Articles: Centenaire – Témoignages

Partenariat actif – une approche constructive de l’OIT / Björn Grünwald

La démocratie a tendance à devenir son propre ennemi. Oui, ça a l’air bien sur la planche à dessin, mais reste une proposition douteuse à gérer dans la vie réelle. Assez difficile lorsqu’elle est appliquée localement, sa tentative à l’échelle nationale fait ressortir de nombreuses imperfections et déséquilibres. Et sur le plan international – bienvenue à l’ONU!

Le BIT a été conçu comme une réaction et aussi comme une alternative à la violence de plus en plus répandue de l’usage militaire dans la société civile pendant la Grande Guerre. A tel point que cela est devenu une priorité dès le début des discussions après l’armistice, à savoir la fourniture d’instruments permettant de gérer les conflits, au lieu de la violence. Une alternative à la révolution russe, pour ainsi dire. Seul le fait que l’Organisation n’ait pas été invitée à appliquer ses principes dans cette partie du monde, même si l’Union soviétique en est devenue membre, estimant que l’OIT était un lieu de rencontre utile pour ses ambitions politiques générales. Il est donc devenu l’un des principaux théâtres de la guerre froide.

70 ans après, avec l’effondrement du communisme, il y avait une opportunité pour une alternative constructive. L’OIT a réagi très rapidement et a proposé au début de 1992 une approche de partenariat actif, offrant conseils et assistance aux pays qui se lançaient dans le processus très complexe de transition d’une économie planifiée et d’un régime totalitaire défaillants à la démocratie et à l’économie de marché.

Pour gérer cela, une équipe multidisciplinaire a été constituée et sept experts de haut niveau ont été recrutés pour agir en qualité d’émissaires auprès de seize de ces pays. Les tout premiers projets pour la Russie, la Bulgarie et l’Ukraine ont été lancés dès 1992, alors que l’équipe était en train de se rassembler. Il a été décidé de baser l’équipe à Budapest, où elle a ouvert ses portes en janvier 1993. C’était un exploit de taille que de pouvoir lancer quelque chose dans un budget ordinaire de deux ans – facile peut-être dans une entreprise mais effectivement pas pour une organisation internationale mobile de la famille des Nations Unies. Malheureusement, cela signifiait qu’il ne pouvait y avoir aucun fonds important alloué pour notre première année, juste assez pour couvrir les frais de bureau, les salaires et certains frais de déplacement, mais même cela a été une grande réussite.

Cependant, nous étions en affaires et avions des objectifs pour le prochain exercice biennal. Sauf que le succès même de cette initiative a attiré l’attention des pays membres de l’OIT et exigé la création de leurs propres équipes multidisciplinaires. Ce qui signifiait que nous devions partager les fonds réservés avec neuf autres équipes de ce type dans le monde, ce qui nous laissait presque aussi pauvres qu’auparavant. De plus, en 1994, le Congrès américain n’a pas pu s’entendre sur son budget fédéral, ce qui l’empêchait également de payer sa part de 25% de l’ensemble des opérations de l’ONU, ce qui a effectivement bloqué tout espoir d’extension des opérations de notre équipe multidisciplinaire. Impasse.

Sept experts tentant de couvrir seize pays d’Europe centrale et orientale en transition, ainsi qu’un soutien à huit autres pays d’Europe orientale et d’Asie centrale, avec pratiquement aucun fonds disponible pour des projets majeurs était une gageure. Après trois ans de tels efforts homéopathiques, si même cela, nous étions totalement épuisés et presque prêts à abandonner. La Conférence régionale de l’OIT pour l’Europe, qui s’est tenue à Varsovie à la fin de 1995, a ensuite eu lieu. Notre équipe, l’équipe multidisciplinaire d’Europe centrale et orientale ou CEET, y était invitée. Nous y sommes allés, convaincus que nous serions critiqués massivement pour la médiocrité des livraisons, à la fois par les 26 pays que nous avons été chargés de soutenir et par les 24 autres pays européens. À notre grande surprise, nous avons été unanimement loués par les trois électeurs de nos 26 pays et, de manière générale, applaudis par les 24 autres!

Comment était-ce possible? Nous étions considérés comme le seul grand organisme international à tenter sérieusement de rencontrer nos concitoyens dans leur pays, travaillant ensemble et prêts à discuter leurs arguments et à les écouter, plutôt que de simplement leur dire quoi faire. Dans l’évaluation de la politique de partenariat actif entreprise par le Conseil d’administration du BIT après cinq ans, le vice-Premier ministre de l’Ukraine a exprimé de manière convaincante que chaque dollar du BIT valait plus que dix dollars de la Banque mondiale, précisément parce que les membres de la CEET ont fait attention à leurs priorités et les ont écoutées.

Alors, fin heureuse? Eh bien, pas tout à fait – même si beaucoup a été accompli au cours de ces premières années de dialogue du BIT avec un demi-continent, il a expérimenté le tissu même de leurs sociétés. Le BIT et d’autres acteurs ont commis de nombreuses erreurs, mais beaucoup a également été accompli au cours des premières années où tout était possible, car il n’existait alors aucune règle établie sur ce qu’il fallait faire et comment le faire.

Comme l’a dit le premier ministre polonais de l’industrie, «il s’agit simplement de recréer le magnifique aquarium à partir de ce qui reste de la soupe de poisson que les communistes en ont faite lorsqu’ils ont pris la relève!


Histoire du bateau ALBERT THOMAS / Siegfried E. Schoen

  1. Introduction

Albert Thomas devint en 1919 le premier Directeur du BIT.

Comment auriez-vous réagi 55 ans plus tard à la vue d’un bateau portant nom de l’ancien directeur, battant pavillon des Nations Unies, dans les eaux territoriales du Bangladesh?

Je laisse au lecteur le soin d’imaginer sa réaction ; je voudrais raconter ici comment un bateau portant ce nom est arrivé si loin du lac de Genève.                                         

Le Projet BGD/72/003 et l’achat du bateau HAMAYA MARU

De janvier 1971 jusqu’à décembre 1976, le BIT a exécuté au Bangladesh un  projet de coopération technique dénommé « Centre de formation Narayanganj  du personnel de pont pour la navigation intérieure » (PROJET BGD/72/003).

