se sont tenues sous les auspices du BIT en se  consacrant spécialement à l’examen des questions de coopératives par des experts en coopération.

La coopération figurait également à l’ordre du jour ou dans les discussions d’autres organes de l’OIT. Ainsi, la 26e session de la CIT a inclus des références spécifiques à l’opportunité d’encou-rager les organisations coopératives. Les Conférences régionales de l’OIT en Asie (1947 et 1950) et au Proche et Moyen-Orient (1947) ont toutes deux adopté des résolutions distinctes concernant le développement des coopératives dans leurs régions respectives et ont fait référence à la valeur de l’action coopérative dans des Résolutions sur les impératifs économiques nécessaires au progrès social et aux conditions de vie et de travail des producteurs primaires. La cinquième Conférence des États américains membres de l’OIT (avril 1952) a adopté une résolution sur la coopération, dans laquelle elle a notamment recommandé qu’une enquête générale soit menée sur les progrès réalisés par le mouvement coopératif et a proposé la convo-cation d’une réunion d’experts sur la coopération.

A suivre


Le Centenaire de l’OIT 100 ans de crises surmontées / Takayuki Ando

Alors qu’on célèbre du fond du cœur le centenaire de notre organisation mère l’OIT, il ne faut pas oublier que les longs chemins qu’elle a parcourus durant ces cent années n’ont pas nécessairement été plats et aisés. L’OIT a supporté non seulement les très dures années de la seconde guerre mondiale, obligeant le BIT à se séparer de 90% de son personnel (de 400 à 40) et à se réfugier à Montréal, mais également bien d’autres difficultés sérieuses durant sa longue histoire.

En raison de l’espace alloué à chaque contribution, je ne peux que toucher brièvement celles-ci. L’une des plus sérieuses et durables difficultés que l’OIT a eu à affronter a été la confrontation entre l’universalisme et le tripartisme, deux principes de base auxquels l’organisation se doit d’adhérer. La divergence d’opinions marquée sur ce point et le fort antagonisme  entre le groupe employeur (ainsi que certains gouvernements, en particulier les Etats unis) d’une part, et les Pays de l’Est d’autre part, ont beaucoup dérangé le fonctionnement homogène de l’OIT, particulièrement durant la Conférence et autres réunions tripartites.

Ceci a duré bien des années, en fait depuis le milieu des années trente quand l‘URSS est devenue membre de l’OIT, jusqu’au début des années 1990 quand la confrontation Est-Ouest a finalement disparu.

Parmi les autres difficultés que j’ai ressenties personnellement, l’introduction de sujets politiques  a créé une certaine confusion lors des Conférences, d’abord en 1963-64 à cause de la confrontation entre les états membres sur le problème de la discrimination raciale (Apartheid) en Afrique du Sud. J’entends encore le chahut et les vociférations dans le hall du Palais des Nations. Puis, au début des années 70, l’accusation ferme par les Etats unis de « politisation de l’OIT », en rapport aux conflits entre les états membres sur les relations Palestine-Israel, etc., qui ont conduit les Etats unis à suspendre le paiement de leur contribution au budget annuel de l’Organisation et finalement à se retirer de l’OIT pendant plusieurs années (1977-1980). Ceci a obligé le Bureau  à prendre des mesures draconiennes pour diminuer ses activités, y compris des réductions de personnel.

Il ne faudra jamais oublier les efforts  fournis d’abord par Wilfred Jenks, et après son tragique décès, par François Blanchard pendant ces dures années pour maintenir la position inébranlable du BIT.

L’OIT peut fonctionner efficacement si le monde fonctionne d’une manière harmonieuse et ordonnée. Souvenons-nous des mots gravés en latin sur la première pierre de l’ancien BIT : « Si vous voulez la paix, cultivez la justice sociale », ainsi que ceux du Préambule de la Constitution de l‘OIT : « Une paix universelle et durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale ».