Le BIT, le PNUD et les autorités gouvernementales  du Bangladesh pour la navigation intérieure, coopéraient au projet. Pour atteindre ses objectifs principaux, la formation effective de personnel de pont,  le document de projet prévoyait l’acquisition d’un bateau approprié. La Branche Maritime (MARIT) du BIT et l’Autorité gouvernementale en charge avaient été pressenties pour trouver un tel bâtiment.

L’instabilité politique et les troubles que connut le Bangladesh durant la mise en œuvre du projet causèrent des retards dans les opérations prévues. Dans cette situation, l’acquisition d’un bateau adéquat pour former du personnel, a dû se faire par sélection directe et non en suivant les procédures habituelles des offres publiques internationales.  Finalement, la recherche d’un bateau dans des pays asiatiques voisins conduisit à identifier comme acceptable, le HAMAYU MARU, un bateau japonais.

Le journal de bord nous fournit les indications techniques suivantes :

Longueur:                     29.69 m
Largeur:                          6.10 m
Tirant d’air:                    2.70 m
Tirant d’eau:                  1.70 m
Tonnage brut:               155.92 tonnes
Moteurs:                        4 temps, 6 cylindres, 600 CV
Construction:               30 avril 1966 par Chantier Kurinoura, Japon

Avant d’être acheté par le BIT, le HAMAYA MARU était utilisé comme ferry, surtout pour le transport de personnes, entre un groupe d’îles japonaises.

D’après une définition simple, un bateau peut être classé comme une pièce d’équipement. En tant que chef à cette époque de la branche Equipement et Fourniture (BEF), il entrait dans mes attributions d’aider MARIT à négocier et conclure l’achat de ce bateau.

Comme je ne connaissais pas tous les arcanes de l’acquisition de bateaux, et sans aucune expérience dans ce domaine, un audit interne me conseilla de contacter à la FAO à Rome le département shipping and transport. J’appris là-bas que la FAO détenait une flotte de bateaux sur une base régulière, qui étaient principalement utilisés pour le transport de grains et autres produits alimentaires. Je reçus de ce département un briefing approfondi qui me fut extrêmement utile par la suite au Japon.

Le contrat de vente du HAMAYU MARU contient en gros les points suivants :

  • le bateau et les transformations à y apporter pour le transformer de ferry en un bateau capable de prendre la mer.
  • un équipage capable de manœuvrer le bateau sans assistance extérieure du Japon au Bangladesh.
  • Au total pour un coût de $US 239.555

Un draft du contrat de vente, préparé conjointement par des officiels de MARIT, LEGAL et moi-même, constitua la base de ma prochaine mission au Japon ayant pour but la conclusion du contrat.

Suite à de longues négociations avec la compagnie japonaise qui possédait le bateau, j’ai signé au nom du BIT le contrat d’achat en son bureau de Tokyo en novembre 1974 (voir la photo de la signature de l’acte avec Albert Thomas la surveillant de son mur). La contrepartie nationale était un représentant de la compagnie vendeuse.

Après un séjour hectique de cinq courts jours à Tokyo, je quittai le Japon avec le sentiment enivrant d’avoir conclu avec succès le contrat d’achat du bateau. J’avais toutefois oublié le dicton qui dit de ne « jamais glorifier une journée avant la tombée de la nuit ».

Quelques semaines après mon retour à Genève, le proverbe prit de l’actualité.  En effet, j’avais reçu un message télégraphique de Tokyo avec le texte suivant : Bateau a quitté son port japonais – hier – à 18 heures. Certificat pour navigation en mer pas encore reçu. Salutations.

Waouh, le bateau parcourait les océans, mais le certificat japonais le déclarant apte à prendre la mer n’avait pas été obtenu, Comment cela était-il possible ? Après tout, cette négligence aurait pu avoir de lourdes conséquences s’il arrivait un accident au détriment de l’équipage et/ou du bateau.  Après une nuit d’insomnie, le jour suivant apporta un autre télégramme plus détaillé confirmant : a) la réception par le bureau du BIT à Tokyo de la certification sur papier de la navigabilité du bateau ; et b) que l’inspection du bateau par le Bureau des voies maritimes japonais avait donné une approbation verbale, avant que le bateau quitte le Japon. Ma pression sanguine revint à la normale.

III. Nouveau baptême du HAMAYA MARU comme étant le ALBERT THOMAS et conclusion.

Avec la signature du contact d’achat, la propriété du bateau changeait obligeant les nouveaux propriétaires à trouver un autre nom que HAMAYU MARU.  L’idée de le baptiser Albert Thomas fut lancée, pour autant que je me souvienne, par Patrick Denby, alors directeur de FINAD. Sa proposition fut  acceptée par le Directeur général, M. Francis Blanchard, et subséquemment, par le représentant local du PNUD et par les Autorités pour la navigation intérieure du gouvernement du Bangladesh.

Pourquoi a-t-on choisi ce nom ? Il était extrêmement signifiant pour le BIT. Albert Thomas ne fut pas seulement le premier directeur du Bureau (1919 – 1932), mais fut également le meilleur ambassadeur de son mandat fondateur, à savoir la promotion de la Justice Sociale dans le monde du travail par une approche tripartite.

Au début de l’année 1975, après 3 semaines de navigation au départ du Japon, via Singapour, le ALBERT THOMAS arriva sain et sauf au Bangladesh, ayant ainsi démontré son excellente navigabilité en haute mer. Arrivé là, il fut mis au service du projet BIT de navigation sur les voies intérieures.

  1. Remerciements et remarques personnelles

Je voudrais remercier les collègues qui m’ont aidée lors de la rédaction de ce papier : Ivan Elsmark, Max Kern, Jaques Rodriguez, and Uwe Seier.

Quant au bateau, son destin m’est devenu inconnu après que la propriété en fut transférée aux Autorités de la navigation intérieure à la fin du projet, en décembre 1976.

Lors de mes 26 années passées au BIT (1968-1994) en tant que professionnel dans les marchés publics internationaux, j’ai traité des centaines de projets de coopération technique et, en conséquence, l’achat de milliers de sortes d’équipements. Pour donner deux exemples d’équipement exotiques, d’une part un modèle de chemin de fer offrant la possibilité de simuler le trafic lors de la formation du personnel des chemins de fer en Egypte et, d’autre part, au Népal l’utilisation d’explosifs et de détonateurs pour la formation du personnel affecté à la construction des routes !

Cependant, l’achat du HAMAYU MARU/ALBERT THOMAS fut pour moi une expérience, à la fois, inoubliable et unique en raison du lien établi avec le nom de l’une des personnalités les plus remarquables de l’OIT : Albert Thomas.


Grace Sampson: 50 ans de service / H.F. Rossetti

Grace a rejoint le personnel de la succursale de Londres le jour du Nouvel An 1926. Elle avait eu 16 ans exactement quatre semaines plus tôt. Elle a pris sa retraite le dernier jour de 1975 et, ce jour-là, elle a achevé son service non interrompu pendant cinquante ans avec le BIT à Londres. Si, au siège ou dans tout autre bureau extérieur, s’il y a jamais eu un employé du BIT possédant une expérience de service aussi longue qu’elle, je serais très surpris. Je serai également surpris que son record ait été égalé.

En 1926, Albert Thomas était Directeur, ce qui signifie que Grace Sampson a travaillé au Bureau de Londres sous les directives de chacun des directeurs généraux. Lorsque David Morse était Directeur général, il s’était organisé pour qu’elle soit invitée à Genève en mission officielle lors de la session de la Conférence en juin 1967, en reconnaissance de son long et dévoué service. Et pourtant, elle a continué à travailler pendant huit ans encore.

Mme Sampson avait assuré des missions à deux reprises. En 1945, à Copenhague en tant que membre du Secrétariat à la réunion de la Conférence technique préparatoire maritime. L’année suivante, à Bruxelles, en tant que membre du personnel de l’Office à la première session du Comité des textiles et, immédiatement après, à la première session du Comité des bâtiments, du génie civil et des travaux publics. Elle a donc eu très tôt l’occasion de se familiariser avec le nouveau développement des activités de l’OIT d’après-guerre, sous la forme de commissions d’industrie.

Le gros du travail de Mme Sampson a bien sûr été effectué au Bureau de Londres. Cela ne signifie pas qu’elle soit restée au même endroit. Le bureau que la jeune fille de 16 ans a rejoint le 1er janvier 1926 (le jour du Nouvel An n’était pas alors un jour férié) était situé au 26 Buckingham Gate, près du palais de Buckingham. Plus tard, le Bureau de Londres dans lequel elle a servi se trouvait à Victoria Street, Parliament Street, Piccadilly, puis New Bond Street, pour sa dernière année de service. En plus de ces bureaux, le domicile du directeur se trouvait à Rudgwick dans le Sussex, où le personnel s’est établi pendant plusieurs années au cours de la Seconde Guerre mondiale après le bombardement du Bureau de Victoria Street. Grace m’a dit que la fille du médecin local avait été recrutée pour aider à la dactylographie. J’ai rencontré Mme Sampson pour la première fois pendant ma visite à M. Burge, alors directeur, lors d’un week-end pendant cette période d’exil de guerre.

Burge a été le deuxième, et le Directeur qui est resté le plus longtemps, des Directeurs du bureau de Londres (1924 à 1945). Mme Sampson travailla pour lui pendant près de 20 ans. Plus tard, elle servait sous la direction de MM. Robbins, Pickford, GA Johnson), Sir Guildhaume Myrddin-Evans, et M. Slater.

J’ai succédé à M. Slater en 1970. Grace Sampson avait alors terminé sa quarante-quatrième année de service et il n’était pas étonnant qu’elle me regarde avec un œil un peu fatigué – le septième directeur avec lequel travaillé ! (Mais Grace n’était pas arrivée au bureau de Londres à temps pour travailler avec le tout premier directeur, très tôt en 1920, J.E. Herbert.)

Mais si son œil était légèrement fatigué, rien ne le laissait penser. Elle était et restait toujours pleine d’énergie et d’enthousiasme. Lors de mon arrivée, elle était commis à la bibliothèque, puis occupa le poste de bibliothécaire, mais elle était une bibliothécaire différente. Sa grande mémoire et sa longue expérience ont rendu inutiles les catalogues, les fiches et autres dispositifs utiles pour aider les personnes mal informées. Elle apportait une aide inestimable à tous ceux qui cherchaient un document au bureau de Londres, à écrire ou à téléphoner, à condition que ce soit la vérité de l’OIT qu’ils recherchaient. De temps en temps, elle a brièvement fait appel à des souvenirs ou jeté un coup d’œil rapide sur les étagères avant de dire: « Je pense que ce rapport sur la consommation alimentaire et les enquêtes diététiques dans les Amériques présenté par l’OIT à la onzième Conférence sanitaire panaméricaine à Rio de Janeiro en 1942 pourrait vous aider dans vos enquêtes ».

Son départ le 31 décembre 1975, après 50 ans de travail acharné, fut un jour triste pour le bureau de Londres et le BIT dans son ensemble. Sans Grace, nous ne nous retrouvions pas pour résoudre des énigmes et pour nous aider de toutes les manières innombrables qui lui venaient si naturellement. Comme je l’ai dit au début, il semble douteux que l’Organisation ait en poste un fonctionnaire de longue date qui s’intéresserait davantage à son travail ou qui servait le BIT avec plus de dévouement.

Cette contribution par H.F. Rossetti, Directeur du Bureau de Londres 1965 à 1970, était publiée pour la première fois en anglais dans ILO World, janvier 1976.


Presque 100 ans d’efforts de l’OIT pour protéger les droits des interprètes Comment faire face au changement technologique – en résumé / Sally Christine Cornwell

Les efforts constants de l’OIT pour protéger le droit des artistes (ceux associés à la musique, au théâtre, aux travaux audiovisuels, etc.) sont peu connus de son histoire. Jusqu’à ce que la technologie pour recueillir ou « fixer »  les performances dans les films ou les disques (phonogramme) soit perfectionnée, les interprétations se passaient en direct et les accords sur la rémunération étaient  principalement faits entre les interprètes et ceux qui les engageaient.

Avec le développement et l’augmentation de l’utilisation, de la diffusion des enregistrements et des films dans les années 1920,  les interprètes devinrent de plus en plus concernés par leur rémunération vu que le nombre croissant de copies de leurs travaux. En outre, ils estimaient avoir le droit de protéger l’intégrité de leurs travaux ; ce serait un droit moral.  Alors que les œuvres d’auteurs étaient protégées par des lois internationales datant des années 1880, il n’en existait pas de semblables pour les interprètes.  A partir de 1920, l’OIT a reconnu que les artistes étaient des travailleurs qui devaient être rémunérés non seulement pour leur performance initiale mais aussi pour toutes utilisations commerciales ultérieures découlant de leur travail.