 Takayuki Ando, fonctionnaire du BIT, 1956-86


De la Conférence et de la Division d’édition et de traduction / Roberto P. Payró

Il fut un temps où le programme des publications était un service important, responsable de l’édition et de la traduction d’ouvrages et de publications périodiques, mais aussi des rapports de conférences et autres documents officiels, de traductions, de l’impression, de la distribution et de la vente. Lorsque je suis arrivé à la Division en 1950, elle était dirigée par J.E.A. Johnstone, canadien, ex-professeur de grec, que l’on disait avoir du sang iroquois. Il était entré au BIT en 1927 et avait travaillé pendant la guerre au Working center (centre de travail) du BIT à Montréal. M. Johnstone était une personnalité respectée de tous pour son total engagement aux objectifs de notre Organisation et la rigueur dont il faisait preuve dans les publications qui furent dès les premières années de l’existence de l’OIT l’une de ses bases.*

Année après année, la tâche la plus ardue assignée à la Division se déroulait  lors des sessions annuelles de la Conférence internationale du Travail. Voici quelques souvenirs de ces trois semaines en juin de chaque année, au cours des années courant jusqu’à mon transfert à New York, au Bureau de liaison de l’OIT auprès des Nations Unies en 1957.

Les discours prononcés lors des séances plénières de la Conférence étaient pris verbatim par les sténo-rédacteurs. Pour l’espagnol, nous eûmes des personnes aussi remarquables qu’Enrique Martìn, Sorel et Manuel Carrillo (avant qu’il soit transféré à l’interprétariat). Ils étaient ensuite retranscrits par eux-mêmes ou d’excellents transcripteurs de sténo tels de Hoyos, Ricardo Dîaz Corpiõn, Isabel et Rosa Miragaya et plus tard, Emilio Forcada et Virgilio Garrote. Rarement, un interprète estimait nécessaire de redicter un discours qui ne s’était pas révélé suffisamment fidèle à l’original, dans la langue d’interprétation.  Dans la plupart des cas dont je me souviens, c’était Dick Roome qui arrivait dans les étages du Palais où se trouvait le « pool », pour redicter l’un ou l’autre paragraphe qu’il estimait n’avoir pas été saisi correctement dans sa première version (Dick était un excellent traducteur et un collègue de premier ordre, ce qui peut expliquer pourquoi il était toujours prêt à aider ceux d’entre nous qui étaient assignés au Service d’enregistrement de la conférence). Plutôt à contrecœur, M. Johnstone laissait des collègues de son service se conduire en interprètes. Mais en  conséquence, nous avons été chanceux d’avoir pour l’espagnol, des collègues aussi talentueux que Juanita Riley, Ana Maria Etchegorry et Ma-nuel Carrillo, tandis que du côté anglais, il y  avait Dick Roome, Michael Bell, Kitty Leibovitch, Jim Connolly, Patrick Denby et Hugh Jones.

Les manuscrits dactylographiés de tous les discours étaient envoyés au Service d’enregistrement de la conférence.  Nous étions parfois heureux de constater que le texte avait été amélioré par nos collègues du « pool » qui savaient combien nous avions souffert de la mauvaise qualité de l’interprétation (mais bien plus souvent, de ce que le style et le contenu de la plupart des transcriptions nécessitaient pour être publiés. L’interprétation ne se prête que rarement  à la publication immédiate comme un texte rédigé avec soin, à moins que l’interprète ne se trouvât être l’un des rares réellement  talentueux que j’ai connu, tels Kitty Natzio, Albert Kouindjy, George Dunand, Roger Glémet, Mme Kerr ou, plus tard, Camille Amacker, ou encore, s’il avait décidé du temps qu’il serait prêt à consacrer à préparer la traduction d’un discours mis préalablement à sa disposition, avant de passer dans les cabines des interprètes).

Suivait une nouvelle étape. Les manuscrits d’une séance entière étaient distribués dans un ordre quelconque aux rédacteurs, réviseurs et traducteurs en service. (jusque dans les années 1970, le personnel du Conference Record Service d’enregistrement de la conférence travaillait de 9.00 h. du matin  jusqu’à la finalisation des tâches. En règle générale, il y avait seulement trois personnes dans chaque équipe de chacune des trois langues ; le chef du Service devait rarement être appelé en renfort, parce qu’il souhaitait que le travail régulier hors conférence, se poursuive normalement. La composition de ces équipes variait d’année en année. Une année, l’équipe espagnole fut composée de Martinez Mont, Sire et Altimiras ; l’année suivante, Elena Ochoa et Juanita Riley servirent avec Martinez Mont. Par la suite, Pepe Osuna dirigea l’équipe, secondé par  Araquistáin, Payró ou Xavier Caballero. Les équipes française et anglaise furent plus stables : Pierre Boulas fut presque toujours à la tête de la première, secondé par Bernard Spy, André Lang, Guy Cotté, Raymond Bas ou François Moret. L’équipe anglaise était composée de Nora Moffat, Molly Healey et Pat Norsky (née Boyd) et de temps en temps,  Robert Caldwell.

Nous quittions rarement le Palais avant minuit ; lorsque les rapports de la Commission de la Conférence commençaient à arriver, nous pouvions travailler jusqu’à 3, 4 ou 5 h du matin. Je me souviens qu’un jour, au début des années 1950, Osuna, Araquistáin et moi-même travaillâmes quasiment deux journées non-stop (car l’édition espagnole du Compte rendu provisoire avait pris une journée de retard).

Une personne de chaque équipe linguistique était chargée par M. Johnstone de conserver soigneusement ce qui se passait au cours des séances plénières. Cet enregistrement, appelé le « squelette », servait à noter, non seulement l’ordre dans lequel les questions étaient traitées, ainsi que les noms et l’accréditation de chaque intervenant (y compris ceux qui avaient soulevé des motions de procédure), mais aussi, dans la mesure du possible, les noms des interprètes du moment. Ceci était utile : il nous indiquait ce que nous pouvions attendre quant à la qualité d’une transcription, donnant ainsi un aperçu du temps qu’il faudrait y consacrer pour mettre un discours en forme.

La plupart des discours étaient sérieusement révisés, car nous estimions nécessaire que quiconque lirait le Compte rendu provisoire ou utiliserait le Compte rendu des délibérations, devait trouver        que la concordance des textes anglais, français et espagnol était excellente ou, tout au moins, satisfaisante.  Les discours préparés étaient relativement faciles, même quand ils étaient débités rapidement, lorsque le délégué s’efforçait de terminer avant l’expiration du délai imparti de 15 minutes. Mais souvent et même de plus en plus fréquemment, un délégué se sentait en veine d’improvisation, et nous nous retrouvions confrontés à quelque chose de bien pire que la tour de Babel. Il y avait quelques excellents orateurs, comme Léon Jouhaux, Pierre Waline, Sir Guildhaume Myrddin-Evans, Alfred Roberts ou Arutiunián, mais la plupart appartenait à une tout autre espèce. (Pendant quelques années, je m’étais spécialisé dans l’amélioration et l’amincissement des discours de M. Sripathi, délégué des travailleurs de l’Inde, et de ceux du délégué des travailleurs cubains qui s’exprimait longuement et à toute allure, avec deux fois plus de passion et de pathos que n’en montrait la plupart de ses collègues.)

Ensuite, l’équipe principale de rédaction vérifiait les tas d’ébauches dactylographiés, y introduisait des marques typographiques, et faisait des corrections stylistiques ou même sur le fond, pour s’assurer que le dossier de chaque séance était complet, la liste des orateurs à jour, et que toute question de procédure avait été traitée conformément au règlement de la Conférence et à une pratique de longue date. Il est arrivé au cours des années de la guerre froide, que le monde s’arrêtât quand un délégué s’était opposé au point de vue d’un orateur, et que – selon les nouvelles règles fixées par la Conférence – le Président et ses conseillers devaient examiner les passages incriminés d’un discours ou de plusieurs, et décider s’ils devaient être radiés du registre ou conservés. (Parfois, des passages que l’on nous avait dit un jour de supprimer, devaient être rétablis le lendemain dans le cadre d’un rectificatif.)