Après  trente années de consultations entre les gouvernements et les différents détenteurs des droits, la Convention internationale pour la protection des  producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion (la Convention de Rome)  a été adoptée en 1961. L’OIT, l’UNESCO et l’OMPI  s’en sont partagés l’administration. La ratification a été lente mais plus de 90 Etats membres l’ont maintenant ratifiée.

La Convention de Rome a marqué une avancée décisive en reconnaissant que les interprètes avaient un droit de consentement quant à l’utilisation de leurs travaux et pouvaient réclamer une rémunération dans certains cas. Dans le même temps, la Convention a présenté des options afin d’éviter ou de limiter les droits de rémunération. Les syndicats représentants les interprètes n’ont jamais été entièrement satisfaits avec les termes de la Convention mais obtenir une plus grande protection internationale semblait être un objectif improbable.

Depuis 1961, des développements technologiques  et des moyens plus sophistiqués (câbles, vidéos, DVD, satellites, technologies digitales) ont tout simplement multiplié les moyens par lesquels les travaux des interprètes pouvaient être copiés (même changés), reproduits, réutilisés et redif-fusés. Il y a plus de 20 ans, l’OMPI a mis à jour et renouvelé ses traités internationaux de copyrights et de phonogrammes mais les efforts pour assu-rer une protection internationale similaire pour les interprètes en audiovisuel n’ont pas abouti.

En 2012, cependant, une conférence de l’OMPI a adopté le Traité de Beijing sur les interprétations audiovisuelles. Cet accord traite principalement des droits  sur la propriété intellectuelle des interprètes en audiovisuel (droits éthiques, et  droits pour l’autorisation à la reproduction, distribution, location et diffusion au public) pour des travaux qui ont été « fixés » dans des exécutions audiovisuelles.  Il y a, néanmoins, des options pour restreindre les droits telles que : remplacement des autorisations avec rémunération et/ou transfert des droits contre des redevances ou  rémunération. Le Traité de Beijing avec environ 17 ratifications entrera en vigueur quand 30 Etats l’auront ratifié.

Avec ces développements, quel est le rôle de l’OIT ? Elle n’a pas été très impliquée dans le Traité de Beijing. Le Comité intergouvernemental sur la Convention de Rome le plus récent s’est tenu en 2009. Toute réunion future dépend de « nouveaux » développements, probablement lors de l’entrée en vigueur du Traité de Beijing. Quel est l’avenir de la Convention de Rome une fois que le Traité de Beijing entrera en vigueur ? Certains syndicats de travailleurs ont exprimé des doutes quant à l’efficacité du nouveau traité et souhaitent avoir des clarifications sur les différentes implications.

Après 100 ans de défense des droits des interprètes, est-ce que l’OIT continuera dans cette voie ?

Il est évident que le souci constant de l’OIT pour l’emploi et les conditions de travail des interprètes, dont la plupart ont des emplois atypiques, se maintiendra. Le Forum global de L’OIT sur les relations de l’emploi dans les médias et les secteurs culturels en 2014 fourni une feuille de route. La réunion de l’OIT a été suivie par un manuel syndical : «Soutien aux travailleurs atypiques dans les arts, les médias et les secteurs de divertissements » préparé en 2016 par des membres européens de l’Alliance internationale des arts et des loisirs. La feuille de route et le manuel syndical décrivent tous les aspects critiques de la vie professionnelle des interprètes.

La question demeure : à savoir si l’OIT a un rôle à jouer dans la défense des interprètes et lequel quand leur travaux sont « fixes » et utilisés et réutilisés sous différentes formes.

Ils ont dit…

La connaissance s’acquiert par l’expérience, tout le reste n’est que de l’information.

Albert Einstein


Autrefois, même l’avenir était plus radieux / Peter Auer

La Commission mondiale sur l’avenir du travail, créée en 2017 comme deuxième étape de l’initiative sur l’avenir du travail lancée en 2013 par le Directeur général du BIT, Guy Rider, est en pleine activité et organise toute une série d’événements de nature technique qui devraient déboucher sur la publication d’un rapport important en 2019.

Il me semble opportun à cette occasion de rappeler une autre initiative intéressante menée il n’y a pas si longtemps dans le même domaine. En 2000, le ministère français du Travail et le Directeur général du BIT de l’époque, Juan Somavia, ont lancé une série de colloques sur le même sujet, présenté sous l’appellation plus large « L’avenir du travail, l’emploi et la protection sociale ». J’avais alors été chargé par le Directeur général de coordonner ces différentes manifestations en étroite collaboration avec le ministère français du Travail. Par la suite, l’OIT a réuni des experts du BIT dans ce domaine, le ministère français, les partenaires sociaux et des chercheurs du monde entier dans le cadre de 3 conférences tenues en 2001, 2002 et 2005 respectivement.

La première de ces conférences, organisée à Annecy en 2001, a examiné la nécessité de disposer de politiques visant à protéger les travailleurs face à l’incertitude croissante engendrée par la mondialisation et les changements technologiques et organisationnels. En conséquence, la conférence a abordé le thème très vaste des transformations du travail et de l’emploi résultant de ces changements, de l’impact de ces transformations sur le travail et la société, ainsi que des mesures économiques, politiques et sociales susceptibles d’améliorer la sécurité des travailleurs. (Pour plus de détails, voir le compte-rendu des travaux de la conférence : Peter Auer et Christine Daniel « The future of work, employment and social protection : the search for new securities in a world of growing uncertainties » IIES, OIT, 2002).

La deuxième conférence, qui s’est tenue à Lyon en 2002, a axé ses travaux sur la dynamique du marché du travail et a examiné les parcours des travailleurs et des chômeurs, les approches du cycle de vie, l’évolution des réglementations et la nécessité de mettre en place des politiques bien intégrées. Le concept de sécurité tout au long de la vie, les transitions protégées sur le marché du travail avec des périodes de travail, d’éducation et de formation de durée variable, ainsi que la protection contre les risques à des périodes particulièrement difficiles du cycle de vie ont été au cœur de cette réunion. L’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale a été considéré comme un élément particulièrement important des marchés du travail modernes et dynamiques caractérisés par une augmentation de la part des femmes dans la vie active. (Voir Peter Auer et Bernard Gazier “The future of work, employment and social protection: the dynamics of change and the protection of workers” IIES, OIT 2002).