L’étape suivante consistait pour le chef du Service enregistrement de la Conférence à autoriser l’envoi aux imprimeurs des lots de textes dactylographiés. A l’époque de M. Johnstone, celui-ci examinait personnellement toutes les épreuves dans les trois langues, avant d’accepter leur transmission aux imprimeurs, aussi pressés fussent-ils de les recevoir après minuit, délai théorique, aux premières heures du matin.

Les rapports du Comité de la Conférence exigeaient encore plus de soins. Nous avions été entrainés à penser en termes de cycles complets, de sorte que nous savions que notre travail pouvait avoir une valeur pérenne. Les rapports techniques soumis à la Conférence et ceux relatifs aux discussions conséquentes formaient un tout qui ne trouvait pas nécessairement sa conclusion avec l’adoption de nouveaux instruments de droit. Nous ne savions que trop bien que les précédents ensembles  de rapports pouvaient prendre une valeur certaine pour des débats sur un sujet nouveau, mais présentant des similitudes, inscrit à l’agenda d’une conférence ultérieure. Les éditeurs vérifiaient méticuleusement l’exactitude de la forme et du fond de l’original et des traductions des rapports et des propositions d’instruments, les conclusions et les annexes. Jusqu’à la dernière minute, ils prenaient en compte de nouveaux éléments et les changements communiqués par chaque secrétariat, après que le Comité concerné eut terminé ses délibérations et arrivé à une conclusion. (Kundig me raconta un jour que, sachant que Johnstone refusait que même une seule page du rapport ou des annexes du Comité d’application soit envoyée à l’imprimeur avant que le Comité ait terminé son travail tard le dernier vendredi avant la clôture de la Conférence, il avait menacé de ramasser toutes les épreuves qu’il aurait pu trouver dans le bar des délégués, dénotant ainsi que le travail de typographie avait déjà commencé. Le rapport, dans son entièreté, devait être distribué le lundi suivant, de sorte qu’il semblait normal que Kundig en prépare le plan d’impression à l’avance,  d’autant plus que le rapport du Comité d’application des normes était toujours de loin le plus volumineux. Ce n’est qu’à partir des années 1970  que les usages furent modifiés et que les imprimeurs furent autorisés à commencer le travail de typographie dès le lundi ou le mardi ; ceci entraînait évidemment plus de travail pour faire les corrections et ajouts inévitables en cours de la phase de typographie).

Les pages ronéo des rapports des comités étaient couvertes de corrections manuscrites. Enormément de temps était consacré à recouper le contenu final des rapports dans les trois langues, avant de décider de les envoyer à l’imprimerie.

Quelle était la suite du processus ?   Il n’y avait pas que le staff chargé de l’impression qui attendait impatiemment les lots de copies que nous lui envoyions. De toute évidence, lino-dactylographes et compositeurs Monotype prendraient plusieurs heures à préparer la composition et corriger les erreurs, mais il fallait aussi que nos propres correcteurs et censitaires relisent attentivement les épreuves au fur et à mesure qu’elles étaient produites, et marquent les corrections indispensables. Ils avaient à nouveau le même volume de relecture, une fois que le personnel de l’imprimerie en avait terminé avec la mise en page et imprimé une première épreuve.  C’est souvent à ce stade avancé qu’ils devaient incorporer des modifications de dernière minute envoyées par le Service d’enregistrement de la conférence. Comme attendu, elles concernaient surtout le rapport de la Commission de la Conférence sur l’Application des Conventions et Recommandations et plus particulièrement ses annexes. De nombreux délégués avaient en effet pris l’habitude d’envoyer des amendements aux résumés de leurs interventions au cours des délibérations du Comité, surtout quand le débat avait tourné contre eux et que les pays qu’ils représentaient allaient figurer dans la Liste Spéciale.

Le travail d’imprimerie, organiser et contrôler tous les travaux exécutés à l’extérieur sur des machines à l’ancienne, servies par des personnes fières de leur expérience au monotype et au linotype, la qualité de reliure des épreuves, mais aussi veiller à ce que les spécifications du BIT et les normes de qualité, exigeaient d’apporter le plus grand soin à la correction des épreuves, ainsi que dans divers travaux techniques effectués par notre personnel d’impression. Le BIT était fier de la qualité de ses rapports et publications. Comment aurait-il pu en être autrement alors qu’il était notoire dans le monde de l’impression que la plupart des publications avaient été traitées par des rédacteurs à plein temps, avant d’être traduits dans une autre langue par des traducteurs d’un professionnalisme reconnu internationalement, le tout étroitement contrôlé par le personnel de la Section impression à diverses étapes du processus ?