La troisième réunion, tenue de nouveau à Annecy en 2005, a constaté que la mondialisation a effectivement amélioré le bien-être général des pays qui y ont participé et contribué à une réduction globale de la pauvreté. Elle a aussi souligné que, pour le grand public, la mondialisation était de plus en plus fréquemment perçue comme un facteur de destruction d’emplois, avec des répercussions négatives sur le parcours de vie des gens et un important moteur d’augmentation des inégalités. S’il a été constaté que les pays les plus touchés étaient ceux qui participaient peu, voire pas du tout, à l’économie de la mondialisation, il a également été reconnu que rares étaient les politiques permettant de dédommager efficacement les perdants de la mondialisation. La conférence a analysé les tendances et schémas d’internationalisation de l’emploi et, après avoir examiné quels étaient les perdants et les gagnants, a proposé de nouvelles politiques de compensation, fondées sur les droits des travailleurs et les normes du travail ainsi que sur des politiques sociales et du marché du travail de nature à instaurer un système efficace de protection sociale et d’adaptation à l’emploi qui conduise à une mondialisation plus juste. (Voir Peter Auer, Geneviève Besse et Dominique Méda « The internationalization of employment : chal-lenge for a fair globalization », IIES, OIT, 2005.)

En conclusion, cette série de conférences organisées par la France et l’OIT, a posé nombre des bonnes questions et proposé un cadre pour l’établissement de normes du travail et de politiques du marché du travail avec pour objectif de piloter la mondialisation aux niveaux national et international afin de la rendre plus équitable. Toutefois, la crise financière de 2008, qui a nécessité des interventions ponctuelles pour faire face aux effets négatifs sur l’emploi, a réduit la capacité de mise en place de cadres de politique sociale et du marché du travail à long terme susceptibles d’accompagner de manière plus durable les chocs de la mondialisation.  L’assouplissement quantitatif a bien fonctionné pour les investisseurs privés, mais il s’est accompagné d’une réduction des dépenses publiques consacrées aux politiques sociales et du marché du travail.

A la lumière des récentes tentatives menée par une grande puissance économique pour réduire la mondialisation et instaurer la préférence nationale, et compte tenu également de la montée du nationalisme en Europe et ailleurs dans le monde, on est en droit de se demander si le paradigme « laisser faire la mondialisation, mais compenser les perdants » est encore accepté comme feuille de route pour l’élaboration de normes et de politiques. Nous constatons en effet que les politiques d’indemnisation sont remplacées par des mesures protectionnistes, et on peut se poser la question de savoir si la série de conférences d’Annecy n’était pas trop optimiste quant à la possibilité d’encadrer la mondialisation avec des normes et des politiques.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la phrase « autrefois, même l’avenir était plus radieux » car l’idée selon laquelle il est possible de gouverner la mondialisation pour la rendre plus équitable est moins répandue aujourd’hui qu’au début des années 2000. C’est l’un des défis majeurs que devra examiner la Commission mondiale sur l’avenir du travail.

* Il s’agit d’une variante de l’expression allemande « früher war auch die Zukunft besser » attribuée à l’humoriste Karl Valentin


Mes souvenirs / Abdoulaye Lélouma Diallo

Ma participation aux activités de l’OIT m’a permis de recenser de nombreux événements qui resteront gravés dans ma mémoire. Ils ont consolidé ma conviction à poursuivre ma participation effective aux activités de notre Organisation tripartite dont la mission fondamentale est et demeure la valorisation du travail décent et des travailleurs, la promotion de la paix, de la solidarité et de la justice sociale par le dialogue et la négociation dans un monde globalisé. Je vous prie de prendre connaissance de quelques uns de ces événements et je vous remercie de votre coopération.

Mon pays, la République de Guinée, a adhéré à l’OIT le 21 janvier 1959 et a ratifié à ce jour  62 Conventions dont les 8 fondamentales.

La Confédération Nationale des Travailleurs de Guinée (CNTG), dont j’ai été membre et dont je demeure aujourd’hui membre d’honneur, a toujours participé en qualité de Délégué Titulaire pour les Travailleurs aux sessions de la Conférence Internationale du Travail depuis l’adhésion de la Guinée à l’OIT.

Depuis 1977, j’ai eu la chance de participer à toutes les Conférences Internationales du Travail soit en qualité de Délégué de l’OUSA (Organisation de l’Unité Syndicale Africaine) ou de Spécialiste principal pour l’Afrique au BIT-ACTRAV (Bureau des Activités pour les Travaillleurs).

Depuis 2004, je participe à toutes les sessions du Conseil d’Administration du BIT en ma qualité de Représentant permanent de l’OUSA à l’OIT et au Bureau des Nations Unies à Genève.

J’ai eu la chance de connaître quatre Directeurs généraux du BIT qui sont: Messieurs Francis Blanchard, Michel Hansenne, Juan Somavia et Guy Ryder.

J’ai été élu Président du Syndicat du Personnel en 1996. J’ai fait valoir mes droits à la retraite en novembre 2001. Le Directeur général à cette époque, Mr Juan Somavia a assisté à la réception organisée en mon honneur par ACTRAV le 6 novembre 2001 fait partie de mes souvenirs inoubliables.

Ma participation aux conférences et aux autres activités de l’OIT a renforcé ma conviction et mon engagement à poursuivre le combat syndical pour promouvoir le bien-être des Travailleurs, l’unité d’action syndicale, la solidarité et la coopération au niveau régional, continental et international.

Je me félicite de la contribution positive de l’OIT à la lutte menée par les Travailleurs Africains et leurs Organisations syndicales contre l’apartheid en Afrique du Sud et pour le respect de la liberté syndicale et du droit de grève en Afrique.

Parmi les événements qui restent gravés dans ma mémoire et dont je me souviendrai  toujours, je peux mentionner entre autres :

1) La participation en personne du Vice-président du Congrès National Africain(ANC), l’inoubliable héro Nelson Mandela à la 77me Session de la Conférence Internationale du Travail en juin 1990 pour témoigner toute sa reconnaissance aux mandants tripartites  pour leur solidarité et le soutien accordé au Peuple Sud-africain dans sa lutte contre l’apartheid.

2) La signature du Protocole de convention collective entre le syndicat du Personnel et le Directeur général, Mr  Juan  Somavia, en 2000

3) L’élection en 2008 à la Vice-présidence de la Conférence au titre des Travailleurs de Mme  Rabiatou Sérah Diallo Secretaire Générale de la Confédération Nationale des Travailleurs de Guinée (CNTG), Membre titulaire du Conseil d’Administration du BIT.