A cette époque, le chef de toutes les sections traitant de publications, était Auguste Larvor, un homme convivial hors de son propre enclos, mais un patron sévère lorsqu’il s’agissait de ses subordonnés qui étaient dirigés selon de vieux préceptes que certains appelaient le fouet du maître, mais surement pas un gant de velours. Larvor, comme ses deux successeurs immédiats, R.E. Charlton et Fred Richardson, était sous la surveillance constante de Johnstone, le chef de la section Impression vérifiant chaque page de travaux produits par le BIT , et déterminé à faire respecter par les imprimeurs commerciaux et les personnels  de la section Impression, la règle d’or qu’il s’était fixée, selon laquelle les publications périodiques du BIT paraissaient dans les délais prescrits et les rapports de la Conférence au plus tard 24 heures après la date prévue de publication. Chaque mois de juin, il faisait tout son possible pour observer la règle voulant que le Compte rendu provisoire des séances de la Conférence de la veille, soit disponible avant que ne commence la séance du jour, pour chaque délégué, dans la salle des séances plénières et dans les diverses salles des commissions. Il arriva qu’une séance commence sans le rapport de la veille, avec au maximum deux heures de retard  regardées comme encore tolérable, lorsqu’un rapport du Comité de la Conférence relatif à une Résolution ou à l’Application des Conventions et Recommandations, avait buté sur un élément technique lors de la première ou de la seconde discussion, alors qu’il était inscrit à l’ordre du jour de la plénière peut-être six ou sept heures seulement après avoir été finalisé et envoyé à l’impression. La même procédure s’appliquait également quand il avait été annoncé dans le Bulletin quotidien qu’un projet de Convention ou de Recommandation serait mis aux voix à une date et une heure donnée.

Qu’est-ce que le BIT sous-traitait à des imprimeurs externes à cette époque ? Tout ce qui avait trait à la Conférence internationale du travail, y compris la liste des délégués et les textes originaux de toute Convention ou Recommandation adoptée (qui devaient être prêts en l’espace d’une nuit, avant la clôture de la Conférence, pour que le Président de la Conférence puisse y apposer sa signature). Le Bulletin officiel, les procès-verbaux du Conseil d’administration, la Revue internationale du travail, la Série législative, le bimestriel Occupational Safety and Health, les publications bi-hebdomadaires Industrie et Travail, l’Annuaire des  statistiques du travail, le Budget (qui était alors une affaire annuelle),  toutes les Etudes et Manuels,  les Rapports du directeur général aux conférences régionales (et les comptes rendus des délibérations de ces conférences) et toutes les publications spéciales, étaient  également imprimés par les entrepreneurs extérieurs.

Il n’existait pas l’époque de version typographique des rapports sur ce que nous appelons maintenant des réunions sectorielles. En d’autres mots, les rapports des commissions d’industrie et autres secrétariats similaires étaient confiés à la Section « ronéo » (les machines « ronéo » d’alors étaient beaucoup plus lentes que les machines offset qui firent leur apparition à la fin des années 1970). Les rapports et autres textes émanant de telles réunions furent imprimés par la suite dans le Bulletin officiel. Le même principe était appliqué aux travaux concernant la liberté d’association, disponibles sous forme de ronéos au début et seulement imprimés beaucoup plus tard dans une série spéciale du Bulletin officiel.