4)  Les rencontres accordées aux Délégués  Travailleurs Africains sous la conduite de l’OUSA par le Directeur général M. Guy Ryder et sa visite au siège de l’OUSA à Accra.

5) L’audience accordée au Bureau de la Section des Anciens de l’OIT, dont je suis membre, par le Directeur général M. Guy Ryder et la réception organisée chaque année en faveur des retraités de  l’OIT.

En tant que Guinéen, je tiens à féliciter le Directeur général, M. Guy Ryder, pour la solidarité témoignée à la Guinée lors de la fièvre hémorragique  à virus EBOLA qui a affecté mon pays en 2014-2015.

En conclusion, je voudrais rappeler qu’à la création de l’OIT en 1919, l’Afrique n’était représentée que par trois pays (Ethiopie, Libéria et Afrique du Sud) et qu’aujourd’hui 54 pays de notre continent sont membres de cette Organisation historique, la seule à dimension tripartite du système des Nations Unies. Grace à la participation des mandants tripartites Africains aux activités de l’OIT et à la ratification des Conventions fondamentales par plusieurs Etats, aujourd’hui la reconnaissance de la liberté syndicale et du droit de grève figurent dans la majorité des Constitutions des pays Africains.

En tant que membre de la Section des Anciens, je souhaite le renforcement des relations avec les actifs et la promotion de la coopération avec les mandants tripartites des 187 Etats membres de notre Organisation pour assurer un succès historique à la célébration du Centenaire de l’OIT. Pleins succès à la célébration du Centenaire de l’Organisation qui valorise le TRAVAIL.


Dire quelques mots sur le bureau de Bruxelles… c’est presque un livre qu’on pourrait écrire! / Anita Colignon

Depuis l’achat en 1973 de cette  jolie maison bourgeoise située hors du centre de Bruxelles, et jusqu’en 2008, date de nos départs à la retraite, la petite équipe du bureau (4 à 5 personnes) et qui a connu plusieurs directeurs (M. Wilhelm Störmann, M. Raymond Goosse, M. Gérard Fonteneau, M. Marcel Bourlard et M. Eddy Laurijssen) était multifonctionnelle.

Entre les différentes tâches administratives, financières etc…, il nous est aussi arrivé de devoir allez acheter un petit chien (caniche) pour un des directeurs du BIT Genève, également rechercher la valise du Directeur général, M. Michel Hansenne à l’aéroport de Zaventem, faire les files au bureau de poste pour acheter des timbres ou à la banque,(eh oui, il n’y avait personne d’autre pour faire tout cela).

Bien entendu, le travail ne manquait pas car l’ère informatique n’existait pas encore et on se débrouillait avec nos grosses machines à écrire IBM. Nos contacts avec les Institutions Européennes, le Gouvernement, les Syndicats, l’organisation de voyages d’études pour des groupes de chinois venant du Centre de Turin, la participation à des colloques dans le stand du BIT ainsi que la vente de publications à la Foire du Livre où le Roi Baudouin nous avait rendu visite, tout cela se faisait dans la joie et l’excitation mais tout c’est toujours passé à merveille. Et j’allais oublier le plaisir d’accueillir nos collègues du bureau de Genève qui ne nous oubliaient pas en nous offrant de bons chocolats Suisse !

Nous avons aussi beaucoup ri car dans ce petit bureau il y avait, la plupart du temps, une très bonne ambiance et c’était avec plaisir qu’on se rendait tous les jours à notre lieu de travail et cela pendant 30 ans.

C’était le bon temps et que de souvenirs  qu’on n’oubliera jamais!

 

 


BIT : Le Département de la Formation / George Kanawaty

En 1952, le BIT lança un grand programme d’aide aux pays membres en mettant en place dans ces pays des centres de formation professionnelle. Cette action fut suivie trois ans plus tard par un autre programme d’amélioration de la productivité par la formation des cadres dirigeants. Deux raisons firent que ces deux programmes connurent une expansion rapide : en premier lieu, de nombreux pays en développement qui avaient récemment accédé à l’indépendance voulaient donner une priorité absolue au développement des ressources humaines ; en second lieu, le système des Nations Unies venait de créer un « Fonds Spécial » destiné à financer des programmes de coopération technique. Plus tard ce Fonds devint le « Programme des Nations Unies pour le Développement » (PNUD). Ainsi, pour financer ses opérations de formation, le BIT pouvait faire appel au PNUD si des fonds étaient disponibles.

 Au début des années 60, les deux activités consacrées l’une à la formation, l’autre aux cadres furent réunies sous une seule unité, le « Département des Ressources Humaines » qui, plus tard, fut renommé « Département de la Formation ». L’accent sur les activités de terrain fut prédominant des années 50 au début des années 70. Le personnel du Siège était essentiellement occupé à appuyer les activités de terrain.

Au début des années 70, cette attention évolua afin de rendre les activités de formation mieux adaptées à des besoins changeants. C’est alors qu’indépendamment des opérations de terrain les activités en matière de formation inclurent d’autres moyens d’action tels que la recherche, les publications, les réunions et les conférences. Ces activités étaient menées par quatre services : la formation professionnelle, la formation des cadres, la réadaptation professionnelle et un nouveau service chargé des politiques de formation : celui-ci, en plus de son rôle de conseil aux gouvernements sur les politiques nationales en matière de développement des ressources humaines, agissait comme groupe de réflexion (think tank) pour orienter les activités du Département vers de nouvelles directions telles que les conséquences de l’ajustement structurel ou les avancées technologiques.

Nouvelles directions

Dans le domaine de la formation professionnelle on créa un programme de formation modulaire facilitant le passage d’un métier vers un autre, par exemple permettant à un électricien de formation de devenir un spécialiste en systèmes électriques automobiles dans ce domaine. Au siège du BIT, six personnes travaillèrent au développement de  modules de formation pour divers métiers, une activité financée par l’Allemagne, la Suède et la Suisse qui souhaitaient utiliser ces modules pour leurs propres besoins.

Dans le domaine de la formation des cadres, la recherche conduisit à la mise en place d’un nouveau programme très vivant pour les petites entreprises, fondé sur de nouvelles bases, liant la formation à des services de conseil et de financement prodigués sur place et développant des programmes de formation spécifiques pour divers secteurs tels que les petits entrepreneurs, les petits détaillants, etc.