Dans les années 1950, la Section impression avait un chef (Larvor) et un chef adjoint (Charlton) et pas moins de quatre correcteurs et un « bibliothécaire » pour chacune des trois langues principales. Ils ont lu et corrigé au minimum deux fois chaque épreuve en attente d’impression au BIT et les épreuves de toute publication du BIT confiée à des imprimeurs extérieurs. C’était l’époque où les éditeurs anglais savaient tous, qu’aucune erreur passerait inaperçue si Charlton avait fait la relecture, et  que Richardson, Eich, Thompson et Norris pouvaient se montrer être aussi perfectionnistes à condition d’avoir le temps. C’était l’époque où les éditeurs français ne pouvaient qu’applaudir  le travail de Deshusses ou Dittert,  mais peut-être contester certaines corrections introduites  par un Bachelet ou un Neuenschwander. C’était aussi l’époque où les éditeurs espagnols étaient trop heureux d’avoir leurs épreuves revues par des correcteurs merveilleux comme Félix Lorenzo, Salvador Oriza, Enrique Benavent et, plus tard, Luis Echevarria.

A tous, nous devons beaucoup. Ils n’auraient jamais laissé passer des fautes ou erreurs factuelles, ils relevaient les passages où des mots avaient disparus, ils questionnaient des chiffres qui ne sonnaient pas comme attendu, ils nous enseignaient l’ABC de l’impression et de la correction d’épreuves et, au moins dans mon cas, ont contribué à améliorer mes capacités de rédaction en annotant brutalement les épreuves dactylographiées que je soumettais pour préparer un draft plus élaboré. De plus, ils ont éveillé nôtre intérêt à améliorer la publication d’ouvrages du Bureau, à mieux connaître les métiers de l’édition et encouragé à visiter des entreprises dans ce domaine. Enfin, ils travaillaient toujours avec les rédacteurs et réviseurs comme faisant partie d’une même équipe.

Bien qu’il dépendît d’un chef différent, le Stenographer and Typing Pool était un autre élément essentiel dans la chaîne du traitement des rapports de la conférence. Que ce soit sous la direction de Mme Cacopardo, Mme Lawrenson, Rosita Daly ou Isabel Miragaya, le Pool dactylographique était toujours prêt à donner un coup de main. Son personnel prenait en dictée des traducteurs, des épreuves dactylographiées lourdement corrigées, ou, comme avec moi, des textes manuscrits. En effet, pour aussi longtemps que je me rappelle, certains correcteurs ont toujours agi de la sorte, se rendant disponibles pour la préparation des épreuves, l’édition de ces épreuves ou diverses tâches pratiques, alors que les rédacteurs se trouvaient déjà submergés par le travail.

Pouvez-vous imaginer ce que donnait le personnel de notre Section Impression durant ces trois semaines ? Un seul exemple vécu personnellement. L’édition espagnole du compte rendu provisoire était imprimée par Kundig dans des locaux relativement modestes près de la vieille ville. Les typographes, certains suisses, d’autres irlandais, un turc bizarre, quelques allemands,  ne savaient pas pour la plupart, un mot d’espagnol. Il était assez pénible de composer une ligne entière, mot par mot, d’un manuscrit en bon espagnol, mais il s’y ajoutait des corrections manuscrites, orthographique, des écritures illisibles, venant de mains différentes, entre les lignes, dans les marges ou sur des bouts de papier attachés à la copie était bien difficile. Nos correcteurs occupés avec leurs propres tâches, devaient répondre à toutes les questions des typographes et les aider à démêler ce que le personnel  du BIT travaillant dans l’urgence, avait voulu dire. La même situation arrivait à la   Tribune de Genève où étaient imprimées les versions anglaises et françaises des Rapport provisoires.

Il s’agissait de la période de travail la plus lourde chaque année. Nous, les rédacteurs, réviseurs et traducteurs et le petit secrétariat composé de Lucile Harrison, Juliette Palacios et Claire Chan, partagions avec le personnel de la Section impression, sans aucun doute le plus lourd du travail chaque mois de juin, en y consacrant peut-être le plus d’heures, parce que les correcteurs et les censitaires (copistes) travaillaient en deux longs quarts. Ce fut une dure école, mais une expérience enrichissante qui m’a laissé de nombreux souvenirs inoubliables.

Roberto P. Payró, ancien chef

Service d’édition et de traduction, décédé en 2017

 * Par la suite, je devins chef du Service, jusqu’à ma retraite en 1984