Dans le domaine de la formation des cadres, plutôt que de se concentrer sur le secteur industriel qui prévalait, la formation fut entreprise  au bénéfice des cadres dans des secteurs tels que la construction, les transports et les services qui se développaient à cette époque. Pour prendre un exemple, alors que la famine frappait l’Ethiopie dans les années 80, l’Allemagne avait fourni 500 camions Mercedes pour transporter la nourriture à l’intérieur du pays. De son côté le service de la formation des cadres du BIT fournit l’expertise logistique nécessaire pour prendre des décisions sur le routage, le ravitaillement en carburant, les zones de stockage et d’entretien et la gestion de la flotte des camions. De même, des actions de formation des cadres dans les domaines de la construction et des transports furent entreprises avec un grand succès, financées par une multitude de sources.

Dans le domaine de la formation professionnelle, le terme « handicapé », tout d’abord utilisé uniquement pour désigner des personnes physiquement handicapées, a été redéfini pour y inclure d’autres personnes telles que les alcooliques et les drogués. Cette décision eut pour résultat un accroissement des activités et des sources de financement disponibles.

Toutes ces nouvelles directions conduisirent à une vaste expansion des activités du Département qui, dans les années 80, devint le plus grand département du BIT, à égalité avec celui de l’Emploi, l’autre activité majeure de l’Organisation. Dans les années 80, le Département de la Formation employait 100 personnes au siège et quelque 400 experts et consultants dans environ 80 pays.

Autres activités reflétant les préoccupations actuelles

On trouvera sans doute surprenant que certains défis contemporains tels que les problèmes de l’environnement, l’égalité, le changement des méthodes de travail suite à l’intervention de l’intelligence artificielle, la nouvelle organisation du travail et la conception du travail étaient déjà étudiés par le département il y a quelque 40 ans.

Ainsi, le Département introduisit la Formation environnementale dans son programme pour les cadres. Non comme un programme séparé mais comme partie intégrante des programmes existants ; par exemple dans la formation des cadres de production, en y introduisant la notion d’un meilleur « design » du produit afin de réduire les déchets et d’améliorer leur traitement et leur utilisation ; dans la commercialisation : l’introduction d’emballages écologiques et la lutte contre l’esprit de gaspillage dans la publicité, etc.  Sur la question de l’Egalité un fonctionnaire fut désigné au siège dont la tâche, parmi d’autres, était de contrôler tous les nouveaux projets afin de s’assurer qu’elle était bien prise en compte et qu’elle était incluse parmi les critères d’évaluation.

En ce qui concerne l’Intelligence artificielle le Département entreprit à l’époque une recherche de trois ans pour examiner, sur cette question, ce que six pays importants faisaient en matière d’éducation et de formation sur l’intelligence artificielle et fournit des conseils sur le sujet. Deux réunions internationales furent organisées sur la question de la formation sur l’intelligence artificielle. Le résultat de ce travail financé par l’Allemagne a été publié. Sur les nouvelles formes d’Organisation du travail, la Norvège finança alors une expérience qui dura trois ans sur la possibilité d’un transfert à l’Inde et à la Tanzanie de nouvelles méthodes de gestion basées sur les expériences de la Norvège, de la Suède et du Japon. Les résultats en furent publiés dans la Revue du BIT.

Financement

Le Département de la Formation dans les années 80 estimait qu’il était préférable de diversifier ses sources de financement plutôt que de s’en remettre seulement au BIT et au PNUD. Des contacts furent pris avec un certain nombre de donateurs potentiels. C’est ainsi que pas moins de dix gouvernements contribuèrent directement aux activités du Département de la Formation, que ce soit pour la recherche ou l’assistance directe à divers pays. En outre le Département joua un rôle de pionnier par son approche des projets financés par la Banque Mondiale. Se conformant aux conditions imposées par la Banque, il entra en compétition avec diverses entreprises renommées de consultants et de formation. La préparation de chaque offre exigeait une dépense de 20.000 à 30.000 dollars. Si elle l’emportait, il pouvait en résulter un projet de 2 à 4 millions de dollars pour lequel le BIT recevait 10% de frais de gestion. Ce travail de soumission se poursuivit pendant un an jusqu’à ce qu’il soit officiellement entériné par la Direction générale du BIT, ce qui encouragea rapidement d’autres Départements à suivre cet exemple.

Certains se demanderont si l’accroissement des activités et du personnel pourraient avoir constitué un fardeau pour le budget du BIT. En fait c’est le contraire qui s’est passé : le Département de la Formation gagnait de l’argent pour le BIT. Pour financer son personnel et d’autres activités, tels que réunions, missions, etc., le BIT allouait 5 millions de dollars par an au Département. De son côté le Département générait plus de 8 millions de dollars de ressources chaque année. Le volume des dépenses de coopération technique se montait à environ 75 millions de dollars par an sur lesquels le BIT recevait des frais de gestion de 10 à 13%. Ce qui fait environ 7 millions de dollars au minimum.

En outre le Département produisit six des 10 meilleures ventes de publications du BIT, y compris les trois premières, toutes dans le domaine du management. Le revenu annuel de ces ventes de publication s’élevait à un million de dollars. Vient en tête de ces ventes un ouvrage de 500 pages comportant plus de 100 illustrations, intitulé « Introduction à l’Etude du Travail » dont George Kanawaty est l’auteur de l’édition révisée. Il aborde la question d’une meilleure efficacité au travail et conseille sur l’amélioration de la satisfaction au travail. Le livre s’est vendu à 300.000 exemplaires. Record pour n’importe quelle publication au sein du système des Nations Unies, il a été traduit en 8 langues, y compris le russe et le chinois et imprimé sous copyright du BIT dans 7 autres pays. Ce livre, qui fut mis à jour plusieurs fois pour inclure des questions relatives au numérique et à la robotique, rapporta à lui seul 12 millions de dollars au BIT.

Conclusion

En 1990. Un nouveau Directeur général pris la décision de se tourner vers d’autres activités. Cette année-là coïncida avec mon propre départ à la retraite. Le Département de la Formation fut démantelé en divers morceaux, soit éliminés, soit largement réduits ou tellement fondus dans d’autres activités qu’il en devint méconnaissable. C’est ainsi que le rideau tomba sur le plus grand Département du BIT.

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L’auteur, George Kanawaty, après avoir servi pendant neuf ans dans les programmes de coopération technique du BIT an Asie, en Afrique et au Moyen-Orient, devint chef des programmes de Développement des Cadres Dirigeants au siège de 1972 à 1980, puis directeur du Département de la Formation de 1980 à 1990.


Souvenirs heureux / Hans Hammar

100 ans est un âge impressionnant pour une Organisation internationale, et il y a de nombreuses raisons pour lesquelles l’OIT l’a atteint: un objectif important (justice sociale), une bonne structure (tripartisme) et des délégués et un personnel compétents.

C’est le moment de rappeler deux grandes personnalités de l’OIT, qui ont toutes les deux – compétence, esprit, charme et humour – à savoir Gullmar Bergenström et Francis Blanchard.

Gullmar, un impressionnant Suédois de 2 mètres de haut avec un monocle et une moustache, était le Vice-président des employeurs du Conseil d’administration de 1969 à 1980. Il a dirigé les employeurs « indisciplinés » pendant les années difficiles de la guerre froide et a bien travaillé, mais indépendamment, avec trois grands directeurs généraux – Morse, Jenks et Blanchard. Il convainquit Jenks puis Blanchard de créer un nouveau programme d’employeurs, combinant relations et coopération technique, et bien sûr un programme correspondant, et plus grand, pour les travailleurs. Jenks a défendu la proposition, comme une conséquence logique du tripartisme – contre les pays communistes, mais avec le soutien de la (alors) CISL (Confédération internationale des syndicats libres, social-démocrate). Blanchard a pris les décisions organisationnelles et a obtenu les ressources budgétaires.

Ce sont les années difficiles du débat sur la « Structure de l’OIT ». Le débat a tenté de satisfaire les pays communistes en général et leurs « employeurs » en particulier; ce dernier voulait avoir des sièges garantis au sein du groupe des employeurs du Conseil d’administration. Lors d’une élection du Conseil d’administration dans les années 1970, les employeurs communistes n’ont reçu qu’une trentaine de voix, mais il en fallait environ une centaine pour être élus. Le délégué patronal soviétique, le charmant M. Polyakov, demanda la parole et dit avec colère: « M. Bergenström, nous les employeurs socialistes avons un droit démocratique d’être élu au Conseil d’administration! » Gullmar a enlevé son monocle et a répondu calmement: « M. Polyakov, laissez-moi vous informer – avec mon expérience un peu plus longue de la démocratie que la vôtre – que vous avez un droit démocratique de vous présenter aux élections, pas d’être élu! » M. Polyakov n’était pas convaincu …

La chute du mur de Berlin en 1989 a tout changé: maintenant les employeurs russes et d’autres pays d’Europe de l’Est – ainsi que les Chinois! – sont élus démocratiquement au Conseil d’administration. Et le personnel de leurs nouvelles organisations est formé par ACTEMP (Bureau des activités pour les employeurs) …

Ce fut un plaisir de travailler avec Francis Blanchard, compétent, extraverti, charmant et plein d’esprit! En 1982, il accompagna le pape Jean-Paul II lors de la Conférence pour visiter séparément les trois groupes. Trois secrétaires catholiques d’ACTEMP avaient demandé à être autorisés à y assister. Quand le pape vint à eux, il se tourna vers M. Blanchard et demanda: « M. le Directeur Général, ces charmantes jeunes dames, est-ce qu’elles sont vraiment des employeurs? » Monsieur Blanchard a répondu, sans hésiter: « Oui, Votre Sainteté, des employeurs clandestins! ». Le Pape a souri et a béni les dames.

C’était le bon vieux temps …


L’expérience qui change une vie / William Mellgren

J´ai commencé au BIT en 1981 comme Consultant, voulant travailler sur le terrain pour profiter de mon expérience comme conseil d´entreprise. Ce fut d´abord au Cameroun, pour y développer les petites entreprises, dans un des pays les plus beaux et variés que j´ai connus. Suivirent des missions en République Centrafricaine et en Haïti, pour préparer des projets. En 1984, j´arrivais à Dhaka, au Bangladesh, pour promouvoir l´emploi dans le pays sous l`inspirante direction de AMAH Siddique pour notre bien à tous.

Il fût bientôt clair pour tous que la création d´emplois en grand nombre ne pouvait avoir lieu que dans l´ample secteur informel, surtout dans les zones rurales où vivait 70 % de la population. Notre homologue BMET avait déjà lancé un projet expérimental de microfinance, basé sur les expériences prometteuses de Grameen Bank, BRAC et autres ONG. Parmi les nombreux bénéficiaires visités, je me rappelle un pauvre père de famille, qui avait pu acheter une vache avec son prêt et en avait deux maintenant : du lait pour la famille et du lait pour la vente, il avait aussi pu remplacer sa cabane par une vraie maison. Il était surtout très content d´avoir gagné le respect de tous !

Notre projet avec une banque locale obligea les fonctionnaires du BMET à s´installer dans les villages choisis, pour sélectionner les candidats les plus pauvres et motivés, les faire épargner, puis distribuer les crédits. Un second projet plus large fut lancé entre 1988 et 1992, sur la base des expériences gagnées avec le premier. Je dirigeais ensuite un large projet au Pakistan, de 1993 à ma retraite en 1999, avec une proportion croissante de femmes bénéficiaires.

En tant qu´enthousiaste du microcrédit, je créais en 2005 une mini-ONG, Community Uplifting Foundation, en rencontrant Martial Salamolard et ses Ecoles de la Terre. Il avait ouvert nombre d´écoles au Bihar et West Bengal, pour les nombreux enfants sans écoles satisfaisantes. Il se rendit compte avec moi, qu´il serait intenable de les financer depuis la Suisse et surtout que cela créait une dépendance malsaine chez les parents !

Avec l´aide d´un expert Indien, Pradip Har, nous initiâmes un projet de microcrédit avec les mères de nos écoliers et autres des villages alentours. Au début de 2018, nous avions plus de 35’000 prêts en cours et maintenons un taux de remboursement de 100 %, du fait d´une sélection et de la formation des candidates très élaborée et leur suivi ! Aussi les intérêts collectés couvrent près d´un quart du coût des écoles, santé, etc.

Les femmes sont les seules candidates admises, pour assurer que leurs revenus bénéficient à toute la famille, élevant ainsi le statut de la mère dans la famille et le village, qui était traditionnellement bas…

Beaucoup plus peut être raconté sur ces expériences très positives d´aide aux femmes et enfants en Inde. Je reste à votre disposition pour plus d´info.